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La mise en place d’une responsabilité politique implicite

Dans le document Mémoire de recherche en droit public (Page 105-108)

SECTION 1 : U NE TRANSITION « INSTITUTIONNELLE » MODIFIANT L ’ ORGANISATION DES

A) La mise en place d’une responsabilité politique implicite

Différant de la responsabilité juridique qui a pour fonction de réprimer « toute atteinte à l’ordre social et aux principes de la moralité collective »398 au sein d’une société déterminée, la responsabilité politique, qui ne suppose ni préjudice ni faute, peut quant à elle être engagée en raison d’une « simple divergence d’intentions entre l’exécutif et le parlement »399. Cette définition, qui décrit la réalité du régime parlementaire, peut également s’appliquer dans le cadre de l’étude de la Constitution républicaine de 1848.

L’analyse des débats constituants combinée à celle des dispositions constitutionnelles définitivement adoptées permet effectivement de déceler une certaine proximité avec le régime

397 TOCQUEVILLE (Alexis De), op.cit., p. 898

398 ALLAND (Denis), RIALS (Stéphane), op.cit., p. 1342

399 Ibid., p. 1358

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parlementaire, dont le trait caractéristique fondamental est celui de la responsabilité gouvernementale. Il convient néanmoins de préciser préalablement que de nombreux éléments plaident pour l’assimilation de la deuxième République à un régime présidentiel. Comme le souligne effectivement Isabelle Thumerel, le texte constitutionnel met en place, d’une part, un exécutif monocéphale, dont les ministres ne représentent que de simples agents nommables et révocables par le Président de la République sans contreseing. D’autre part, l’Assemblée ne peut renverser l’exécutif et le chef de l’Etat ne peut dissoudre l’Assemblée. Il serait également possible, par raisonnement inverse, de considérer qu’un tel régime ne peut être que présidentiel, en s’appuyant notamment sur les propos du constitutionnaliste Boris Mirkine-Guetzévich qui, en 1931, affirme que « la primauté politique de l’exécutif est l’essence du parlementarisme »400, ce qui est tout à fait le contraire du régime dont nous étudions les caractéristiques au sein de la présente étude.

Toutefois, au-delà ces observations, de nombreux éléments plaident également en la faveur d’un régime « hybride », empruntant des éléments certes au régime présidentiel, mais également parlementaire.

Au premier rang de ces éléments figure l’étroitesse des rapports entre ministres d’une part et Assemblée nationale d’autre part. Perpétuant les dispositions du décret du 15 mai 1848, les ministres, « ont entrée dans le sein de l'Assemblée nationale ; ils sont entendus toutes les fois qu'ils le demandent, et peuvent se faire assister par des commissaires nommés par un décret du président de la République » (article 69). Une telle collaboration, loin de traduire une quelconque volonté d’équilibre, assure au contraire une « meilleure suprématie législative »401, en plaçant les ministres dans une situation de stricte dépendance envers l’Assemblée. Cette dépendance est illustrée par les dispositions de l’article 68 de la Constitution, qui énonce que

« le président de la République, les ministres, les agents et dépositaires de l'autorité publique, sont responsables, chacun en ce qui le concerne, de tous les actes du gouvernement et de l'administration ».

Si les ministres, nommés et révoqués par le président de la République, sont incontestablement responsables devant lui, se pose la question de leur responsabilité à l’égard de l’Assemblée. Au regard du texte constitutionnel, tel n’est pas le cas. En effet, leur

400 MIRKINE-GUETZEVICH (Boris), « L’exécutif dans le Régime parlementaire », RPP, 1931, p. 158 & « La révision constitutionnelle », 1933, p. 347, cités in Stéphane PINON, « Boris Mirkine-Guetzévitch et la diffusion du droit constitutionnel », Droits, n° 46, 2007, p. 206 & 211.

