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Chapitre I : Le Conte Vraisemblable — une histoire reniée

Chapitre 2 : Le Principe de la Création

I. L’APPLICATION DES PRINCIPES DE POE

Eurêka et les « Colloques »

Il nous semble que non seulement les chercheurs américains mais aussi les spécialistes de Valéry comme Maurice Bémol, admettent la place considérable qui revient à Edgar Allan Poe dans la pensée valéryenne53. La haute estime dans laquelle Valéry tient cet auteur américain

53La Méthode critique de Paul Valéry, Clermont-Ferrand, G. de Bussac, 1950, pp.31-38. Bémol

analyse l’influence de Poe chez Valéry, en indiquant la notion de « la psychologie de la littérature » (p.31) et en introduisant le point de vue qui la met en parallèle de celle de Mallarmé.

est primordiale pour notre étude ; elle transparaît dans une lettre à Gide en 1901 : « c’est absolument le seul écrivain qui ait eu l’intuition d’attacher la littérature à l’esprit. » (Corr.G-V, p.596). Il précise ensuite sa remarque en affirmant que « la littérature est une propriété de l’esprit. » (Ibid.). Valéry confie ainsi à Poe le titre de « seul écrivain » représentant cette littérature de l’esprit dont lui-même est en quête pendant toute sa vie et dont il ne donnera, à notre connaissance, pas d’autre définition ailleurs dans ses écrits : notre analyse des œuvres en prose valéryenne montrera l’importance de cette remarque. Il est donc adéquat dans notre étude d’analyser la signification de Poe chez Valéry.

En 1892, dans une lettre à Louÿs, Valéry évoque le nom de « Colloques », ainsi que

Eurêka, en tant que livres primordiaux pour lui (Corr. GLV, p.576). Nous faisons la

suggestion que les colloques (au pluriel) mentionnés ci-dessus sont les œuvres dialogiques de Poe, à savoir notamment le Colloque de Monos et Una54 et la Puissance de la Parole, qui

figurent dans les Nouvelles Histoires extraordinaires55. Le thème de ces dialogues est la genèse de l’univers, mais leurs approches respectives du sujet sont différentes : le Colloque analyse le problème de la mort, tandis que la Puissance de la Parole tente d’expliquer le secret de la Création. Ces deux perspectives convergent probablement dans Eurêka. Fondées sur l’intention d’une démystification de la Genèse, ces œuvres de Poe sont des jalons essentiels dans l’émergence d’une conception de l’acte de créer : le principe de la création repose sur la découverte de la consistance de l’Univers.

En 1889, Valéry écrit un passage intitulé « Comment je suis arrivé à la pensée » (NAI, f.17), dans lequel il retrace son histoire de la pensée, de la naissance de sa conscience pour l’art jusqu’à son aspiration à en faire une science. En déplorant « la platitude des idées artistiques et littéraires officielles » (ibid.), Valéry préfère se tourner vers ce qu’il appelle les « immortels principes » (ibid.). Il nous semble que c’est la première apparition de la notion de

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Baudelaire, traducteur de cette œuvre, insiste sur l’importance particulière du Colloque de Monos et Una parmi les ouvrages de Poe : « restant dans la vraie voie des poètes, obéissant sans doute à l’inéluctable vérité qui nous hante comme un démon, il poussait les ardents soupirs de l’ange tombé qui se souvient des Cieux ; il envoyait ses regret vers l’Âge d’or et l’Eden perdu ; il pleurait toute cette magnificence de la Nature, se recroquevillant devant la chaude haleine des fourneaux ; enfin, il jetait ces admirables pages :

Colloque entre Monos et Una, qui eussent charmé et troublé l’impeccable De Maistre. » (Baudelaire, op.cit.,

p.592)

55 Parmi les notes que Valéry a prises sur ses lectures entre 1888 et 1892, on trouve l’aphorisme tiré de la Puissance de la Parole : « E. Poe / Agatos. Ah ce n’est pas dans la science qu’est le bonheur – c’est dans

l’acquisition de la science ! Savoir pour toujours c’est l’éternelle béatitude : mais tout savoir axerait une damnation de démon ! – » (NAI, f.183 ;Poe, Œuvre en prose, p.456), ainsi qu’une autre formule qui vient de Colloque de Monos et Una : « A de longs intervalles apparaissaient quelques esprits souverains pour qui tout progrès dans les sciences pratiques n’était qu’un recul dans l’ordre de la véritable utilité ! » (NAI, f.183 ; Ibid. p.462).

