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En Grande-Bretagne Du danger français au danger allemand.

1914 183000 945919 295485 1915 Pas de données 1105214 37

B. Aux sources du patriotisme sériel de guerre 1870-1914.

2. En Grande-Bretagne Du danger français au danger allemand.

Si l’Empire allemand est bien l’ennemi de la Grande Bretagne à partir du 04/08/1914, notre corpus de presse montre que le serial patriotique ne témoigne pas, durant la guerre, de la même agressivité à son encontre que le roman-feuilleton patriotique. Il est évident que cet écart trouve en grande partie son origine dans les rapports tout à fait différents que la Grande-Bretagne et l’Empire allemand ont entretenus entre 1871 et 1914.

Si la défaite de la France marque les esprits des Britanniques et les fait se questionner sur la réalité de leur sécurité insulaire, le nouvel Empire allemand ne devient pas pour autant l’ennemi désigné de la Grande-Bretagne. La naissance de cette nouvelle puissance continentale est même vue d’un bon œil par Britannia car elle contrebalance la position de la France dont les ambitions avaient inquiété durant le Second Empire. D’où le peu d’émoi et même la satisfaction parfois qui sont ressentis dans les sphères dirigeantes au moment de la victoire prussienne et de la chute du régime impérial, l’opinion publique se montrant pour sa part sensible au sort de la France678.

Le choix britannique de ne pas se mêler des affaires du continent, les intérêts essentiels de l’empire se trouvant plutôt en Asie et en Afrique, fait que Berlin devient le centre diplomatique majeur du continent. Si la concurrence de plus en plus rude que les Allemands opposent à la Grande- Bretagne sur le plan économique suscite parfois de vives réactions germanophobes dans les années 1880 et 1890, les produits allemands pénétrant non seulement la métropole mais également ses colonies, favorisés par le libre-échange, et que les contentieux coloniaux se multiplient après l’entrée véritable de l’Empire allemand dans la course aux colonies en 1884, les tensions diplomatiques ne s’aggravent qu’à partir du moment où ce dernier apparaît comme une menace militaire réelle, notamment grâce à sa marine de guerre. En 1898, l’amiral von Tirpitz débute la constitution d’une

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CHASSAIGNE Philippe, La Grande-Bretagne et le monde de 1815 à nos jours, Paris, Armand Colin, 2009, p. 35.

marine de guerre qu’il veut suffisamment puissante pour servir la Weltpolitik que Guillaume II estime être la destinée naturelle de la nation allemande ; ce projet entraîne une course des deux pays pour disposer de la marine de guerre la plus puissante et contribue à attiser une germanophobie qui jusqu’alors n’avait été que limitée.

Durant la période 1870-1900, c’est la France qui est perçue comme la nation la plus dangereuse à cause de la concurrence qu’elle exerce sur le plan colonial, comme on l’a vu plus haut. Les deux nations sont au bord du conflit armé à Fachoda, à la fin de l’année 1898. L’alliance défensive que Paris noue avec Saint-Pétersbourg en 1894 contribue à accentuer la méfiance à l’égard de la France et les dernières années du siècle voient s’opérer un rapprochement diplomatique entre Londres et Berlin. Dès 1898, et une nouvelle fois en 1901, un traité de défense mutuel est proposé à l’Empire allemand qui le repousse car il souhaite en retour la conclusion d’un traité secret impliquant une intervention automatique et incluant l’Autriche-Hongrie679.

Dès le milieu des années 1890, la presse “populaire” apparaît comme la source la plus constante et importante de germanophobie en Grande-Bretagne et en premier lieu les journaux de tendance conservatrice des groupes Northcliffe et Pearson680. Il semble que ce soit en janvier 1896, lorsque le Kaiser appuie clairement, dans un télégramme, le président du Tranvaal Kruger, qu’a lieu la première explosion de germanophobie dans la popular press, et cette dernière se rend alors compte de ce que l’entretien du sentiment anti-allemand peut lui apporter en termes de ventes681. Mêmes explosions durant l’hiver 1902-1903 et en avril 1903 lorsque le gouvernement britannique accepte d’aider l’Empire allemand à forcer le Vénézuela à honorer le paiement de ses dettes, et qu’il se dit prêt à accepter le projet de syndicat bancaire qui permettrait à Berlin de construire la voie de chemin de fer Berlin-Bagdad. Le tollé dans la presse est tel que le gouvernement doit abandonner ces deux projets. Comme le note D. M. Swallow, « il devenait évident que la germanophobie populaire, soutenue et entretenue par la presse populaire était devenue une réalité politique dont le gouvernement devait tenir compte682. » Si les deux incidents marocains compliquent les relations diplomatiques entre la Grande-Bretagne et l’Empire allemand et provoquent de nouvelles poussées de germanophobie dans la presse à grand tirage, le climat s’apaise à compter de 1912, notamment grâce à la volonté du Secrétaire d’État à la guerre Haldane et du chancelier Bethmann-Hollweg de calmer le jeu. La presse “populaire” continue pourtant à être franchement germanophobe en

