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LA PERCEPTION : LA PUISSANCE DE L’ARTISTE

Chapitre I : Le Conte Vraisemblable — une histoire reniée

Chapitre 4 : L’Art de la Connaissance ― autour de Teste

I. LA PERCEPTION : LA PUISSANCE DE L’ARTISTE

« Une œuvre d’art devrait toujours nous apprendre que nous n’avions pas vu ce que nous voyons. » (Œ, I, p.1165)

Les rôles de l’œil

Commençons à réfléchir aux opérations sur le monde physique. Ce que Valéry cherche dans sa quête des œuvres en prose est un certain type de réalisme. Valéry pense que la vue est le plus important des cinq sens pour l’être humain, car nous connaissons un objet dans la plupart de cas au travers d’informations visuelles : « La forme et la couleur d’un objet sont si évidemment principales qu’elles entrent dans la conception d’une qualité de cet objet se

référant à un autre sens. » (Œ, I, p.1166). C’est la vue qui la première fournit les objets des opérations de l’esprit ; dans l’Introduction, Valéry approfondit ce sujet de la vue dans le cas particulier du peintre, dont la manière de voir est la clé de toutes les activités, la connaissance comme la création.

L’œil lui-même représente symboliquement le mouvement de la conscience chez Valéry : c’est l’organe de l’attention, orientée tantôt vers l’extérieur, tantôt vers l’intérieur. L’œil représente la mobilité de la conscience éveillée, qui intervient à la fois dans les mondes psychique et physique. Valéry écrit que la conscience, « c’est percevoir plusieurs domaines sans relation, ou qui ont des relations non connues. […] elle est donc fonction d’un intervalle – elle est de la nature d’un certain intervalle. » (C, V, p.461 ; C2, p.215). C’est donc la conscience qui nous assure de la relation entre ces deux domaines, et c’est elle également qui les lie, c'est-à-dire que si la pensée se dirige d’un objet matériel vers un autre purement abstrait sans interruption, c’est que la conscience fonctionne et établit des liens.

Par ailleurs, la conscience prend la forme d’une sphère dans l’Introduction à la méthode de

Léonard de Vinci, et cette métaphore, nous semble-t-il, connecte la fonction de la conscience

à celle de l’œil. Valéry commence par écrire que « l’observateur est pris dans une sphère qui ne se brise jamais » (Œ, I, p.1167), et précise parallèlement dans son cahier ce qu’il entend par là : « Je représente par une sphère le lieu des représentations » (CI, p.122). La sphère est donc une métaphore de la relation entre l’observateur et les objets observés, autrement dit, c’est sans doute l’image d’un œil qui contiendrait tous les objets vus. Si l’on peut aller encore plus loin, l’œil est l’esprit, la sphère sa forme : c’est l’esprit en tant que lieu des représentations.

A propos de l’aspect intérieur de cette sphère, Valéry s’imagine qu’elle est un espace rempli de lignes. Cette sphère donc définit également la manière de voir les choses sous le contrôle de la conscience. Cette idée étrange est inspirée tant par les commentaires de Maxwell sur Faraday - celui-ci « voyait des systèmes de lignes unissant tous les corps, remplissant tout l’espace » (Œ, I, p.1194), que par celle de Vinci : « "l’air […] est rempli d’infinies lignes droites et rayonnantes, entrecroisées et tissues sans que l’une emprunte jamais le parcours d’une autre, et elles représentent pour chaque objet la vraie FORME de leur raison, (de leur explication.)" » (Ibid., p.1192). Peut-être ces lignes droites sont-elles liées à la notion de continuité. Lorsqu’on se place dans le contexte d’une analogie entre l’esprit et le monde, la figure géométrique de la ligne du second pourrait apparaître dans le premier comme un mouvement de combinaisons continues des éléments. Dans une note ajoutée postérieurement à l’Introduction, Valéry écrit : « Un Moi et son Univers, en admettant que ces

mythes soient utiles, doivent, dans tout système, avoir entre eux les mêmes relations qu’une rétine avec une source de lumière. » (Ibid., p.1167). Les yeux de l’esprit lient ces deux mondes comme la conscience, en leur permettant d’être saisis par la même manière de voir.

