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La notion de feuilletoniste maison et ses implications.

Le Petit Journal

C. Être feuilletoniste en France et en Grande-Bretagne à la fin de la Belle Époque.

2. La notion de feuilletoniste maison et ses implications.

Un feuilletoniste maison peut être défini comme un auteur lié à un journal par un contrat qui l'engage à fournir à ce journal, selon des conditions déterminées par les deux parties concernées, tout ou partie des fictions sérielles qu'il produit. Cette situation est a priori profitable au feuilletoniste et au journal, le premier trouvant pour une durée plus ou moins longue une rémunération assurée et parfois élevée, le second, de la matière pour alimenter sa rubrique romanesque selon des critères qu'il a fixés au moins partiellement. Ce sont les auteurs qui ont déjà connu le succès que les grands quotidiens “populaires” cherchent naturellement à s'attacher, offrant parfois des sommes très élevées pour obtenir la signature des feuilletonistes les plus en vue. À une époque où le roman-feuilleton n'a plus, en France, le même rôle moteur que celui qui était le sien quelques décennies plus tôt et où les ventes de la presse “populaire” ne lui doivent plus autant, chaque journal d'information à grand tirage cherche encore à s'offrir les services d'auteurs appréciés

du public pour, si ce n'est gagner beaucoup de nouveaux lecteurs, empêcher au moins que ces auteurs n'écrivent pour les titres concurrents.

Certains auteurs passent par deux ou trois quotidiens, probablement mus par des conditions financières plus avantageuses. Ainsi Jules Mary, publie-t-il ses premiers romans-feuilletons dans Le

Siècle entre 1875 et 1878 ; il passe ensuite au Petit Parisien jusqu'en 1885, date à laquelle il intègre

l'équipe du Petit Journal354. Il repasse ensuite (quand?) au Petit Parisien et donne neuf fictions à ce journal entre 1912 et 1920. Paul Bertnay donne des romans-feuilletons au Petit Parisien de la fin des années 1870 à 1909355, soit pendant une trentaine d’années, avant de passer au Petit Journal où il est encore très actif. D'autres, comme Gaston Leroux, restent attachés au même quotidien presque toute leur carrière356 : après L'Homme de la nuit, premier roman-feuilleton de l'auteur qui paraît dans

Le Matin en 1897, il donne quinze autres feuilletons romanesques au journal jusqu'en 1922, même si

par deux fois, en 1914 et 1924 il s'était engagé à écrire un roman-feuilleton pour L'Illustration357.

Le statut d'auteur maison confère au nom du feuilletoniste une aura particulière et la relation de ce dernier avec le public prend des aspects spécifiques. Le nom devient une matière commerciale et il est parfois davantage mis en avant dans la promotion des romans-feuilletons effectuée par les journaux que le contenu de ces fictions en lui-même, ce qui prouve qu'il est considéré comme un élément de publicité efficace. On insiste alors sur les succès passés du feuilletoniste reconnu et sur le fait que le roman à venir ne peut qu'être du même acabit que les précédents, voire meilleur : le nom est transformé en label de qualité. Dans ces cas-là, les journaux partent donc du principe que les lecteurs accordent un tel crédit à la signature des auteurs réputés qu'elle constitue un des principaux éléments déclencheurs de leur envie de lecture. Le Petit Parisien, par exemple, prend soin d'informer ses lecteurs lorsqu'il signe un contrat avec un feuilletoniste réputé qui lui réserve dès lors tout ou partie de sa production, ce qui assure théoriquement plusieurs feuilletons de qualité. Dans une annonce concernant la publication de Serrez vos rangs!, roman- feuilleton signé Aristide Bruant, le journal ne manque pas de préciser qu'il « […] vient de s'assurer pour de longues années la collaboration […] »358 de l'auteur et procède de même deux ans plus tard environ lorsqu'il fait d'Arthur Bernède un de ses auteurs maison359. Ce jeu sur la notoriété du feuilletoniste nie la production au profit du producteur mais d'un producteur qu'il a réifié pour en

354

Voir COMPÈRE Daniel, « MARY Jules (1851-1922) », in COMPÈRE Daniel (dir.), Dictionnaire du roman

‘‘populaire’’ francophone, op. cit., Paris, Nouveau Monde, 2007, p. 279-280.

