• Aucun résultat trouvé

4.2 L’accès aux soins des bénéficiaires de l’AME

4.2.1 Caractéristiques des bénéficiaires de l’AME

4.2.1.4. La précarité

D’après l’INPES, la précarité se définit comme la condition qui résulte de l’« absence d’une ou de

plusieurs sécurités, notamment celle de l’emploi, permettant aux personnes et aux familles d’assumer leurs obligations professionnelles, familiales et sociales et de jouir des droits fondamentaux. L’insécurité qui en résulte peut être plus ou moins étendue et avoir des conséquences plus ou moins graves et définitives. Elle conduit à la grande pauvreté quand elle affecte plusieurs domaines de l’existence, quand elle devient persistante, quand elle compromet les chances d’assumer à nouveau ses responsabilités et de reconquérir ses droits par soi-même. »

Ainsi, et comme l’ont souligné les médecins des focus-groupes, la plupart des bénéficiaires de l’AME qui sont en situation illégale sur le territoire français avec un logement non stabilisé, dans l’impossibilité d’avoir une activité professionnelle et coupés de leur réseau social et familial, dans un pays culturellement différent peuvent être considérés comme précaires et même « précaires parmi les précaires ».

D’après l’observatoire de Médecins du Monde en 2016 [27], plus du tiers (34 %) des consultants indiquent limiter leurs activités et leurs déplacements de peur d’être interpellés par les forces de l’ordre. De fait, si l’on considère juste le nombre de déplacements à effectuer à l’occasion d’une demande d’AME (domiciliation, entretiens à la CPAM, contact avec les travailleurs sociaux, rendez-vous divers), c’est à l’évidence un facteur supplémentaire de non accès aux droits et de renoncement aux soins.

Depuis plusieurs décennies, la lutte contre l’immigration irrégulière est une des priorités affichées du gouvernement français. Avec le ralentissement de la croissance et l’envolée du chômage provoqués par le choc pétrolier de 1973, les étrangers font de plus en plus figure de concurrents indésirables sur un marché du travail devenu trop étroit, justifiant, pour les gouvernements successifs, que soient mises en place des politiques de maîtrise des flux migratoires. L’interpellation de l’étranger en situation irrégulière est l’étape première de la procédure conduisant à l’éloignement

effectif du territoire français. D’après une circulaire de 2006 [51], elle peut se faire sur la voie publique, dans les transports en commun, au décours d’un contrôle d’identité ou même à la préfecture, dans la salle d’attente d’un médecin, le hall d’accueil de l’hôpital mais également dans les parties communes des hébergements-foyer de migrants.

Comme souligné par F12, il existe un paradoxe sociétal. D’un côté l’État français propose une couverture maladie aux étrangers en situation irrégulière bien plus large que dans la majorité des pays européens et ce, notamment pour des raisons historiques (la France, pays des droits de l’homme, etc.) et de l’autre, démantèle les lieux de vie informels, assigne à résidence ou enferme en centre de rétention et expulse du territoire français ces mêmes personnes. Au centre de ce paradoxe, les patients et les soignants qui les prennent en charge peuvent se trouver désemparés.

Par ailleurs, une des spécificités des bénéficiaires de l’AME soulignée dans notre enquête est la difficulté, ressentie par les médecins, qu’ils ont à prendre et à tenir un rendez-vous. Cette difficulté est également retrouvée dans la littérature mais ne semble pas spécifique aux bénéficiaires de l’AME mais plutôt aux patients précaires en général.

Prendre un rendez-vous est un acte complexe [52]. En effet, cet acte suppose dans un premier temps l’accès à un téléphone, ou tout du moins un déplacement préalable chez le médecin. Il nécessite de savoir s’exprimer et de comprendre la langue pour pouvoir répondre à certaines questions. Enfin, cela nécessite de pouvoir écrire la date du rendez-vous ou de se souvenir de la date et de l’heure de celui-ci. Malheureusement, le public visé par l’AME fait régulièrement face à des circonstances de la vie qui impliquent que parfois, le jour du rendez-vous, d’autres priorités ont surgi ou que le papier où était noté le rendez-vous est perdu (patients sans domicile fixe ou stable). Ainsi dans des histoires de vie compliquées, la prise de rendez-vous peut être difficile, voire impossible et devenir un obstacle à l’accès aux soins.

Cette constatation a été soulignée par une thèse qualitative de médecine générale de 2016 [53] s’attachant à rechercher les causes de rendez-vous manqués par les patients bénéficiaires de l’AME, et de la CMU ou de l’ACS. Une autre thèse soutenue en 2013 [54] a comparé les profils socio- démographiques des patients consultant avec et sans rendez-vous, ainsi que les raisons motivant ce choix. Il s’agit d’une enquête épidémiologique cas/témoins transversale auprès de 314 patients, toutes couvertures sociales confondues, dans les salles d’attente de quatre cabinets de médecins généralistes du secteur 1 à Paris. Dans cette étude, 9 patients bénéficiaires de l’AME étaient inclus

et tous étaient dans le groupe des sans rendez-vous. De plus, les patients venant en consultation sans rendez-vous étaient plus souvent de nationalité et d’origine étrangères (43% des patients venant sans rendez-vous contre 18% des patients venant avec rendez-vous). La thèse pointe également que pour une minorité de patients (4%), les raisons qui faisaient préférer le sans rendez-vous témoignaient d’une situation de grande précarité : barrière linguistique (4.1% des réponses), difficultés pour téléphoner (3.7%) et prise de rendez-vous jugée trop compliquée (4%). Certes le faible échantillon de patients empêche d’extrapoler à l’ensemble de la population hétérogène des bénéficiaires de l’AME. Néanmoins, cette étude tend à confirmer le fait que le « tout sur rendez- vous » serait un frein à l’accès aux soins des patients AME et aux patients précaires en général.