• Aucun résultat trouvé

La problématique de l’indépendance de la justice

Dans le document Mémoire de recherche en droit public (Page 108-111)

SECTION 1 : U NE TRANSITION « INSTITUTIONNELLE » MODIFIANT L ’ ORGANISATION DES

B) La problématique de l’indépendance de la justice

Aux yeux des constituants de 1848, la justice occupe une place déterminante dans le fonctionnement des pouvoirs publics. C’est ainsi que le texte définitif de novembre consacre, au sein de son Chapitre VIII, l’existence d’un « pouvoir judiciaire », confortant l’idée que, pour l’Assemblée, « la justice est un pouvoir égal aux deux autres »406. Cette opinion est notamment confirmée par Marrast qui déclare dans son rapport général que « Tout émane du peuple, […], Le pouvoir législatif exprime sa volonté dans la loi ; le pouvoir exécutif en assure la force ; le pouvoir judiciaire la sanctionne chaque jour en l’appliquant ». Si le texte constitutionnel de novembre consacre un tel pouvoir, et non une simple autorité, il demeure qu’à aucun moment n’est développé ni même évoqué la notion d’indépendance. L’article 81, qui inaugure le Chapitre VIII de la Constitution, dispose en effet que « la justice est rendue gratuitement au nom du peuple français. - Les débats sont publics, à moins que la publicité ne soit dangereuse pour l'ordre ou les mœurs ; et, dans ce cas, le tribunal le déclare par un jugement ». Or, cette indépendance est une composante nécessaire des régimes qui, comme celui de la deuxième République, se réclament de la séparation des pouvoirs.

Plus particulièrement, la question de l’indépendance de la justice d’apprécie par les modes de nomination des magistrats. Les membres de la Commission de la Constitution s’interrogent

404 Voir en ce sens Archives parlementaires, 2e série, t. CXXIII, p. 464, 481, cité par MORABITO (Marcel), op.cit.,

405 MORABITO (Marcel), op.cit.,

406 LUCHAIRE (François), op.cit., p. 141

LA VOLONTE D’ETABLISSEMENT D’UN NOUVEL ORDRE CONSTITUTIONNEL REPUBLICAIN

99

d’ailleurs quant à l’opportunité de développer les règles relatives à ces nominations au sein même du texte constitutionnel. Si pour Dabeaux et Saint-Gaudens une telle consécration n’est ni souhaitable ni nécessaire, telle n’est pas l’opinion de Charamaule et Kerdrel, pour qui la nomination représente respectivement une question constitutionnelle et la conséquence du caractère démocratique de la République407. L’Assemblée constituante, partageant majoritairement cette analyse, rejette ainsi l’amendement de Dabeaux. Le principe déterminé, il reste à établir les modalités de ces nominations, et plus particulièrement le détenteur de cette prérogative.

Sur ce point, une compétence exclusive est attribuée au président de la République. C’est le sens des articles 85 et 86 de la Constitution, qui disposent que « les juges de paix et leurs suppléants, les juges de première instance et d'appel, les membres de la Cour de cassation et de la Cour des comptes, sont nommés par le président de la République (…) », et que « les magistrats du ministère public sont nommés par le président de la République ». Cela n’a pas été sans susciter un certain nombre d’oppositions dans les rangs de l’Assemblée. Morhery et Derode estiment effectivement que de telles attributions ne peuvent être justifiées, considérant que « la Cour de cassation a un rôle qui se rapproche du rôle du législateur ; elle interprète la loi ; elle lui donne l’uniformité ». Si ses inquiétudes ne sont pas partagées, il demeure que les membres ont conscience de la nécessité d’instituer un certain nombre de limites juridiques à ce pouvoir de nomination. C’est ainsi que, sur la proposition de Dupin, ces nominations devront à la fois « respecter un ordre de candidature », ainsi qu’ « obéir à une loi organique » (article 85).

Il est également intéressant de constater que les membres de l’Assemblée débattent de l’opportunité d’opérer une différenciation entre magistrats du siège et du parquet. Pour le député Tranchant, une telle distinction ne pourrait prospérer, « les procureurs généraux et les procureurs de la République [n’étant] pas de simples agents aux ordres de l’autorité supérieure », mais ayant « tous les jours à se prononcer sur des questions délicates qui intéressent au plus haut point l’ordre public et la liberté ». Pour ce dernier, les procureurs doivent de surcroît « puiser les motifs de ces décisions dans leur conscience et non pas […]

d’après les ordres à eux transmis ». Cette position n’est toutefois pas partagée par l’ensemble des constituants, à l’image de Dupin, pour qui les magistrats du ministère public, « en même temps qu’ils ont foncièrement le caractère de magistrats et qu’ils en ont tous les devoirs, se

407 Ibid., p. 144

100

distinguent cependant d’eux en ce qu’ils sont aussi commissaire du Gouvernement et, à ce titre, amovibles et toujours révocables ». C’est finalement la différenciation qui est retenue par les membres de la Commission et l’assemblée, consacrée définitivement par l’article 86 du texte final.