355

Notice biographique de Paul Bertnay in CURINIER C.E., Dictionnaire national des contemporains…,

Supplément, Paris, Office général d'édition, 1918, p. 2.

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Ce qui ne les empêche pas d’écrire pour des magazines.

357

Les informations proviennent de la biographie de l'auteur disponible sur le site Gaston Leroux. Site officiel

des ayant-droits, disponible à l'adresse suivante : http://www.gaston-leroux.net/

358

Le Petit Parisien, le 04/01/1912.

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Ibid., le 01/10/1913 : « Le Petit Parisien, en s’attachant pour de longues années ARTHUR BERNÈDE, n’a fait que répondre au désir de ses innombrables lectrices et lecteurs. »

faire un outil en mesure de répondre à des impératifs de rentabilité commerciale. Et c'est du même coup nier la capacité du lectorat à fonder ses choix de lecture sur des critères plus objectifs.

Au travers de la notion d'auteur maison apparaissent de façon très claire certains des aspects industriels, commerciaux de l'écriture de fictions sérielles. En signant un contrat et donc en échangeant contre de l'argent une production la plupart du temps commandée, et sur laquelle il n'a donc pas l'entière liberté de création, le feuilletoniste, payé à la ligne, à l'œuvre ou à l'année, devient un « ouvrier des lettres360 » semblable à tout autre travailleur qui obtient un salaire en échange de son travail. De plus, un feuilletoniste qui obtient plusieurs succès dans un sous-genre particulier est avant tout sollicité pour écrire des récits relevant de ce dernier puisqu'il paraît en maîtriser les ficelles, ce qui permet au journal qui passe commande de tabler sur de futurs succès. Ainsi devient-il plus ou moins prisonnier, esclave, d'un type de production auquel son nom est associé. D'une certaine manière, le feuilletoniste maison apparaît comme la synthèse la plus représentative de cette littérature industrielle361 fustigée par Sainte-Beuve : un auteur qui troque tout ou partie de sa liberté créatrice en échange d'un contrat qui, tout en lui garantissant des revenus, le contraint à une production standardisée, sur commande ; un auteur dont les rapports à ses créations sont intéressés puisqu'il écrit en échange d'une rémunération ; un auteur dont le talent ne se mesure pas à la reconnaissance acquise dans le champ littéraire légitime mais aux sommes perçues (et donc en partie au nombre d'œuvres publiées) et à la reconnaissance d'un public lisant qui se définit avant tout par son importance numérique. Contrat, commande, argent, consommateurs qui se comptent en centaines de milliers voire en millions, autant d’éléments qui font que les feuilletonistes maison les plus prolifiques ressemblent plus à des commerçants qu'à des écrivains.

A la fin de la Belle Époque, en France, ces auteurs contractuels sont l’élite des feuilletonistes et ils dominent le marché du roman “populaire” dans la presse, marché saturé où il est bien difficile aux nouveaux arrivants de trouver une place car dominé, on l'a vu, par des auteurs qui y publient depuis vingt, trente ans et parfois même davantage. En Grande-Bretagne, les grands quotidiens “populaires” n'existent que depuis dix ou quinze ans au début des années 1910 et le marché de la fiction sérielle de presse qui leur est destinée n'est probablement pas soumis au même phénomène de saturation ; cette situation explique certainement quelques-uns des différences que l’on observe lorsque l'on s'intéresse aux feuilletonistes maison des deux presses.

Si l’on tient compte de la totalité de la période couverte par notre étude, de janvier 1912 à décembre 1920, et d'un nombre minimum de trois romans-feuilletons publiés dans le même journal,

360 CONSTANS Ellen, Ouvrières des lettres, Limoges, P.U.LIM., 2007. 361

il est possible de considérer comme auteurs maison les feuilletonistes français suivants (nous indiquons entre parenthèses le nombre de fictions publiées) :

au Petit Journal : Louis Létang (trois), Paul Bertnay/Pierre Borel (neuf), Maxime Audouin (trois), Paul Segonzac (cinq), Georges Maldague (trois), Ely Montclerc (trois) Arnould Galopin (cinq), Marcel Allain (cinq), Léon Sazie (trois).

au Petit Parisien : Aristide Bruant (six), Arthur Bernède (huit), Jacques Brienne (quatre), Jules Mary (dix), Charles Mérouvel (huit), René Vincy (cinq).

au Matin : Michel Zévaco (cinq), Gaston Leroux (sept), Jean de la Hire (trois), Henri Germain (trois), Maxime La Tour/Un poilu362 (trois).

