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La mutation et l’enrichissement du concept de citoyenneté

Dans le document Mémoire de recherche en droit public (Page 122-126)

SECTION 2 : U NE TRANSITION « POLITIQUE » CONSTITUTIONNALISANT DES PRINCIPES

B) La mutation et l’enrichissement du concept de citoyenneté

Phénomène à la fois politique et juridique, la notion de citoyenneté acquière en 1848 une signification tout à fait particulière. Avant la Révolution de février, celle-ci renvoie effectivement à une définition bien déterminée, le citoyen étant alors simplement « représenté par un Etat producteur de lois dont il était le sujet »449. Cette conception restrictive des citoyens

« rendait superflue leur participation aux processus de décision »450 en tant qu’elle ne les incluait que dans le cadre limitatif de la légitimation du pouvoir en place, excluant toute implication de ces derniers dans la société politique. Or, comme le souligne Pierre Rosanvallon, une telle conception du rôle du citoyen est particulièrement restrictive expliquant ainsi que, dès

448 LUCHAIRE (François), op.cit., p. 75

449 HAYAT (Samuel), op.cit., p. 106

450 Ibid.,

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le début de la Révolution française de 1789, se développe progressivement la notion de

« pouvoir de surveillance », ayant pour fonction de « contrebalancer la tendance des représentants à s’autonomiser, à se muer en une espèce d’aristocratie de fait »451. Conscient de cette réalité, les révolutionnaires de février opèrent, en déclarant agir au nom du peuple français, le passage d’une représentation « exclusive » à une représentation « inclusive »452, respectivement caractérisées par l’exclusion des représentés et la « réactivation d’un usage différent de la représentation politique »453. En outre, cette représentation inclusive réside dans le fait que « chaque citoyen peut avoir un rôle actif dans la société : il n’est plus réduit au rôle de citoyen passif »454. Si le Gouvernement provisoire ne rompt certes pas avec la représentation, en ce que les citoyens demeurent après la Révolution de 1848 des « citoyens-sujets », et plus encore avec la consécration du suffrage universel, il demeure qu’à partir de février, la citoyenneté connaît une véritable « pluralisation de ses domaines d’actions »455. C’est ainsi que se développe le « citoyen-combattant »456, de par son intégration au sein de la Garde nationale, ou encore le « citoyen-ouvrier »457, né de la volonté des révolutionnaires d’appréhender concrètement, par le prisme institutionnel, la question ouvrière et par extension sociale.

La place et la fonction du citoyen représentent également, pour les constituants, des sujets d’une importance capitale. En témoigne les nombreuses dispositions du texte constitutionnel de novembre, qui lui consacre par ailleurs un chapitre entier, le Chapitre II, Droits des citoyens garantis par la Constitution, auxquelles s’ajoutent des dispositions qui, quand bien même ne concernent t’elles pas directement le citoyen, l’implique d’une manière ou d’une autre.

Ce dernier est tout d’abord défini de manière passive, investi de devoirs, confortant ainsi l’idée d’un citoyen-électeur ayant pour fonction première d’assurer la légitimité de la représentation. Cette idée est notamment développée par l’article VI, qui affirme que « des devoirs réciproques obligent les citoyens envers la République, et la République envers les citoyens ». C’est également en ce sens que l’article VII dispose que « les citoyens doivent aimer la Patrie, servir la République, la défendre au prix de leur vie, participer aux charges de l’Etat

451ROSANVALLON (Pierre), La contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance, Editions du Seuils, Coll : Essais, Paris, 2015, p. 35

452 HAYAT (Samuel), op.cit.,

453 Ibid., p 107

454 SAINT-BONNET (François), « Le combat pour les libertés publiques à la fin du Second Empire », Jus Politicum, n° 5

455 HAYAT (Samuel), op.cit.,

456 HINCKER (Louis), Citoyen-Combattant à Paris, 1848-1851, Villeneuve d’Ascq, Presse universitaire du Septentrion, 2007

457 COTTEREAU (Alain), « Droit et bon droit », Annales. Histoire, Sciences sociales, Vol. 57, n°6, 2002, p. 1528

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en proportion de leur fortune », qu’ils « doivent s’assurer, par le travail, des moyens d’existence, et, par la prévoyance, des ressources pour l’avenir », ou encore qu’ils « doivent concourir au bien-être commun en s’entraidant fraternellement les uns les autres, et à l’ordre général en observant les lois morales et les lois écrites qui régissent la société, la famille et l’individu ». Un certain nombre de dispositions constitutionnelles consacrent en outre des obligations. C’est ainsi qu’est affirmé que « la loi électorale déterminera les causes qui peuvent priver un citoyen français du droit d’élire et d’être élu. – Elle désignera les citoyens qui, exerçant ou ayant exercé des fonctions dans un département ou un ressort territorial, ne pourront y être élus » (article 27). En cas de tentative de dissolution de l’Assemblée nationale par le Président de la République, ordre est donné au citoyen « de lui refuser obéissance » (article 68).

