• Aucun résultat trouvé

La convocation régulière d’une Assemblée légitimement constituée

Dans le document Mémoire de recherche en droit public (Page 64-67)

SECTION 2 : U NE TRANSITION « DEMOCRATIQUE » PREPARANT LA C ONSTITUTION

B) La convocation régulière d’une Assemblée légitimement constituée

L’étude des périodes révolutionnaires permet de mettre en évidence la volonté qu’ont leurs acteurs d’ancrer leurs actions dans un cadre légitime. En effet, « l’usurpation du pouvoir constituant par une autorité constituée ou par une autorité auto-constituée conduit l’usurpateur à rechercher dans la formation d’un corps constitué légitime la validation de ses actes et l’élaboration de la nouvelle Constitution, c’est-à-dire l’exercice positif du pouvoir constituant »252. Cette usurpation, désignant l’action par laquelle une personne ou, par extension, une entité, « est entrée en possession d’une chose sur laquelle quelqu’un d’autre possède un droit »253, ne peut ainsi atteindre son objectif, en l’occurrence l’élaboration de la Constitution, que si elle est accompagnée d’une légitimité nécessaire.

Ce processus de légitimation, qui veut que le pouvoir révolutionnaire « usurpateur » se tourne vers le peuple, peut s’opérer de deux manières. La première, directe, consiste à convoquer le peuple « en tant que pouvoir décisionnel »254. La seconde, indirecte, consiste quant à elle à demander au peuple d’exercer son droit de suffrage, « afin de désigner des représentants qui exerceront pour lui et en son nom la compétence constituante »255, créant ainsi « une sorte de relais entre l’autorité usurpatrice du pouvoir constituant, qui procède à la rupture juridique

249 DENQUIN (Jean-Marie), Référendum et plébiscite : essai de théorie générale, Paris, LGDJ, coll : Bibliothèque constitutionnelle et de science politique, 1976, p. 4

250 DELANNOI (Gil), « Pour un bon usage du référendum », Esprit, vol. juin, no. 6, 2013, pp. 127-129.

251 LUCHAIRE (François), op.cit., p. 167

252 Ibid., p. 535

253 LOCKE, Le second traité du gouvernement, Puf, Coll : Épiméthée, 1994, Paris, p. 143

254 Ibid.,

255 Ibid.,

LE REFUS DE TOUTE CONTINUITE AVEC L’ORDRE CONSTITUTIONNEL DE JUILLET

55

révolutionnaire, et un organe constituant nouveau dont la fonction est à la fois de légitimer l’usurpation de son géniteur et d’exercer formellement le pouvoir constituant afin d’adopter la nouvelle Constitution »256. Cette classification renvoie en définitive à la théorie de la démocratie représentative d’une part, réalisée par le recours à une Assemblée, et à celle de la « démocratie césarienne », de type bonapartiste257 d’autre part. Il est en outre possible, « à partir des modalités concrètes d’exercice du pouvoir constituant », de classer les « modes d’établissement des nouvelles constitutions en « modes d’établissement démocratiques » et en « modes d’établissement non démocratiques » »258, ces derniers modes pouvant être ouvertement non démocratiques ou l’être au contraire d’une manière dissimulée259. Les chartes de 1814 et 1830, en tant qu’elles « excluent toute intervention du peuple, pris dans son ensemble, sous quelque forme que ce soit »260, entrent ainsi dans la première catégorie, même si la Charte de 1830, « est bien l’œuvre d’une assemblée mais d’une assemblée élue au suffrage censitaire, par un très petit nombre d’électeurs »261.

En 1848, les révolutionnaires désireux de rompre avec cet ordre constitutionnel262, choisissent ainsi le modèle démocratique, à savoir la convocation d’une Assemblée nationale constituante.

La mise en place d’une telle Assemblée s’opère en deux temps que sont la déclaration de principe et le décret officiel prévoyant les élections. Le Gouvernement provisoire, réuni le 4 mars 1848 en Conseil des membres du Gouvernement et des ministres, affirme dans un premier temps que « l’Assemblée nationale décréterait la Constitution » et que « l’élection aurait pour base la population »263. C’est ensuite que, par un décret du 5 mars, après avoir affirmé qu’il voulait « remettre le plus tôt possible aux mains d’un gouvernement définitif des pouvoirs qu’il exerce dans l’intérêt et par le commandement du peuple », le Gouvernement provisoire décide de la tenue des prochaines élections.

