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Artisans et temporalités de la transition constitutionnelle de 1848

Dans le document Mémoire de recherche en droit public (Page 30-33)

L’étude de la juridicité d’une période historique nécessite de suivre une véritable méthodologie, rendant à la fois compte de la temporalité étudiée ainsi que des acteurs impliqués.

Ces éléments établis, ils permettront ainsi de « resituer le processus dans la chaîne des évènements qui marquent cette époque et d’en resituer le sens et l’intelligibilité »100.

Comme évoqué précédemment, la transition constitutionnelle de 1848 fait apparaître successivement deux temporalités. La première, suivant directement la Révolution, est conduite par le Gouvernement provisoire, en charge de l’expédition des affaires courantes. La seconde, assurée par l’Assemblée nationale constituante, la Commission de la Constitution, la Commission du pouvoir exécutif et le « Gouvernement Cavaignac », va consister en la

98 THUMEREL (Isabelle), op.cit., Tome II. p. 731

99 Voir en ce sens CARTIER (Emmanuel), op.cit., p. 27

100 Ibid.,

INTRODUCTION

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rédaction du texte constitutionnel d’une part, et en la poursuite de la production des normes infraconstitutionnelles d’autre part.

Cette différenciation renvoie à celle, plus générale, qu’opère Olivier Beaud dans son ouvrage La puissance de l’Etat, dans lequel il distingue la phase de décisions préconstituantes et la phase de décisions constituantes. La première exprime « la volonté politique de recourir à une nouvelle constitution » et « organise la transition constitutionnelle en préparant la procédure constituante proprement dite », la seconde ponctue quant à elle « l’édiction de la loi constitutionnelle, imite le processus de la procédure législative ordinaire : initiative, discussion, adoption, ratification, promulgation »101.

Loin d’être indépendantes, ces deux temporalités sont en réalité indissociables du processus transitionnel. Cette idée de logique et de continuité a d’ailleurs été évoquée par un certain nombre d’auteurs. C’est notamment le cas de Willy Zimmer, pour qui les actes préconstituants correspondent à des « actes qui, sans être assimilables à l’acte constituant lui-même, le précèdent et participent à son élaboration de façon déterminante »102, ou encore de Boris Mirkine-Guetzévich, qui souligne leur implication dans « le fonctionnement et l’organisation des pouvoirs publics avant la promulgation de la Constitution définitive »103.

La mise en commun de ces définitions permet d’attribuer aux actes préconstituants trois objets, mis en exergue par Isabelle Thumerel dans sa thèse portant sur les périodes de transition constitutionnelle : ils expriment d’abord « la volonté de changer de constitution au travers des actes d’initiative préconstituante », ils déterminent ensuite « les autorités compétentes pour préparer la nouvelle constitution ainsi que la procédure constituante par les décisions attributives du pouvoir constituant », ils organisent enfin « les pouvoirs publics provisoires »104.

Dans le cadre de la Révolution de 1848, le premier objet correspond à l’action du Gouvernement provisoire qui, en proclamant la République, certes provisoirement, exprime la volonté de changer d’ordre constitutionnel. Le second fait intervenir deux acteurs, le Gouvernement provisoire et l’Assemblée nationale constituante, qui, respectivement, décrète

101 BEAUD (Olivier), La puissance de l’Etat, Paris : Puf, coll. « Léviathan », 1994, p. 263

102 ZIMMER (Willy), « La loi du 3 juin 1958 : contribution à l’étude des actes préconstituants », RDP, 1995, p.

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103 MIRKINE-GUETZEVITCH (Boris), La quatrième République, New York : édition de la maison française, coll. « Bibliothèque républicaine, 1946, p. 102

104 THUMEREL (Isabelle), op.cit., p. 54

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la tenue d’élections pour désigner une assemblée constituante en avril105, et nomme la Commission de la Constitution106, en charge de rédiger le projet de loi constitutionnel. Le troisième objet est assuré quant à lui par l’ensemble des acteurs, qui concourent effectivement tous, selon leurs attributions respectives, à l’organisation des pouvoirs publics. Le Gouvernement provisoire assure, jusqu’à la remise de sa démission à l’Assemblée nationale le 9 mai, l’intégralité des fonctions exécutives. L’Assemblée nationale constituante « confie le pouvoir exécutif à une commission exécutive qui choisira des ministres hors de son sein », et

« procède au scrutin sur la nomination des membres »107. Enfin, la Commission du pouvoir exécutif, prenant la relève du Gouvernement provisoire, dispose du pouvoir exécutif, jusqu’aux journées insurrectionnelles de juin, qui ont pour conséquence l’appel du Général Cavaignac qui assure ces fonctions jusqu’à l’entrée en vigueur de la Constitution du 4 novembre.

L’élaboration du texte constitutionnel républicain de 1848 rappelle, à plusieurs égards, l’entreprise de 1789. Ce texte fait effectivement l’objet d’une « procédure minutieuse »108, laissant apparaître six phases regroupant le premier projet de la Commission le 19 juin, l’examen par les quinze bureaux de l’Assemblée, le projet définitif le 30 août, la discussion par l’Assemblée du 4 au 21 octobre, un nouveau renvoi en Commission, puis la révision finale du texte du 2 au 4 novembre. Cette Commission, composée de 18 membres, reflète la composition politique de l’Assemblée, qui procède par ailleurs à sa désignation les 17 et 18 mai. C’est en ce sens que l’on y trouve une majorité d’hommes représentant la tendance du National (Marrast, Pagès), une minorité radicale (Corbon, Lamenais), ainsi qu’une représentation conservatrice, composée d’anciens parlementaires tels que Tocqueville, Barrot, Beaumont ou Dufaure. La présidence de la Commission est assurée par Louis Marie de Lahaye de Cormenin, jurisconsulte, homme de lettre homme politique français, qui publie, en août 1848, un Petit pamphlet sur le projet de constitution.

La présente étude a donc pour objet de rendre compte de la complémentarité fondamentale entre ces différentes temporalités ainsi que les acteurs impliqués dans la transition constitutionnelle de 1848. Le processus transitoire, élaboré et mis en œuvre par les autorités

105 Décret du Gouvernement provisoire, 5 mars 1848

106 Dans le cadre de la présente étude, la Commission de la Constitution sera assimilée pour une large part à l’Assemblée nationale constituante. Il doit en effet être observé qu’elle constitue une émanation de l’Assemblée (qui la créée le 11 mai), qu’elle entretient des rapports constants avec elle, et que son travail est conditionné par l’approbation des parlementaires qui votent le projet de constitution

107 Procès-verbal, Assemblée nationale, séance du 11 mai 1848

108 MORABITO (Marcel), Histoire constitutionnelle de la France, de 1789 à nos jours, 15e édition, Paris, LGDJ, 2018, p. 241

INTRODUCTION

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révolutionnaires, est en effet le résultat d’une coordination à la fois riche et complexe, ou s’opère la conciliation entre le renversement d’un ordre constitutionnel vivant ses derniers instants, et la détermination, la création puis la stabilisation d’un régime en gestation.

Pour rendre compte de la complexité de ce processus transitionnel, il apparaît enfin important d’opérer, dans le cadre de la présente introduction, un certain nombre de précisions sur les sources utilisées pour la compréhension des mécanismes normatifs ayant cours à l’occasion de cette période transitoire.

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