« principe » chez Valéry. Peut-être l’emprunte-t-il déjà à Poe, comme la foi en une promesse d’immortalité.

L’ambition finale d’Eurêka, titanesque, est de sublimer toutes les connaissances en une esthétique qui affirme la relation symétrique entre l’Œuvre et l’Univers. Poe donne à son travail la signification suivante au commencement d’Eurêka : « j’offre ce Livre de Vérité, non pas spécialement pour son caractère Véridique, mais à cause de la Beauté qui abonde dans sa Vérité, et qui confirme son caractère véridique. »56 La grandeur de Poe consiste à faire de la recherche de la vérité et de la création artistique les sujets d’un même ouvrage. Avec cette manière de voir, la beauté et la vérité se définissent réciproquement. En outre, Poe identifie la vérité à la beauté, en affirmant que: la vérité est découverte grâce à l’esprit poétique.

A quel genre Eurêka appartient-il ?

L’œuvre d’art est une représentation de l’Univers et une reproduction du Monde ; Valéry développe à partir de cette idée ses premières œuvres en prose. Les conceptions de Poe imprègnent durablement Valéry, lecteur attentif d’Eurêka et des « Colloques », et continuent à prendre une place importante dans sa réflexion sur l’œuvre d’art, surtout quand il aborde le concept de chef-d’œuvre. Au cours des années suivantes, Valéry pense faire un ouvrage sur Poe plusieurs fois, mais finit toujours par y renoncer, et c’est seulement en 1921 que Valéry publie enfin Au sujet d’Eurêka. Il y confirme qu’Eurêka est le modèle d’une littérature, car elle est une de ces « œuvres de grand style et d’une noble sévérité, qui dominent le sensible et l’intelligible » (Œ, I, p.856). Valéry analyse rétrospectivement de la manière suivante sa lecture d’Eurêka :

« a J’ai beaucoup lu Eurêka quand j’avais 20 ans. Puis je l’ai beaucoup délaissé à 23 ans. / b Je garde un double souvenir. / 1° elle m’a fait penser – et c’est là que j’ai touché pris contact avec la physique et les maths. / c 2° Elle a été l’occasion d’une relation plus intime avec Mallarmé. »57

La découverte des sciences et le nom de Mallarmé sont les deux premiers points que souligne Valéry. Il nous semble que l’appellation de poème abstrait que ce-dernier donne à Eurêka

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Poe, Œuvres en prose, p.703.

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« Dialogues t.II » (Naf19032), « Peri tôn tou théou », f.50 v°. Le passage continue ainsi : « d Y revenant aujourd’hui, je trouve la chose vieille – mais 2 idées – / e – la S des combinaisons et le retour éternel. / f – le principe de Carnot en germe. / g Mais une autre question m’arrête / Le sujet même du problème / L’univers a-t-il un sens / comment le démêler de son commencement ! / Scène et amour/ D’autres conceptions sont plus étranges. »

résonne comme un écho de la foi mallarméenne selon laquelle « le monde n’était fait que pour aboutir à un beau livre » (Œ, I, p.679). Le poète symboliste et le romancier de l’esprit partagent la même volonté de saisir le principe du monde et de réaliser une œuvre à partir de celui-ci. Vers 1901, Poe est redevenu un sujet important de réflexion chez Valéry, et à ce moment-là, il est surtout lié au nom de Mallarmé : « Il me semble que mes relations avec Mallarmé se firent plus étroites et plus affectueuses à la suite d’une conversation que nous eûmes un peu plus tard au sujet de l’Eureka, d’Edgar Poe » 58, déclare-t-il ainsi. Valéry fera plus tardivement la critique du caractère erroné de la science de Poe par rapport aux sciences modernes, mais en littérature, il aura révélé « les origines, la haute destination et la vertu vivante » (Œ, I, p.856) des sciences. Poe apprend à Valéry la possibilité d’une nouvelle littérature, et il nous paraît tout à fait naturel que le début d’Au sujet d’Eurêka soit largement consacré au sujet de la découverte et de l’utilisation des sciences.