L’œil et la sensibilité, voir en dehors de l’intelligence

Par ailleurs, Valéry pense rapprocher encore plus la perception de la sensibilité. Dans la plupart des cas, la perception alimente avant tout l’intelligence, et permet ainsi que l’on comprenne les objets par l’entendement : c’est ce que Valéry appelle la compréhension par le concept. Il croit que ce type de compréhension est éloigné de l’acte de voir authentique : c’est en effet le contraire de cette parole de Poe : « Toutes mes perceptions étaient purement sensuelles »116, et il nous semble que cette dernière idée résume admirablement l’essence de la réflexion valéryenne sur la manière de voir léonardienne.

Ne pas resté enfermé dans une compréhension conceptuelle, il s’agit donc là de la manière de voir de l’artiste puissant, qui permet toujours « de voir plus de choses qu’on n’en sait » (Œ, I, pp.1166-7). Pour donner une dimension plus concrète aux questions qu’il soulève, Valéry prend l’exemple du terme « nature » : sa signification peut être élargie autant que possible, du personnel au général, du concret à l’abstrait :

« Ce mot [la Nature], qui paraît général et contenir toute possibilité d’expérience, est tout à fait particulier. Il évoque des images personnelles, déterminant la mémoire ou l’histoire d’un individu. Le plus souvent, il suscite la vision d’une éruption verte, vague et continue, d’un grand travail élémentaire s’opposant à l’humain, d’une quantité monotone qui va nous recouvrir, de quelque chose plus forte que nous, s’enchevêtrant, se déchirant, dormant, brodant encore, et à qui, personnifiée, les poètes accordèrent de la cruauté, de la bonté et plusieurs autres intentions. » (Ibid., p.1167)

Un mot ainsi interprété variablement et utilisé au gré de chacun ne prend finalement qu’un sens personnel, et c’est un paradoxe des mots abstraits que Valéry critique : plus on dépend de cette sorte de mots, plus qu’on s’éloigne de l’universalité, et c’est ainsi que Valéry signale aux philosophes que « la permanence et l’universalité de leurs significations ne sont jamais assurées. » (Ibid.). Nous ne pouvons pas trouver la vérité avec cette utilisation des mots abstraits : il faut partir de l’étape précédente de la connaissance, c'est-à-dire qu’il faut

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commencer par voir les objets avec l’œil, et saisir l’essence des choses avant tout, et pas seulement leurs noms.

L’« Œuvre de main »

Outre l’œil, il nous semble que la main pourrait illustrer le sujet de la perception ouvrant vers un nouveau système de la connaissance. Valéry réfléchit sur la notion de l’« Œuvre de

main » (Œ, I, p.918), et apprécie la faculté de cet organe, « en quoi réside presque toute la

puissance de l’humanité, et par quoi elle s’oppose si curieusement à la nature, de laquelle cependant elle procède » (ibid., p.919). La main est profondément liée à l’intention de l’esprit humain ; elle touche et transforme les matériaux naturels.

A partir de cette remarque, Valéry cherche dans la main la fonction du langage. Tout simplement d’abord, un doigt pointé vers une chose permet de la désigner, et ce geste est un signifiant précis, comparable à un mot. En outre, Valéry suppose qu’il existe un lien entre la main et la pensée, et cette relation transparaît, selon lui, dans certains mots qui désignent les actes de l’intelligence. Le passage ci-dessous souligne ainsi les analogies remarquables entre les actes intellectuels et les gestes de la main :

« Il suffit pour démontrer cette réciprocité de services de considérer que notre vocabulaire le plus abstrait est peuplé de termes qui sont indispensables à l’intelligence, mais qui n’ont pu lui être fournis que par les actes ou les fonctions les plus simples de la main. Mettre ; - prendre ; - saisir ; - placer ; - tenir ; - poser, et voilà : synthèse, thèse, hypothèse, supposition, composition… » (Ibid.)

L’abstrait et le concret sont liés métaphoriquement, et la main représente alors les actes de l’esprit comme si même elle philosophait. C’est ainsi que le dessin devient un exercice de l’esprit. Dans le dessin, l’important est de saisir l’objet sublimé, purifié, réduit jusqu’à l’essence, tout en se gardant d’en effacer la vitalité. La forme est justement un objet réduit jusqu’à l’essence, mais elle est fixe, demeure immobile, majestueuse, impeccable jusqu’à l’excès ; elle n’est presque plus humaine, comme si elle était apparue bien avant l’objet lui- même.