Néanmoins, la problématique de l’indépendance de la justice prend sa véritable dimension lorsque sont évoqués les liens entre le Conseil d’Etat d’une part et l’Assemblée d’autre part.

Consacré au sein du Chapitre VII du texte constitutionnel du 4 novembre, le Conseil d’Etat représente en effet « l’émanation du pouvoir législatif »408. Nommés par l’Assemblée (article 71), ses membres sont révoqués, certes sur proposition du président de la République, mais que par cette Assemblée (article 74). Les discussions de la constituante mettent en outre en avant la volonté qu’ont ses membres d’impliquer l’institution dans l’activité législative. C’est ainsi que Marrast, dans son rapport de présentation du deuxième projet, affirme qu’à « côté de l’assemblée unique, la Constitution place un Conseil d’Etat choisi par elle, émanation de sa volonté », et que « ce corps, placé entre l’Assemblée qui fait la loi et le pouvoir qui l’exécute, tenant en premier par sa racine, en second par son contrôle sur l’Administration, aura naturellement une autorité qui tempérera ce que l’assemblée unique pourrait avoir de trop hardi, ce que le gouvernement pourrait avoir d’arbitraire ».

Toutefois, l’existence d’une telle institution ne fait pas l’unanimité au sein de la Commission.

Des oppositions se font effectivement jour lorsque le chapitre relatif au Conseil d’Etat est discuté les 13 et 14 octobre 1848. Comme l’explique justement François Luchaire, Saint-Beuve va jusqu’à solliciter sa suppression, considérant qu’il représente « la fausse monnaie d’une deuxième chambre », qu’il n’est qu’une « commission permanente de l’Assemblée ». D’autres membres, à l’image de Crémieux et de Marcel Barthe, souhaitent non seulement que le Conseil d’Etat se concentre exclusivement sur sa fonction contentieuse, mais également que ses membres ne dépendent pas de l’Assemblée et qu’ils soient au contraire proches du pouvoir exécutif, et plus exactement de l’ensemble de l’administration dans le but de la contrôler. Ces éléments sont corroborés par Vivien qui, se défendant de vouloir instituer une seconde chambre, affirme que le Conseil d’Etat n’est pas là pour arrêter l’Assemblée, mais bien pour « l’éclairer, lui servir d’auxiliaire ».

408 Ibid., p. 129

LA VOLONTE D’ETABLISSEMENT D’UN NOUVEL ORDRE CONSTITUTIONNEL REPUBLICAIN

101

C’est ainsi que l’article 75 de la Constitution de novembre décrit une institution hybride, et même, à certains égards et selon les mots de François Luchaire, « bâtarde »409. Consulté sur les projets de loi du Gouvernement ainsi que sur les projets d’initiative parlementaires, il constitue la juridiction administrative de référence, tout en exerçant, « à l'égard des administrations publiques, tous les pouvoirs de contrôle et de surveillance qui lui sont déférés par la loi ».

Au regard de l’ensemble de ces éléments, nous pouvons affirmer que la dimension institutionnelle de la transition constitutionnelle de 1848 se caractérise par une prédominance de l’Assemblée constituante, prédominance qui se perpétue au profit de l’Assemblée unique à la suite de l’adoption et de l’entrée en vigueur de la Constitution du 4 novembre. Désireux d’instaurer un régime républicain fondé sur la séparation des pouvoirs, les révolutionnaires adoptent cependant un texte aux dispositions contradictoires et ambivalentes, qui créent un climat d’incertitude et développent, par voie de conséquence, un ordre juridique précaire.

Toutefois, à cette instabilité institutionnelle s’ajoute un élément fondamental de la transition constitutionnelle de 1848, à savoir la constitutionnalisation de principes républicains, principes qui, pour la plupart, structurent encore aujourd’hui notre ordre constitutionnel national.

Section 2 : Une transition « politique » constitutionnalisant des

Dans le document Mémoire de recherche en droit public (Page 108-111)

Documents relatifs