A ces dispositions contraignantes s’ajoutent néanmoins celles vectrices de libertés et de protection. C’est ainsi qu’est affirmée, à titre d’illustration, que « la République doit protéger le citoyen dans sa personne, sa famille, sa religion, sa propriété, son travail, et mettre à la portée de chacun l’instruction indispensable à tous les hommes » (article VIII), que « les citoyens ont le droit de s’associer, de s’assembler paisiblement et sans armes, de pétitionner, de manifester leurs pensées par la voie de la presse ou autrement » (article 8), ou encore que

« tous les citoyens sont également admissibles à tous les emplois publics, sans autre motif de préférence que leur mérite, et suivant les conditions qui seront fixées par les lois » (article 10).

L’article 1er, seul article du Chapitre I, affirme quant à lui solennellement que « la souveraineté réside dans l’universalité des citoyens français », assimilant de fait le citoyen au seul souverain légitime.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, témoignant à la fois de l’importance de la liberté pour les révolutionnaires de 1848 ainsi que de leur conception à la fois extensive et exigeante du citoyen, source de toute souveraineté, il est ainsi possible d’affirmer que la Constitution du 4 novembre marque la consécration solennelle d’un régime aux principes forts et intangibles.

Cependant, le trait caractéristique de la Révolution de 1848 réside dans le fait que celle-ci survient à une époque particulière, à l’occasion de laquelle émerge dans le débat public une problématique qui structure encore aujourd’hui l’ensemble des sociétés modernes et industrialisées, à savoir la question sociale.

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§ 2 : La consécration constitutionnelle de la question sociale

L’étude de la transition constitutionnelle de 1848 ne saurait prétendre à l’exhaustivité si n’était pas abordée l’une des problématiques majeures expliquant, en grande partie, les caractéristiques singulières de la Constitution du 4 novembre, à savoir la question sociale.

Favorisée par les difficultés industrielles et commerciales que connaît la France du XIXème siècle, cette Révolution se fait effectivement l’écho d’une société en crise, voyant émerger le problème ouvrier, porté par la cristallisation d’un conflit de classes au premier rang desquelles figure une catégorie sociale en gestation, le prolétariat. Plus particulièrement, comme le souligne Pierre Rosanvallon dans son ouvrage L’Etat de 1789 à nos jours, 1848 opère un véritable « tournant social républicain ». Catalysé par l’émergence et la diffusion des idées socialistes en France et en Europe, avec l’influence notable de l’école saint-simonienne mais également des écrits d’Auguste Comte, le problème social trouve, à l’occasion de la transition constitutionnelle de 1848, une traduction juridique particulière. Aux premiers jours de la Révolution, les membres du Gouvernement provisoires, soucieux d’inscrire le nouveau cadre républicain dans une dynamique à la fois démocratique et sociale, s’adonnent à l’institutionnalisation de cette question (I). Néanmoins, à cette volonté originelle se substitue, le 4 novembre, un texte constitutionnel pragmatique qui, bien qu’évoquant à plusieurs reprises la place fondamentale du travail, ne consacre cependant pas l’existence d’un réel « droit au travail » (II).

I- La réponse institutionnelle initiale au problème social

En s’engageant, au lendemain de la Révolution, à « garantir l’existence de l’ouvrier par le travail », à « garantir du travail à tous les citoyens » et à reconnaître que « les ouvriers doivent s’associer entre eux pour jouir du bénéfice légitime de leur travail »458, les révolutionnaires de 1848 placent incontestablement leur action dans une dynamique sociale, rompant ainsi avec la vision individualiste de la société limitant l’intervention de l’organe étatique. Cet élément réside dans le fait que « l’évolution économique et industrielle a en effet progressivement manifesté les limites d’un système de régulation sociale régi par les seuls principes de la responsabilité individuelle et du contrat »459. Dès lors, avec la naissance du mouvement ouvrier, la question

458 Décret du Gouvernement provisoire, 25 février 1848

459 ROSANVALLON (Pierre),L’Etat en France, de 1789 à nos jours, Editions du Seuil, Coll : Histoire, Paris, 1990, p. 153

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du paupérisme se substitue progressivement à celle de l’assistance aux indigents460. 1848 est ainsi l’occasion d’opérer une véritable rupture, qui se veut avant tout pragmatique, par la création de structures spécifiques que sont la Commission du Luxembourg d’une part, institution en charge d’accompagner la mutation des rapports sociaux (A), et les ateliers nationaux d’autre part, ayant vocation à répondre à la problématique de l’emploi des ouvriers parisiens (B).

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