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La non-conscience des conséquences du toucher

Dans le document Le toucher suspendu (Page 136-177)

L ETUDIANT EN RISQUE

II. La non-conscience des conséquences du toucher

Etudiants « risqueurs »

Etudiants sans craintes

Les étudiants, quant à eux, ont une perception plurielle des risques du toucher. La question « pensez-vous qu’il existe des risques dans l’apprentissage pratique à l’école ? » fut posée aux K1 en début d’année. Un répondit « euh bah rien », vingt sept furent plus catégoriques, il n’y avait pour eux « aucun risque ». A première vue, soit ces étudiants sont vraiment dans l’ignorance de ce qui les attend, et leur découverte « risque » d’être déstabilisante ou douloureuse pour eux, soit ils se situent dans le camp des puissants dont ils reproduisent le comportement, à l’instar des politiciens décrits par M. Wieviorka qui déplore que « l’attitude des pouvoirs a été longtemps de nier le risque, il n’y a pas de risque ».387

Certains nuancèrent leurs réponses en écrivant « des risques peut-être, mais pas de danger », ce qui est étonnant car risques et menaces sont toujours étroitement liés, même si « il y a une subjectivité du risque, les porteurs de risque peuvent transformer les données du risque, ses limites et jusqu’à sa définition ».388

Plus surprenante encore, la précision apportée par quatre garçons « non il n’y a pas de risque, boff il risque d’y avoir douleur, mais pas danger », en opposition avec les réponses de douze personnes « oui il y a un risque, celui de se faire mal ».

Les questions qui découlent de ces affirmations sont les suivantes : la douleur fait-elle partie des risques ?des dangers ?des risques acceptables ? Jusqu’où prendre le risque de la douleur ? Peut-on, en tant qu’enseignant, comparer une douleur

387 M. Wieviorka, ibid. 388 M. Wieviorka, ibid.

administrée en cours et une douleur provoquée en soin ? Une friction douloureuse en travaux pratiques a-t-elle une valeur différente d’une friction douloureuse sur un patient ? Sachant qu’il est parfois difficile d’oublier que certains étudiants sont aussi des patients, mais qu’ils sont en lieu de formation et non pas en centre de soin, que « recherche et soin sont étroitement imbriqués, ce qui rend difficile la distinction entre l’objectif thérapeutique et l’objectif cognitif »389, nous entrons de plein fouet dans une

appréciation toute subjective de la notion de risque associée à celle de douleur vécue.

Etudiants craintifs

Les autres étudiants estiment « qu’il va y avoir des risques lors des travaux pratiques à l’école ».

Vingt cinq craignent les « manipulations », surtout lorsqu’elles sont l’œuvre de « non-professionnels » (quinze), ce qui paraît une évaluation pertinente du risque pris ou encouru par des « apprentis débutants ».

Cette réponse avisée est modulée par trois sortes d’affirmations la complétant (les étudiants ayant répondu que le risque existait ont tous développé leurs réponses et tenté d’expliquer leur position).

Treize étudiants déclarent que « le risque sera minime puisque nous serons encadrés » (le terme encadré est cité les treize fois…), faisant allusion à la fonction de « guide » et de « contrôle » des enseignants « qui ne laisseront tout de même pas faire n‘importe quoi » et se rapprochant par là d’une certaine conception de l’apprentissage des moniteurs-cadres en activité aujourd’hui. Rappelons brièvement que les plus anciens diplômés du certificat de cadre ont eu une formation les destinant à savoir à la

389 M-L. Delfosse, « l’Expérimentation sur l’être humain : entre nécessité clinique et recherche éthique »,

fois administrer, gérer un service hospitalier, et enseigner, et que l’image du moniteur- cadre était donc celle « d’un technicien maîtrisant parfaitement sa technique et capable de montrer ce qu’il faut faire »390. Cette image perdure, relayée par les attentes des

étudiants désireux d’être orientés et guidés par des spécialistes et des experts.

Ces mêmes étudiants ne prêteraient-ils pas à leurs enseignants quelque vertu divine, ou étatique ? Les enseignants gardent, pour les étudiants, le pouvoir suprême de notation, de sanction et de décision, et cette confiance aveugle et soumise « il n’y a pas trop de risque puisque nous sommes encadrés » me fait penser à ces années 1848 qui prônaient « la société est d’abord , et avant tout, une grande association de défense, d’assurance, de protection mutuelle, formée par Dieu lui-même…son action s’étend à tout ce qui menace, à tout ce qui attaque…la Société doit donc employer contre eux toute sa volonté et sa puissance et son intérêt est ici d’accord avec son devoir »391.