Poe définit Eurêka comme le livre de « l’Univers Physique, Métaphysique et Mathématique, - Matériel et Spirituel »59, et propose de le considérer comme un « Roman » ou un « Poëme »60. Respectant cette intention de l’auteur, Valéry écrit : « Il [Poe] a bâti sur ces fondements mathématiques, un poème abstrait qui est un des rares exemplaires modernes d’une explication totale de la nature matérielle et spirituelle, une cosmogonie. » (Œ, I, p.861). Valéry écrit en outre que la cosmogonie est un genre littéraire : « La cosmogonie est un genre littéraire d’une remarquable persistance et d’une étonnante variété, l’un des genres les plus antiques qui soient. » (Ibid., p.862). Outre cette manière insistante d’affirmer le caractère littéraire de ce livre sur l’Univers qu’a écrit Poe, il finit son essai en écrivant : « AU COMMENCEMENT ETAIT LA FABLE. Elle y sera toujours. » (Ibid., p.867).

La puissance de l’esprit poétique : la consistance

A travers sa réflexion sur la genèse de l’Univers, Poe arrive à la conclusion qu’il existe un lien logique entre tous les êtres, qu’il nomme la consistance. Valéry s’intéresse énormément à

58Paul Valéry, Très au-dessus d’une pensée secrète : Entretien avec Frédéric Lefèvre, édition établie,

présentée et annotée par Michel Jarrety, Paris, Fallois, 2006, p.47.

Poe et Mallarmé sont en interaction réciproque chez Valéry. Dans la lettre à Thibaudet écrite en 1912, Valéry affirme ainsi : « Celui qui m’a le plus fait sentir sa puissance [Mallarmé] fut Poe. J’y ai lu ce qu’il me fallait, pris ce délire de la lucidité qu’il communique. / Par conséquence, j’ai cessé de faire des vers. Cet art devenu impossible à moi de 1892, je le tenais déjà pour un exercice, ou application de recherches plus importantes. Pourquoi ne pas développer en soi, cela seul qui dans la genèse du poème m’intéresse ? » (Œ, I, p.1770)

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Poe, Œuvres en prose, p.705.

60

cette notion, en insistant surtout sur ce point : « dans le système de Poe, la consistance est à la fois le moyen de la découverte et la découverte elle-même. » (Ibid., p.857). L’idée d’identifier la manière de découvrir la vérité à la vérité elle-même restera profondément gravée chez Valéry, qui la mettra en pratique dans son Introduction à la méthode du Léonard de Vinci. La consistance est le germe de l’imagination logique du Léonard valéryen. Poe dit lui- même de la véritable science qu’elle « ne fait ses plus importantes étapes que par bonds, et ne procède, comme nous le montre toute l’Histoire, que par une apparente intuition »61. L’intelligence hautement développée saisit les relations cachées entre les choses, bien que les gens normaux soient toujours persuadés que les génies possèdent une intuition extraordinaire. Poe ainsi que Valéry nient cette idée. Valéry s’inspire du passage de Poe cité plus haut pour expliquer le secret de Léonard : « Le secret, celui de Léonard comme celui de Bonaparte, comme celui que possède une fois plus haute intelligence, - est et ne peut être que dans le relations qu’ils trouvèrent, - qu’ils furent forcés de trouver, - entre des choses dont nous

échappe la loi de continuité. » (Ibid., p.1160). Cette loi de continuité, dérivant probablement

du principe de consistance, est une des bases de la réflexion sur le fonctionnement de l’esprit chez Valéry.

Selon Poe, seul l’esprit poétique peut découvrir, grâce au principe de consistance, une relation analogique entre l’Univers et l’esprit : « l’esprit poétique, - cette faculté, la plus sublime de toutes, nous savons cela maintenant, - puisque des vérités de la plus haute importance ne pouvaient nous être révélées que par cette Analogie »62. C’est grâce à l’analogie que l’esprit peut concevoir l’Univers sans le voir vraiment. A ce moment-là, l’Univers est un reflet de l’esprit, et même sa créature. Poe définit l’Univers ainsi : « la

quantité d’espace la plus vaste que l’esprit puise concevoir, avec tous les êtres, spirituels et matériels, qu’il peut imaginer existant dans les limites de cet espace »63. On voit bien qu’ici le monde est subordonné à l’esprit.