Dans le dessin, la longueur d’un trait pourrait représenter la durée de l’attention, et les mouvements de la conscience s’identifient avec les lignes sur le papier. Le dessin est donc une figuration du mouvement de la conscience humaine. Dans le projet d’Agathe, Valéry se donne discrètement pour tâche d’écrire avec ce « Principe du dessin » (AG, f.183). Le dessin

est également le résultat d’un acte de l’esprit en tant qu’œuvre achevée. Il nous semble donc à ce titre que le dessin pourrait être considéré comme une représentation de l’harmonie entre l’esprit et l’œuvre.

Cette harmonie, Valéry la dépeint aussi dans la méthode de création artistique de son Léonard : « Léonard dessine, calcule, bâtit, décore, use de tous les modes matériels qui subissent et qui éprouvent les idées » (Œ, I, p.1252). Il faut remarquer que les résultats de l’acte (comme les traits du dessin) et les idées sont étroitement liés. C’est ainsi que Valéry pense que le dessin est un acte rationnel : « Le dessin, en tant qu’il représente les objets, n’est pas irrationnel. Le langage l’est. » (Œ, II, p.1465). Il suggère ici que le langage, par opposition, manque de cet accord entre faits et pensées.

Grâce aux organes physiques, l’œil et la main, certains découvrent la forme de leurs œuvres d’art. Valéry apprécie son ami Louÿs pour cette raison :

« Gide est un pur, un grave Allemand amoureux de musique et de métaphysique ; le goût de la forme belle en soi n’existe chez lui que rationnellement, admirablement, littérairement. Vous êtes l’œil et le doigt, le plastique idolâtre dont le mot dur et brillant comme une cassure de pierrerie immobilise les visions sur fond d’or. De votre côté, c’est artificiellement que vous vous inoculez l’élément indécis, ésotérique. » (Corr.GLV, p.387 : 17/01/1891)

Cette forme que Valéry suggère est essentielle pour la littérature dont il a fait une quête personnelle. Ses deux amis sont toujours confidents de cette recherche. Dans un tableau inédit nommé « 18.. 19.. », que Judith Robinson présente dans les Cahiers de l’édition Gallimard, Valéry écrit ainsi : « PL. Gide. La littérature ésotérique. » (C1, p.1446). Qu’est ce que cette littérature ésotérique ? Nous croyons que cet élément est à prendre en compte dans notre étude. Il nous semble que Valéry pense que Louÿs comprend mieux sa prose que Gide. Lorsqu’il rédige le Paradoxe sur l’architecte, dans lequel Valéry approfondit la question de la forme, son confident le plus proche est Louÿs.

L’informe et la pureté

L’œil de l’artiste capte librement les images et en saisit un nombre infini. Dans l’Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, Valéry éclaircit cette idée en prenant l’exemple d’une maison : sous le regard spécial léonardien, celle-ci se reflète comme « une forme cubique, blanchâtre, en hauteur, et trouée de reflets de vitres » (Œ, I, p.1165), et peut

être décomposée étape par étape en des parties détaillées par la réflexion de la lumière et de l’ombre. A ce moment-là, on voit en dehors de toute notion, c'est-à-dire que le système du symbolisme perd sa certitude habituelle.

Les figures qui se dessinent sur sa rétine ont un contour ambigu, comme la partie d’un nuage, ou d’un objet éclairée par hasard par la lumière. Valéry raconte son observation des objets informes comme suit : « Je regarde la fumée de ma cigarette posée ; elle est un doux ruban avec des effilés tendres sur les bords, qui s’évase, se noue, se dénoue, fait des nappes à échelons, à tourbillons, etc. » (Œ, II, p.1525). Dans les jeux d’ombres et de lumières, de mouvements et de formes, se découpent des morceaux d’objets inconnus au registre du langage. Cette sorte de figure est vierge de toute signification, c'est-à-dire que ce sont des figures pures117, que Valéry appelle des « choses qui étaient fermées, irréductibles » (Œ, I, p.1164)118.