à L'Écho de Paris : Delly (neuf), Maryo Olivier (trois), Charles Foleÿ (trois), Trilby (trois), Georges Le Faure (trois), Henri Cain (cinq) et Édouard Adenis (cinq) dont quatre en collaboration pour les deux derniers auteurs.

à L'Humanité, Émile Pouget363 (cinq) et le duo Cyril-Berger (trois).

aucun à L'Action française364 et au Figaro.

La plupart de ces auteurs maison sont déjà attachés au journal en question depuis plusieurs années comme Gaston Leroux au Matin, ainsi que nous l’avons précisé plus haut, ou Michel Zévaco qui entre au même journal en 1905, et parfois même depuis longtemps comme Ely-Monclerc qui a publié 21 feuilletons dans Le Petit Journal entre la fin des années 1890 et 1911365 ou Paul Segonzac qui donnait déjà au Petit Journal, en 1896, La ferme aux fraises, « […] son premier grand roman ‘‘populaire’’366.»

Le Petit Parisien se différencie assez nettement des autres journaux. Son équipe de six

auteurs maison est la plus prestigieuse avec quelques noms parmi les plus connus, et depuis longtemps, dans le monde de l'écriture “populaire” comme Jules Mary, Charles Mérouvel ou Aristide Bruant, et elle n'est composée que d'hommes. L'âge moyen de l’équipe de feuilletonistes maison de ce journal est plutôt élevé puisque la moyenne d’âge des quatre auteurs pour lesquels nous avons pu

362

Le pseudonyme Un poilu, renvoie, comme Maxime La Tour, à Julien Priollet.

363

Nous n'avons pas retenu cet auteur comme feuilletoniste régulier pour la période 1912-1914. En effet, il semble, comme le suggère THIESSE Anne-Marie, op. cit., p. 221, que ce soit suite à l'échec du quotidien socialiste révolutionnaire qu'il lance en 1909, La Révolution, qu'Émile Pouget ait décidé d'écrire des romans- feuilletons. Il ne peut donc pas être considéré comme feuilletoniste au début des années 1910. Son activité sur l’ensemble de la période 1912-1920 montre par contre une régularité de production qui nous autorise à le considérer comme feuilletoniste et comme auteur maison.

364

Le nom d’Alice Pujo apparaît bien dans trois signatures durant notre période de référence (Pour lui !, du 27/09/1912 au 15/07/1914, Rose Perrin, du 11/07/1919 au 24/09/1919 et Renée, du 16/08/1920 au 05/10/1920) mais elle n’est que la traductrice du premier roman, d’où notre choix de ne pas la considérer comme feuilletoniste maison.

365

THIESSE Anne-Marie, op. cit., p. 201.

366

L'information est donnée par une annonce concernant la publication de Présent!, dans le même journal, en date du 12/11/1914.