401 MORABITO (Marcel), op.cit., p. 250

LA VOLONTE D’ETABLISSEMENT D’UN NOUVEL ORDRE CONSTITUTIONNEL REPUBLICAIN

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responsabilité politique est placée au même niveau que celle président de la République, ce dernier ne pouvant faire l’objet d’aucune révocation devant l’Assemblée. Néanmoins, si aucun des membres de l’Assemblée constituante ne demande qu’une telle dépendance soit organisée, la Constitution de novembre ne mentionnant par ailleurs aucunement la possibilité pour cette dernière de renverser les ministres, il demeure que, pour eux, les ministres doivent être responsables devant le pouvoir législatif402. C’est notamment la vision défendue par Tocqueville au nom de la Commission le 5 octobre 1848, qui voit dans la responsabilité ministérielle le moyen le plus efficace, pour l’Assemblée, de s’imposer face au chef de l’Etat.

D’ailleurs, dans son rapport de présentation, Marrast déclare explicitement que « si la direction de l’Administration lui déplait, elle (l’Assemblée) renverse les ministres ». Cet élément témoigne ainsi du fait que les constituants de 1848 ne souhaitent pas instituer un véritable régime présidentiel à l’américaine.

Concrètement, les seuls articles faisant directement référence à cette thématique de la responsabilité se limitent à des allusions à la responsabilité pénale, présentés au sein du Chapitre VIII, Du pouvoir judiciaire. C’est le sens de la disposition suivante : « la Haute Cour de justice juge, sans appel ni recours en cassation, les accusations portées par l'Assemblée nationale contre le président de la République ou les ministres » (article 91).

Malgré le silence du texte constitutionnel, plusieurs indices plaident néanmoins en faveur d’une responsabilité politique implicite403. C’est ainsi qu’Odilon Barrot, dans ses Mémoires, analyse avec sévérité les conséquences éventuellement préjudiciables pour les ministres que pourrait occasionner un éventuel désaccord susceptible d’impliquer le président de la République et l’Assemblée. En pareil cas, si les ministres se prononcent en faveur du premier, le second les « briserait », tandis que dans la situation inverse, le premier les « destituerait ».

Il pourrait être rétorqué que ces considérations, certes pertinentes du point de vue de la réalité politique et des rapports de force institutionnels, demeurent néanmoins peu rigoureuses et difficilement opérantes sur le plan juridique. Cependant, comme le souligne justement Marcel Morabito dans Histoire constitutionnelle de la France, cette question est bel et bien traitée sous l’angle juridique par le constitutionnalisme du XIXème siècle. C’est ainsi que Hello, dans son ouvrage Du régime constitutionnel dans ses rapports avec l’état actuel de la science sociale et politique, observe que si seule la responsabilité pénale est dotée d’un caractère juridique, cela n’empêche aucunement la responsabilité politique de fonctionner en pratique, renvoyant ainsi

402 LUCHAIRE (François), op.cit., p. 125

403 MORABITTO (Marcel), op.cit., p. 251

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à la distinction opérée par Molé et Dufaure, à l’occasion d’une adresse de 1839, entre responsabilité légale, c’est-à-dire pénale, et responsabilité morale, lorsque le ministère perd sa majorité404. En outre, Pellegrino Rossi, premier titulaire d’une chaire de droit constitutionnel créée à l’initiative de Guizot en 1834, oppose à son tour la « responsabilité morale et politique », forme normale, et « responsabilité judiciaire », « un des actes les plus graves du système représentatif ». Ainsi, « il est clair que l’absence de dispositions constitutionnelle prévoyant expressément une responsabilité politique des ministres ne permet pas de conclure à son inexistence »405.

A cette problématique de la responsabilité mettant en avant les rapports déséquilibrés entre pouvoirs exécutif et législatif, s’ajoute celle de l’indépendance de la justice, qui entretient avec l’Assemblée un grand nombre de rapports suscitant certaines interrogations.

Dans le document Mémoire de recherche en droit public (Page 105-108)

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