A propos de la notion d’informe, dans Degas Danse Dessin, Valéry précise que l’informe n’est pas le manque de forme : l’informe désigne les éléments qui n’ont pas de nom donné : « Dire que ce sont des choses informes, c’est dire, non qu’elles n’ont point de formes, mais que leurs formes ne trouvent en nous rien qui permette de les remplacer par un acte de tracement ou de reconnaissance nets. » (Œ, II, p.1194). Cette notion donc sert à distinguer la fonction de savoir et celle de percevoir : « elles ne sont que perçues par nous, mais non sues » (ibid.).

Dans la pensée, Valéry garde la même conviction : « Il faut toujours partir de l’informe, du non-significatif, du zéro des valeurs ajoutées, associées. » (C1, p.358 ; C, XIII, p.152). Quand Valéry écrit : « l’un quelconque de ces objets de pensée [« une fleur, une proposition, un bruit »] peut aussi se changer, être déformé, perdre successivement sa physionomie initiale » (Œ, I, p.1161), ce processus de décomposition des figures est nécessaire pour que tout se réduise à l’état pur, autrement dit à l’état du potentiel pur. De la même manière, Valéry fait prononcer à Monsieur Teste les mots suivants : « Je sens infiniment le pouvoir, le vouloir, parce que je sens infiniment l’informe et le hasard qui les baigne, les tolère, et tend à

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Jeannine Jallat a remarqué le lien entre l’« informe » et la notion de pureté. Elle remarque, dans son étude spécifiquement orientée vers la figure léonardienne, que « l’informe est ainsi posé comme une table rase d’où l’on doit partir » (Jallat, op.cit., p.40), et encore que « l’informe n’est pas non-forme, mais pure forme, non significative. » (Ibid., p.24)

Ursula Franklin analyse les Purs Drames à travers cette manière de voir léonardienne, qu’elle nomme « un œil pur » (The Broken Angel : Myth and method in Valéry, Departement of Romance Languages, the University of North Carolina, Chapel Hill, 1984, p.56).

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Léonard de Vinci laisse de nombreux fragments à ce sujet : « Les contours et formes de chaque partie des corps à l’ombre se distinguent malaisément dans leurs ombres et leurs lumières ; mais dans les parties interposées entre les lumières et les ombres, certaines portions de ces corps atteignent au plus grand degré de netteté. » (Le Carnet de Léonard de Vinci t.II, p.352)

reprendre sa fatale liberté, sa figure indifférente, son niveau d’égale chance. » (Œ, II, p.41). Cet état d’esprit plein d’informe et d’hasard, plein d’énergie, représente l’état du commencement de la pensée, qui promet d’aller loin. A ce sujet, Valéry écrit : « Porter la pureté à l’extrême pour parvenir à tout dire. » (C1, p.340).

La géométrie : le modèle du système de notation

Cette manière de voir rejoint dans l’imagination de Valéry le concept de la géographie. Il se figure ainsi une carte qui donnerait un aspect concret aux images saisies. Dans cette carte, à la place des frontières et des noms propres, on trouverait des zones d’ombres et de lumières. Cette carte n’est bien sûr pas faite pour transmettre des connaissances, mais pour représenter les résultats de la perception pure. On pourrait dire également qu’elle est là pour l’œil, non pour l’intellect. Valéry écrit ainsi :

« Cette géographie de l’ombre et de la lumière est insignifiante pour l’intellect ; elle est informe pour lui, comme lui sont informes les images des continents et des mers sur la carte ; mais l’œil perçoit ce que l’esprit ne sait définir ; et l’artiste, qui est dans le secret de cette perception incomplète, peut spéculer sur elle, donner à l’ensemble des lumières et des ombres quelque figure qui serve quelque dessein, et en somme une fonction cachée, dans l’effet de l’œuvre. » (Œ, I, p.852)

C’est en partant de cette géographie informe que l’intelligence doit commencer à travailler. Refusant que les objets lui imposent strictement ce qu’ils sont, l’artiste peut donner le sens qu’il souhaite à cette carte, pour sa propre utilisation.