trouver l’année de naissance est de presque 65 ans en 1916367, avec trois d’entre d’eux qui ont 65 ans ou plus dont Charles Mérouvel, âgé de 84 ans à cette même date. Les contrats qui lient ces feuilletonistes au Petit Parisien semblent accorder une grande importance à l'exclusivité puisque sur la période donnée, aucun d’entre eux ne donne une œuvre à l’un des autres journaux du corpus. Ils sont très sollicités durant les années considérées puisque sur les six feuilletonistes, quatre donnent six romans-feuilletons ou plus au journal, avec, nous le verrons plus loin, une accélération de leur rythme de production durant le conflit. Le Petit Journal possède l'équipe la plus nombreuse avec neuf feuilletonistes maison et un auteur se détache par l'ampleur de sa production, Paul Bertnay/Pierre Borel, qui donne neuf romans-feuilletons au journal sur la période. Un auteur en est à ses débuts mais est promis à une grande carrière dans les décennies suivantes, Marcel Allain. On compte deux femmes parmi les feuilletonistes attitrés du journal, Georges Maldague et Ely Montclerc, qui donnent chacune trois feuilletons au journal sur la période 1912-1920. Ces neuf auteurs sont dans l'ensemble plutôt âgés eux aussi puisque sept, et peut-être même huit puisqu'il nous a été impossible de trouver des informations précises au sujet de Paul Segonzac, ont 53 ans ou plus en 1916 ; la moyenne d'âge à cette date pour les huit feuilletonistes renseignés est de 55 ans, avec une relative homogénéité puisque cinq auteurs ont entre 53 et 59 ans. Au Matin, Gaston Leroux et Michel Zévaco sont les deux feuilletonistes maison les plus productifs et on ne trouve pas de femmes parmi eux ; l'âge moyen de l’équipe d’auteurs maison en 1916 est moins élevé que dans les deux autres journaux puisqu'il est de 48 ans. À L'Écho de Paris, M. Delly, c'est-à-dire Jeanne-Marie Petitjean de La Rosière, se détache largement parmi les sept feuilletonistes maison avec neuf fictions publiées368. L'équipe compte un second auteur féminin, Trilby, un duo relativement productif composé d'Henri Cain et Édouard Adenis et son âge moyen est de 51 ans environ en 1916369. Le faible nombre de feuilletonistes maison de L'Humanité sur la période (deux) s'explique très certainement par les problèmes financiers chroniques de ce journal. Le plus prolifique, Émile Pouget, est âgé de 56 ans en 1916 et peut être considéré comme idéologiquement proche du journal ; il est probable qu'il n'ait pas demandé de rémunération importante pour donner sa production à ce dernier. L'absence d'auteurs maison au

Figaro et à L'Action française découle directement du choix, différemment motivé comme nous

l'avons exposé précédemment, de ne pas mettre en place une politique ambitieuse pour alimenter la rubrique feuilleton, même si, nous le verrons les choses changent durant la guerre pour le second journal.

367

Nous choisissons de prendre en compte l’âge au milieu de la période embrassée par notre étude.

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Huit romans-feuilletons sont signés M. Delly, un Delly mais nous l’avons attribué à Marie puisqu’elle était la plume duo formée avec son frère Frédéric qui s’occupait surtout de la gestion des contrats.

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Nous n'avons pas pu déterminer l’âge de Maryo Olivier qui n’a donc pas été pris en compte pour l’établissement de cette moyenne.

En ce qui concerne les journaux britanniques, Daily Mail compris, il est possible, sur la base de trois serials parus entre 1912 et 1920, de considérer comme feuilletonistes maison :

au Daily Mirror : Ruby M. Ayres (19), Mark Allerton (sept), Meta Simmins (six) et Edmund B. d'Auvergne (trois).

au Daily Mail : le duo Coralie Stanton (huit)/ Heath Hosken (huit en duo avec son épouse Coralie Stanton et quatre seul sous le pseudonyme de Pierre Costello) et Elizabeth York Miller (trois).

aucun au Daily Express.

Un premier examen de ces éléments fait apparaître une grande différence entre la politique menée par les frères Harmsworth au Mirror et au Mail et celle d'Arthur Pearson puis Max Aitken au

Daily Express : la présence d'auteurs maison dans les deux premiers journaux durant les années

1912-1920 et leur absence dans le troisième. Le Daily Mirror et le Daily Mail, journaux du groupe

Associated Newspapers, semblent fonctionner, au moins partiellement, avec des contrats communs,

ce qui explique que des auteurs signent des serials dans les deux journaux. On rencontre deux cas de figure principaux au sujet de ces auteurs : soit ils écrivent pour un des deux journaux ou pour les deux puis ensuite pour un seul, de manière exclusive, comme le duo Stanton/Hosken qui donne deux

serials au Daily Mirror et au Daily Mail en 1912-1913 mais dont les six suivants ne paraissent que

dans le Mail370 tout comme les quatre que Heath Hosken371 écrit sous le pseudonyme de Pierre Costello, soit ils écrivent pour les deux journaux comme Meta Simmins qui est publiée deux fois dans le Daily Mail et six fois dans le Daily Mirror entre juillet 1913 et mai 1919 avec toutefois une production des années de guerre qui ne paraît que dans le Mirror, ou Edmund B. d'Auvergne qui est publié trois fois dans le Daily Mirror et deux fois dans le Daily Mail entre septembre 1912 et juillet 1920.

