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4.1.1 Validité externe

Dans le contexte social et politique actuel sur le dispositif de l’AME, l’accès effectif aux soins par les bénéficiaires de l’AME à Bordeaux Métropole et leur accompagnement en médecine générale n’ont pas été investigués. À ce jour, il reste difficile de mesurer tant l’efficacité du dispositif (suivi des soins pour limiter des complications de santé), que son efficience (réalité de l’accès des personnes qui pourraient en bénéficier). Les quelques enquêtes nationales exploratoires dont nous disposons montrent que ce dispositif, souvent décrié par une partie de la classe politique française, provoque parfois des résistances chez les médecins et spécialistes médicaux [9], [10], [25] entraînant des parcours thérapeutiques jalonnés d’obstacles, des discriminations et, subséquemment des ruptures de traitement, ou des renoncements aux soins. Cette étude cherche à apporter des éléments concrets sur l’utilisation du dispositif par les médecins généralistes et son efficacité pour répondre aux besoins de la population des bénéficiaires de l’AME.

Cette enquête s’inscrit dans le cadre d’une étude plus vaste « Premier Pas » avec un volet qualitatif et quantitatif (cf. supra), ce qui constitue également une force. En effet, l’expérience des autres chercheurs (anthropologues, sociologues, économistes) ainsi que la diversité des séminaires ANR- Premiers Pas proposés ont enrichi ma réflexion et permettent une diversité des points de vue sur le sujet.

4.1.2 Validité interne : la méthode

La méthode qualitative permet d’explorer les émotions, les ressentis, les attitudes ainsi que les comportements (leurs déterminants) et les expériences vécues. Recueillir des données de terrain, concrètes constitue une force de notre étude. Les recommandations que nous pouvons établir proviennent des acteurs de terrain qui connaissent et vivent au quotidien les leviers d’accès aux soins des bénéficiaires de l’AME.

Les entretiens collectifs permettent de discuter, d’échanger, de confronter et de commenter les pratiques de chacun de manière à la fois libre et semi-guidée par un guide d’entretien préétabli. Les

informations données par les uns vont générer d’autres informations par les autres. Les données qui découlent de la mise en commun des discussions du groupe sont souvent beaucoup plus riches que celles obtenues lors de la réalisation d’entretiens individuels. Ainsi, le focus-groupe permet de saisir les prises de positions parfois confrontantes, en interaction les unes avec les autres, et non de manière isolée. Le focus-groupe permet à la fois l’analyse des accords mais aussi des désaccords grâce à la prise en compte des interactions sociales qui se manifestent dans la discussion. C’est la méthode privilégiée pour les enquêtes de type « retour d’expérience » dans la mesure où le public cible (ici les médecins généralistes) appartient à la même communauté (i.e. sont soumis aux mêmes règles et incertitudes). Par ailleurs, le traitement des bénéficiaires de l’AME et donc des patients migrants irréguliers en France est un sujet souvent polémique. Cette méthode contribue à réduire les inhibitions individuelles par un effet d’entraînement (il suffit qu’un participant, plus bavard, commence à divulguer ses impressions personnelles pour que les autres y soient entraînés). Elle facilite, en outre, le travail de remémoration (l’échange des souvenirs et des perceptions opère comme un déclencheur) entre les participants.

Au cours des trois entretiens de groupe réalisés nous avons pu constater un certain nombre d’effets bénéfiques du focus-groupe sur les participants. En effet, les médecins ont pu partager leurs expériences, affirmer leurs valeurs (ce qui semblait être important pour une majorité de participants) et décrire leurs fonctionnements respectifs. Cela a pu avoir plusieurs effets positifs :

• prendre conscience du travail qu’ils accomplissent chaque jour et mieux en apprécier la valeur (réussites comme difficultés) ;

• renforcer leur sentiment d’appartenir à un groupe qui partage des valeurs communes que l’on pourrait qualifier d’humanistes ;

• profiter de l’expérience des uns et des autres (par échanges de « tuyaux », de coordonnées téléphoniques par exemple) ;

• améliorer leurs pratiques personnelles et consolider leurs compétences à l’égard de la population migrante et précaire ;

• échanger sur leurs difficultés et les injustices qu’ils ressentent sur le « chaos » et le paradoxe du monde dans lequel ils évoluent.

Ainsi les focus-groupes ont pu jouer le rôle de catharsis et par conséquent entraîner un effet de remobilisation des médecins généralistes à agir pour un meilleur accès aux soins des bénéficiaires de l’AME.

4.1.3 Limites liées à la méthode

4.1.3.1. Biais de sélection

Afin de constituer notre échantillon, nous avons contacté plus de soixante-dix médecins généralistes travaillant dans les zones où vivent des bénéficiaires de l’AME. Seuls 13 médecins ont pu participer aux différents focus-groupes. Ainsi nous pouvons donc constater un biais de volontariat : les médecins venus aux focus-groupes sont intéressés par la thématique de l’AME et ne sont peut-être pas représentatifs de l’ensemble des médecins généralistes exerçant dans les zones sus-nommées. De plus la majorité des médecins interrogés ont une expérience auprès du public étranger, en situation irrégulière sur le territoire français, et/ou précaire ce qui constitue un biais de recrutement : les praticiens interrogés sont actifs au sein du dispositif de l’AME et peuvent donc avoir des difficultés différentes ou moindres par rapport à la population générale des médecins.

Enfin, les participants à l’étude ont reçu une compensation pour le temps consacré aux entretiens de groupe. Même si la plupart des participants nous ont fait savoir qu’ils n’avaient pas participé pour la rémunération, cela a pu constituer un biais de sélection ou un équivalent de conflit d’intérêt.

4.1.3.2. Biais de classement

Les médecins interrogés nous ont relaté leurs expériences passées les plus marquantes. Ils ont pu oublier avec le temps d’autres situations moins caricaturales et notamment les situations qui ne présentaient pas de difficulté. De même, ils ont peut-être rapporté davantage les anecdotes les plus récentes laissant de côté d’autres situations marquantes plus anciennes. Cela constitue donc un biais de mémorisation.

De par la prise de position clivante et stigmatisante d’un des participants du premier focus-groupe, les autres participants ont pu réagir, en colère, par une prise de position tranchée, moins nuancée, à l’extrême opposé en « forçant le trait » de leurs pratiques de soin dans une attitude défensive. Il s’agit là d’une des limites de la méthodologie, à savoir produire un discours normé sur le groupe. De plus, de part la méthode même des entretiens de groupe, des informations concernant certaines situations ou difficultés ont pu être omises ou maquillées par honte ou par peur du jugement des

pairs par les participants. Et à l’inverse, d’autres situations de vie plus « glorieuses », à l’origine d’une certaine fierté personnelle, ont pu être exagérément mises en avant. Cela entraîne un biais d’information.

La multiplication des focus-groupes jusqu’à saturation des données est un facteur protecteur de ces biais de classement.

4.1.4 Limites liées à l’analyse

Le contenu des verbatims et l’exacte retranscription des entretiens n’est pas vérifiable, cela pourrait ainsi constituer un biais de déclaration. Enfin, un biais d’interprétation est indissociable de la recherche qualitative car c’est son objectif principal. Néanmoins il est contrebalancé par la retranscription « ad integrum » des enregistrements, et par le double codage.