Réunie pour la première fois le 4 mai, la nouvelle Assemblée, désormais légitimée par la sanction du suffrage universel, peut s’adonner à sa fonction constituante. Ce jour inaugure ainsi une nouvelle période, « qui doit marquer progressivement la fin du provisoire et donner à la

256 Ibid.,

257 BARTHELEMY (Joseph), « la crise de la démocratie représentative », RDP, 1928, pp. 584-567

258 ALDJIMA NAMOUNTOUGOU, (Matthieu), « Le changement de République en droit constitutionnel contemporain », Revue française de droit constitutionnel, vol. 114, no. 2, 2018, pp. 395-418.

259 Ibid.,

260 MELIN-SOUCRAMANIEN (Ferdinand), Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 2015, p. 72

261 Ibid.,

262 Voir en ce sens introduction

263 Séance du Gouvernement provisoire, 4 mars 1848

56

République toute sa légitimité et sa légalité »264. Cette réunion est prévue par un décret du 2 mai, qui contient « une sorte de règlement provisoire »265 : les membres se répartissent entre 18 bureaux comprenant chacun 50 élus, pris sur la liste générale et par ordre alphabétique, du département qui les a désignés. Cette légitimité est notamment corroborée par la forte participation du 23 avril, qui mobilise 7 835 000 électeurs, soit 83,69% des inscrits. La méfiance suscitée par les « désordres parisiens » donne à cette assemblée une majorité modérée.

Majoritairement composé d’hommes nouveaux, elle fait apparaître trois grandes forces que sont les républicains « avancés » d’abord, candidats de la Réforme (une centaine), les monarchistes légitimistes et orléanistes ensuite (300), les républicains « modérés » enfin, de la nuance du National, caractérisés à la fois par leur nombre (500) et leur inexpérience. Comme le souligne notamment François Luchaire et Marcel Morabito, cette composition constitue une « claire condamnation du radicalisme parisien de février »266.

Une fois constituée, elle adopte la motion suivante : L’Assemblée nationale, fidèle interprète des sentiments du peuple qui vient de la nommer, avant de commencer ses travaux, déclare, au nom du peuple français et à la face du monde entier, que la République, proclamée le 24 février est et restera la forme du Gouvernement de la France ». Cette motion est d’une importance fondamentale en ce que si l’Assemblée « n’était pas liée par la proclamation de la République faite par le Gouvernement provisoire, elle l’était par la décision du peuple français »267. Les conditions de réunion de l’Assemblée nouvellement élue met en lumière une autre caractéristique majeure de la Révolution de 1848 qu’est l’usage du suffrage universel comme instrument de légitimation du pouvoir constituant.

II- Le suffrage universel comme instrument de légitimation du nouveau pouvoir constituant

Le décret du 5 mars 1848 revêt une importance fondamentale dans l’histoire constitutionnelle française. En déclarant dans son article 5 que « le suffrage sera direct et universel », il rompt effectivement avec une tradition électorale censitaire qui était alors la règle et dont l’absence de remise en cause constitua l’une des origines profondes de la Révolution de février. L’analyse

264 APRILE (Sylvie), La révolution inachevée, Coll : Histoire de France, éditions Belin, Paris, 2010, p. 302

265 LUCHAIRE (François), op.cit., p. 35

266 MORABITO (Marcel), op.cit., 239

267 THUMEREL (Isabelle), op.cit., p. 401

LE REFUS DE TOUTE CONTINUITE AVEC L’ORDRE CONSTITUTIONNEL DE JUILLET

57

succincte des systèmes électoraux prérévolutionnaires permet d’ailleurs d’apporter certains éléments de compréhension sur l’importance déterminante des élections de 1848 dans l’histoire de la République française. Rompant avec l’histoire électorale et constitutionnelle française (A), cet instrument contribue également à la concrétisation de la théorie de la souveraineté nationale (B).

Dans le document Mémoire de recherche en droit public (Page 64-67)

Documents relatifs