La géométrie constitue le paradigme des systèmes de notation selon Valéry, ainsi qu’il l’écrit dans l’article sur La Sémantique de Bréal : « Je trouve désirable que tous les termes destinés à figurer dans une Sémantique soient plus rigoureusement et plus conventionnellement définis que ceux de la géométrie elle-même. » (Œ, II, p.1451). La géométrie est donc un modèle inégalé de définition des liens unissant les figures à leurs symboles. En principe, il faut commencer par analyser les choses, et ensuite déduire d’elles des expressions adaptées. Ces expressions ne sont pas l’explication des choses. Le dernier but est de chercher les signifiants liés aux choses. Entre les signifiants et les choses, il doit exister le lien explicable par le raisonnement.

Un géomètre reconnaît les objets par leur forme, et les convertit immédiatement en signes, selon un système bien construit. Ce système de notation lui permet de représenter même une étendue infinie de formes. C’est ainsi que Valéry écrit : « Un géomètre, sans doute, lirait facilement ce système de lignes et de surfaces "gauches" et le résumerait en peu de signes, par une relation de quelques grandeurs, car le propre de l’intelligence est d’en finir avec l’infini et d’exterminer la répétition. » (Œ, I, p.889). Le système de la géométrie témoigne donc fondamentalement de l’intelligence, plus précisément, c’est lui qui permet, selon Valéry, de représenter l’infinitude de l’esprit, qui change sans cesse. De plus, en excluant la répétition de ce système, Valéry met en exergue sa différence d’avec le langage ordinaire : « le langage ordinaire se prête mal à décrire les formes, et je désespère d’exprimer la grâce tourbillonnaire de celles-ci. » (Ibid.).

D’ailleurs, Valéry rapproche la géométrie de la poésie, l’opposé du langage ordinaire : « Je trouve […] que la Poésie et la Géométrie, chacune selon sa nature, usent proprement et franchement du langage (dont elles exploitent à fond, chacune quelque propriété réelle), et en peuvent user sans la moindre illusion (dont elles n’ont aucun besoin). » (Œ, II, p.1501). Nous allons étudier plus tard cette opposition entre les deux modes de l’écriture, la prose et la poésie. Il nous semble que c’est ainsi que Mallarmé est nommé géomètre moderne par Valéry, et dans ce sens, cet écrivain est un novateur dans la littérature : « Mallarmé a considéré la littérature comme personne avant lui ne l’avait jamais fait : avec une profondeur, une rigueur, une sorte d’instinct de généralisation qui rapprochaient […] de quelqu’un de ces géomètres modernes qui ont refait les fondements de la science et lui ont donné une étendue et un pouvoir nouveaux » (Œ, I, p.700).

Voir géométriquement

Il est intéressant qu’on trouve beaucoup d’exemples où une représentation géométrique de l’univers est associée d’une manière ou d’une autre au personnage de Teste, pourtant loin d’être un artiste. Dans un brouillon daté de 1917, revenant à son projet de créer Teste déjà entrepris vers 1900-1903, Valéry écrit :

« Nous regardons les formes des choses – avec un regard chargé de vecteurs – d’intension, de mouvements virtuels, de forces et de relations. Le surplomb, l’élancement, l’à-plat, la plénitude, l’épaulement, l’aplomb, - L’indication par les formes, de mouvements possibles, - Les variations de l’apparence de l’équilibre – » (MTI, f.114)

Ce passage correspond tout à fait à l’idée de la « Géométrie des images ou théorie de l’espace représenté » (CI, p.319). Cette vision, qui nous rappelle évidemment celle du Léonard valéryen, décompose les objets en formes géométriques, qui se cumulent jusqu’à rejoindre le domaine de la topologie. Préciser les formes est une démarche auquel se plie avec intérêt l’auteur. Par exemple il décrit l’allure de Teste ainsi : l’« épaule militaire », « le pas d’une régularité qui étonnait » (Œ, II, p.17), « la plasticité humaine » et la « malléabilité » (ibid., p.18), « M. Teste – entre et frappe tous les présents par sa "Simplicité". L’air absolu – le visage et les actes d’une simplicité indéfinissable. Etc. » (C1, p.359 ; C, XIII, p.468). La