679 BARJOT Dominique & MATHIS Charles-François (dir.), Le monde britannique (1815-1931), Paris,

SEDES/CNED, 2009, p. 234.

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SWALLOW Douglas Muir, Transitions in British Editorial Germanophobia 1899-1914 : A case study of J. L.

Garvin, Leo Maxse and St. Leo Strachey, Thesis submitted to the School of Graduate Studies in Partial Fulfilment of the Requirements for the Degree Doctor of Philosophy, McMaster University, may 1980, p. 50.

681

Ibid., p. 52-53.

682

Ibid., p. 55 : « It became abundantly clear that popular Germanophobia, sustained and focused by the

instrumentalisant la moindre occasion pour exciter les passions de la population britannique, et notamment en jouant des naval scares et des spy scares. Si l’on suit Swallow683, la presse “populaire” est franchement germanophobe à compter de 1896, tandis que la quality press ne commence à le devenir qu’au moment de la guerre des Boers. Mais cette popular press n’a guère d’influence politique réelle, d’une part parce que son public est composé avant tout d’un lectorat au sein duquel la proportion de votants est faible, d’autre part parce ses journaux n’emploient pas de responsables politiques influents.

Durant la période 1870-1914, le sentiment national britannique ne s’est pas construit sur un traumatisme comme cela a été le cas en France. Cette époque est celle durant laquelle l’empire britannique progresse à grande vitesse et durant laquelle la Grande-Bretagne se définit avant tout comme une nation martiale684. Le patriotisme s’exprime alors essentiellement sous la forme d’une fierté ressentie face à l’immensité de l’empire et trouve ses principaux déterminants dans une idéologie impérialiste qui domine le discours social et dont les principaux éléments sont le culte de la couronne, l’admiration de la Navy, le darwinisme social et le soldat chrétien. Les moments de tensions, et plus particulièrement les guerres (guerre russo-turque de 1877-1878, première guerre des Boers, guerre contre les Mahdistes au Soudan avec la mort de Gordon en 1885, tensions avec la France au moment de Fachoda, seconde guerre des Boers) sont des moments durant lesquels ce patriotisme prend des accents agressifs que l’on désigne sous le nom de jingoïsme, du nom de la chanson populaire By Jingo ! chantée en 1878 pour soutenir la décision du gouvernement de contrer l’expansion russe vers les Détroits. Ce patriotisme impérial et martial, enseigné dans les écoles, présent de manière concrète dans le quotidien des Britanniques dans les expositions coloniales, dans les associations impérialistes, dans les spectacles et la littérature, ne se définit par rapport à un Autre que de manière très limitée jusqu’au début du XXe siècle car il n’y a alors aucune menace réelle susceptible de polariser le sentiment national britannique. Lorsque l’Empire allemand commence à être perçu comme un ennemi potentiel, la germanophobie devient un élément de définition du patriotisme “populaire” tandis que la menace en elle-même amène certaines révisions de la diplomatie européenne de la Grande-Bretagne (“Entente Cordiale” de 1904, alliance avec la Russie en 1907, prises de position en faveur de la France lors des deux crises marocaines, partage de la surveillance des mers européennes avec la France à compter de 1912).

Le visage du patriotisme sériel, tel qu’il s’exprime dans le Daily Express et le Daily Mirror durant la Grande Guerre, se caractérise par une agressivité réelle envers l’ennemi allemand mais beaucoup plus mesurée que dans le roman-feuilleton patriotique de la même période. On en reste à

683

Ibid., p. 62-66.

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POTTER Jane, Boys in Khaki, girls in print. Women’s literary responses to The Great War 1914-1918, Oxford, Clarendon Press, 2005.