De plus, si l’institut est considéré comme un Etat souverain, avec ses dirigeants et ses citoyens, son règlement intérieur librement signé fait office de loi, d’après l’article 1134 stipulant que « les conventions légalement formulées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ». Cette loi qui fait régner l’ordre protège en effet les individus, comme l’écrivait Rousseau dans le Contrat Social. Mais cette loi n’a rien de divin, « l’ordre social est un droit sacré qui sert de base à tous les autres. Cependant, ce droit ne vient point de la nature ; il est donc fondé sur des conventions »392.

En extrapolant, nous pouvons, tout en reconnaissant que les étudiants ont raison de croire en une obligation légale de protection par des enseignants ayant eux aussi lu et approuvé ce type de contrat, considérer que la signature de ce document s’apparente tout à fait à une prise de risque puisque en tant que contrat, elle exige le concours de deux ou plusieurs déclarations de volonté, se manifestant, comme pour une prise de risque, par leur mise en relation. La question est la même dans les deux cas: quelle est la volonté qui sert vraiment de base à l’acte ? Nous reviendrons bien évidemment sur

390 J-L. Gaudron, Mémoire de DEA en sciences de l’éducation, Université de Nanterre-Paris X, 1994, p. 6. 391 J-B. Duroselle, Les débuts du catholicisme social en France, Colin, Paris, 1995, p. 46.

la piste de réflexion ainsi profilée, sur l’autonomie de cette « volonté de tout être raisonnable conçue comme volonté instituant une législation universelle »393.

Etudiants prêts au risque

Onze étudiants affichent un relatif fatalisme, déclarant que « de toutes façons, c’est comme dans la vie, le risque zéro n’existe pas ». Ce constat permet à quelques uns d’envisager l’avenir avec sérénité, et d’accepter l’éventualité de la survenue d’un évènement désagréable pour eux ou pour leurs collègues. Certains paraissent plus désabusés, presque « énervés » de « ne rien pouvoir y faire ». Ceux-là se réjouiront certainement quand une démarche d’analyse, d’appréhension méthodologique des risques, sera entreprise avec eux, articulée notamment autour des thèmes de l’identification, l’évaluation, la gestion et la communication des dangers du toucher.

Sept étudiants admettent que « certes il y a des risques », mais « que c’est bien utile à la compréhension et à l’apprentissage ». Dit autrement, l’apprentissage justifie la prise de risque, l’apprentissage nécessite cette prise de risque…

Serait-ce une demande et une autorisation implicite donnée aux enseignants de laisser les apprentis kinésithérapeutes faire l’expérience de la douleur, comme le préconisait Rousseau pour l’Emile, puisque d’après lui, « loin d’être attentif à éviter qu’Emile ne se blesse, je serois fort fâché qu’il ne se blessât jamais et qu’il grandit sans connoître la douleur. Souffrir est la première chose qu’il doit apprendre et celle qu’il aura le plus grand besoin de savoir »394.

Serait-ce une reconnaissance de la valeur d’une sanction, donnée cette fois-ci non plus par un dieu tout puissant, mais par un « négatif régulateur » ?395 Pour Rousseau, un

393 Kant, Critique de la raison pure, Garnier Flammarion, 2001, p. 154. 394 J-J. Rousseau, Emile ou De l’éducation, op. cit., p. 136.

enfant qui « a l’initiative et ne connaît pas d’autre sanction que la réussite ou l’échec n’apprend pas à croire sur parole »396, ce qui signifie pour nos étudiants qu’au-delà de

l’acquisition de connaissances, cette sanction consécutive à une prise de risques dont les conséquences seraient néfastes dans un premier temps (douleur, mauvaise note…) est un tremplin vers la liberté car « la liberté de l’enfant se découvre dans l’acte où elle explore les limites du pouvoir et du savoir »397, et un gage de l’émergence de cette

liberté puisque « sanctionner, c’est bien, en effet attribuer à l’autre la responsabilité de ses actes et, même si cette attribution est constitutivement prématurée, même si elle est, stricto sensu, au moment où elle est faite, un leurre – puisque l’enfant n’est précisément pas déjà éduqué – elle contribue à son éducation en créant chez lui progressivement cette capacité d’imputation par laquelle sa liberté se construit»398.