On trouve trois auteurs publiés deux fois entre 1912 et 1920 dans le Daily Express, Charles Proctor, Kate Horn et Ladbroke Black/Paul Urquart. Le nombre d’auteurs publiés par le Daily Express sur la période, très important, contraste nettement avec celui, plus faible, du Daily Mail, et encore davantage avec celui du Daily Mirror. Il est difficile de savoir si l'absence d'auteurs maison dans l'équipe du Daily Express372 est un choix délibéré ou le résultat de contraintes financières empêchant de rémunérer sur le long terme des auteurs qui, avec le succès, deviennent certainement de plus en

370

W. Harold Thomson, qui n’apparaît pas comme un auteur maison entre 1912 et 1920 est publié par le Daily

Mirror entre le 29/09 et le 08/11/1919 (The Muddled Marriage) et l’est ensuite deux fois par le Daily Mail entre

le 18/12/1919 et le 02/02/1920 (The Bishop Masquerade) puis entre le 29/07 et le 06/09/1920 (The Pilgrim

Soul).

371

Heath Hosken est d'ailleurs journaliste pour Associated Newspapers entre 1905 et 1920. L'information est tirée de KEMP Sarah, MITCHELL Charlotte, TROTTER David, Oxford Companion to Edwardian Fiction, Oxford, Oxford University Press, 2002, p. 193.

372

plus chers. Il est probablement moins coûteux d’acheter un serial à un auteur qui le propose au journal en espérant être publié que de payer à la ligne un auteur sous contrat. La concentration opérée par les frères Harmsworth permet de réaliser des économies d'échelle qui autorisent le dégagement d'une trésorerie supérieure à celle d'un journal qui, comme le Daily Express, supporte seul ses coûts de fonctionnement.

Les auteurs maison les plus prolifiques des journaux britanniques de notre corpus exercent une forme de monopole au sein de leur journal respectif, à un degré que l'on ne rencontre pas en France. Ainsi Ruby M. Ayres représente-t-elle à elle seule 25% des fictions sérielles publiés par le

Daily Mirror entre janvier 1912 et fin décembre 1920 (elle signe 19 des 72 serials de la période) et

Heath Hosken/Pierre Costello plus de 30% des serials publiés dans le Daily Mail sur la même période (12 sur 38). Ces auteurs, comme tous les feuilletonistes très actifs, écrivent des récits qui ne sont que des variations sur le même thème, très stéréotypés, pour être notamment en mesure de répondre aux contraintes d'une production rapide, créalité qui se vérifie lorsque l'on détaille la production sérielle d'Ayres et de Hosken/Costello : 19 récits sentimentaux pour 19 serials publiés pour la première, douze récits sentimentaux pour douze serials publiés pour le second, avec toutefois un peu plus de variation chez celui-ci. Leur surreprésentation dans la rubrique fiction sérielle de leur journal rend cette dernière moins variée que ne le sont celle du Daily Express ou celles des grands quotidiens “populaires” français étudiés, car même si la série sentimentale y est dominante (sauf dans Le Matin), des auteurs plus nombreux permettent naturellement une plus grande diversité dans le ton, le style, les intrigues ou les personnages.

Les auteurs maison des trois popular papers considérés sont relativement jeunes. Au Daily

Mirror, la moyenne d’âge des trois feuilletonistes sur les quatre de l’équipe dont nous sommes

parvenus à déterminer l’âge en 1916 est de 36 ans environ, tandis qu’à la même date, celle des trois feuilletonistes maison du Daily Mail est de 39 ans. Ils sont donc nettement moins âgés que leurs homologues français et n’ont donc ni la même ancienneté ni la même expérience que ces derniers.

Les éléments que nous avons détaillés permettent d’avoir une vision assez complète de l’offre de fictions sérielles proposée par les journaux de notre corpus durant les 31 mois qui précèdent l'éclatement du Premier Conflit mondial. Nous voudrions considérer à présent les autres vecteurs de la littérature “populaire” sérielle dans chacun des deux pays, en cette fin de Belle Époque, afin d'évaluer la place occupée par le roman-feuilleton et le serial de presse au sein de celle- ci.