Poe n’est pas le premier à avoir inventé cette idée mystique d’une relation analogique entre l’esprit et l’Univers, mais le mérite lui revient sans doute de confier à l’esprit poétique la faculté de percevoir ce lien. En outre, ce qui est plus essentiel encore, à notre avis, c’est que Poe franchit naturellement la frontière entre le spirituel et le matériel grâce au fonctionnement de l’esprit. Valéry le voit aller plus loin : en s’appuyant sur l’analogie entre l’esprit et l’Univers, Poe déduit des mécanismes de l’esprit un livre: c’est Eurêka.

61 Ibid., p.709. 62 Ibid., p.462. 63 Ibid., p.706.

L’idée la plus sacrilège de Poe est qu’il identifie Dieu à l’Homme, en tirant toutes les conséquences de sa théorie de l’analogie : « ce Cœur Divin, - quel est-il ? C’est notre propre

cœur. »64 Le Dieu auquel il est fait référence ici est celui qui règne sur l’ordre de l’Univers, le créateur désigné dans le célèbre verset « au commencement était le Verbe », que Poe revisite dans la Puissance de la Parole selon une perspective tout à fait personnelle. Il y déclare que Dieu n’est pas le premier Créateur de l’Univers, et révèle que l’agent de la création, c’est la Parole.

Poe suppose qu’au commencement sont « les ondulations lointaines du mouvement »65, et que l’origine de celles-ci est la pensée humaine. C’est peut-être Dieu qui inspire la pensée, mais Poe essaie d’être rationnel, jusqu’au point de commettre un sacrilège, quand il se demande : comment la pensée est-elle possible ? Elle est possible grâce à la parole ; elle est faite de paroles intérieures. C’est ainsi la parole qui se substitue à Dieu comme Créateur direct de l’Univers : « n’as-tu pas senti ton esprit traversé par quelque pensée relative à la puissance

matérielle des paroles ? Chaque parole n’est-elle pas un mouvement créé dans l’air ? »66 Le poète, qui le mieux connaît la parole, devient ainsi puissant67.

L’intuition, la logique

Dans Eurêka, l’auteur affirme que l’existence de Dieu est révélée par une sorte d’intuition, qui est cependant en réalité une forme de logique nommée déduction. L’intuition, pour Valéry, est une faculté qui devient possible avec la connaissance de la consistance. Dans ce sens, elle ressemble à la faculté de l’analogie. Il nous semble que la déduction chez Poe fonctionne ainsi en général : il prend comme postulat de départ les choses matérielles, qu’il peut percevoir, et finit par découvrir des êtres imperceptibles. La réalité de leur existence est certaine, parce que démontrée par un raisonnement fondé sur des étapes logiques, 64 Ibid., p.809. 65 Ibid., p.419. 66 Ibid., p. 460. 67

Richard Wilbur, « The House of Poe », Anniversary Lectures 1959, Washington, Library of Congress, 1959. “Poe conceived of God as a poet. The universe, therefore, was an artistic creation, a poem composed by God.”(p.23). Wilbur explique clairement que le lien entre Dieu et l’Univers, entre le Monde et l’oeuvre, est une idée essentielle de Poe. The House signifie en effet un esprit, et cette maison n’a pas de fenêtre : c’est l’esprit totalement fermé de Poe (« the madhouse » (p.36) ou « Poe’s aesthetic, Poe’s theory of the nature of art, seems to me insane. » (p.38)), et cette métaphore, qui évoque bien la pensée de Leibnitz, serait sans doute un sujet intéressant à appliquer à l’étude des œuvres de Valéry, par exemple à celle de l’Opéra et la chambre de Teste. En mettant plus d’importance sur la prose que sur le poème, Wilbur considère son auteur ainsi : « Poe was not a wide-open and prespicuous writer ; indeed, he was a secretive writer both by temperament and by conviction. » (pp.21-22). Nous pensons qu’il fortifie notre conviction de l’importance fondamentale de Poe dans les œuvres en prose de Valéry.

rigoureusement construites. L’invention de Poe consiste donc à prouver par la logique l’existence des êtres imperceptibles.

La vérité demande parfois les preuves tangibles. Les sciences, fondées sur ce principe, sont ainsi impuissantes à prouver l’existence de Dieu. Valéry est attiré par la logique scientifique, mais il nous semble qu’il n’abandonne jamais sa croyance en quelque chose d’inaccessible aux sciences, laissé à l’état de question irrésolue ; n’est ce pas pour cela qu’il insiste sur cette idée de Poe, qu’il désigne par la combinaison de deux notions antagonistes, « l’intuition logique » ? Valéry pense que l’intuition est à l’origine de la pensée : « l’intuition c’est la pensée à l’état sauvage » (C1, p.330 : C, VI, p.807). A ce moment-là, l’intuition ne s’oppose pas à la pensée, mais en représente au contraire l’état potentiel, la forme primitive.

La logique est un moyen puissant pour atteindre la vérité. Sans foi en la faculté de la logique, la philosophie ne pourrait pas exister. Poe introduit la logique dans sa littérature attachée à la vérité, et finalement qu’est ce qui distingue le travail de Poe de celui du philosophe ? A ce propos, Valéry écrit : « Tandis que pour le philosophe véritable, ce qui est est la limite à rejoindre et l’objet à retrouver à l’extrême des excursions et opérations de son esprit, l’artiste se propage dans le possible et se fait agent de ce qui sera. » (Œ, I, p.1243). Les philosophes étudient des choses qui existent préalablement à leurs réflexions, tandis que les artistes, comme Poe, travaillent avec et pour les choses à venir.

Par ailleurs, sur ces êtres instinctivement conçus, Valéry écrit le passage suivant : « La marotte de moi. Le "secret" de la prose. Mais marotte ou instinct de ce qu’il y a à faire. » (C, VIII, p.375 ; C2, p.1009). Le secret de la prose pourrait être révélé par le même genre d’intuition. Le chemin vers une certaine vérité passe par le développement d’une logique qui ressemble à l’intuition, et qui est conduite par la foi. Valéry découvre cette idée en lisant Poe, et l’appliquera ensuite dans Durtal.

Le projet d’un colloque valéryen

Dans une note de 1890, Valéry écrit que « la pensée est une conversation intérieure entre deux mystérieux interlocuteurs » (NAI, f.32). A la suite de cette note, Valéry témoigne bientôt de son intention de rédiger une œuvre intitulée Les Noces de Thulé 68, vraisemblablement sous

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Dans le manuscrit, Valéry écrit avec un accent circonflexe « Les nôces de Thulé » (PA, f .146). Comment ce titre étrange est-il arrivé à Valéry ? Le Thulé de Virgile, une Ile mystique antique du bout du monde, est une scène adaptée du thème « Epithalame des nôces mystiques » (PA, f.146) ? Dans le même folio, Valéry écrit également le « nôce de Jésus ».

la forme d’un dialogue, et dont le thème serait inspiré par Poe et par Wagner69. Valéry souhaite que ces noces soient « traitées suivant la METHODE de Poe » (PA, f.146), qu’il s’agisse d’un « Colloque » (ibid.), une conversation entre deux personnages nommés « R » et « L ». A cette époque, les dialogues composés par Valéry sont moins influencés par Socrate que par l’écrivain américain.

Les « Dialogues » écrits à partir de 1921 partagent, à notre avis, la même problématique essentielle de fond avec les œuvres en prose qui composent le corpus de notre étude. Toutefois, il est risqué de confondre ces deux modes d’écriture par rapport aux recherches de Valéry sur la forme : les dialogues ne sont pas l’occasion pour l’auteur de poursuivre sa quête du langage. En revanche, sans doute Valéry pense-t-il que le dialogue est une extension de la pensée. Le langage avec lequel on pense devient les mots du personnage qui parle, ce système fonctionnant grâce à l’autre qui écoute. Ici, il existe en fait deux avantages pour Valéry : l’un est que le langage de la pensée rejoint celui de l’écriture. L’autre est que l’auteur peut ajouter certaine objectivité à sa propre pensée grâce à la présence d’un autre personnage. Le dialogue dans sa structure narcissique, comme Levaillant le remarque, représente ainsi un état idéal du système de langage : « Le plus merveilleux dans le langage c’est qu’à l’intérieur il puisse se disposer de lui-même et parler comme quelqu’un parle. » (CII, p.221). Cet accomplissement de la condition idéale du langage rend superflue la recherche d’un nouveau langage.