Serait-ce la traduction de leur esprit de chercheurs en herbe (deux seulement ne viennent pas de filières dites scientifiques) ? De leur ancrage d’étudiants « élevés » au lycée par des professeurs formés à des pédagogies très expérimentalistes telles que celle défendue par J-J. Bonniol qui affirme « dans les apprentissages d’ailleurs, si un organisme qui apprend ne produit pas d’erreur, et bien, il n’apprend rien, voyez-vous ; plus précisément ce qu’il apprend est beaucoup moins susceptible de généralisation ou de transfert que ce qui est appris avec production d’erreurs ensuite corrigées »399.

Quoi qu’il en soit, tous ces étudiants, pour des raisons diverses, ont en commun l’anticipation et l’acceptation du risque en institut, proposant même pour certains des solutions dont les plus fréquemment citées sont de « prendre des précautions » (onze fois) et de « faire attention » (dix fois).

C’est ainsi que risque ou pas, les étudiants, craintifs ou non, n’envisagent absolument pas leurs travaux pratiques comme réellement dangereux, et cette attitude de confiance et d’optimisme, ou de non conscience de la réalité, pose un autre

396

Ibid., p. 37.

397 Ibid., p. 37.

398 P. Meirieu, Le choix d’éduquer, Paris, ESF, 1993, p. 66.

problème éthique aux enseignants. Qu’en est-il en effet du consentement avisé des étudiants ? Du premier principe du Rapport Belmont qui souligne que « les individus doivent être traités comme des agents autonomes »400, c'est-à-dire capables de décider

par eux- mêmes en toute connaissance de cause ?

Pour terminer cette partie consacrée au questionnaire distribué aux étudiants, penchons nous sur les réponses des étudiants de première année devenus étudiants de deuxième année, à qui la même question fut posée à l’entrée en seconde année.

Plus personne ne répondit qu’il n’y avait aucun risque, certains ajoutant avec humour que « rien ne vaut l’expérience pour vous faire revenir sur terre ». Presque tous cautionnèrent « les maladresses, les fautes, les bourdes, les c….ies » en disant que « il faut bien apprendre ». Précisons que trente étudiants insistèrent sur le fait que « les risques sont surtout pour les manipulations sur le cou » et qu’une dizaine se trouva « perturbé par ce corps humain qui ne se laisse pas faire »

Une seule session de travaux pratiques avait donc suffi pour leur ouvrir les yeux sur les risques sous-jacents au toucher, à leur toucher, notamment dans la région cervicale, mais pour également les renforcer dans leur opinion « qu’apprentissage et risques sont liés », et « qu’il faut bien souffrir pour avancer »...

D’un point de vue d’enseignante, le dépouillement des réponses tant des K1 que des K2 confirma qu’il serait bien utile de s’arrêter et de réfléchir un peu plus sur ces prises de risque en travaux pratiques d’apprentissage du toucher, puisque « les risques qui sont actuellement au centre des préoccupations sont de plus en plus des risques qui ne sont ni visibles ni tangibles pour les personnes qui y sont exposées, des risques qui parfois même restent sans effet du vivant des personnes concernées »401.

400

Le Rapport Belmont, « Principes d’éthique et lignes directrices pour la recherche faisant appel à des sujets humains », Médecine et expérimentation, cahiers de bioéthique, Presses de l’Université Laval, Québec, 1982, p. 235.

Prendre un temps de pause, ouvrir son esprit à des « organes de perception » d’une « science - théories, expériences, instrument de mesure - pour que les risques puissent devenir visibles, interprétables en tant que risques »402, pourraient être des

actes d’éducation au toucher préalables et complémentaires au toucher lui-même afin que cet « évènement non encore survenu »403 nous éclaire dans « cette projection que

nous devons esquisser pour déterminer et organiser notre action présente »404.

Nous avons établi la liste des incidents et accidents répertoriés pendant deux ans en travaux pratiques de technologie de base. Examinons maintenant les réactions des étudiants telles qu’enregistrées après ces faits d’apprentissage du toucher.

Vingt étudiants K1 et cinq K2 déclarent « n’avoir rien remarqué ».

Trente K1 et cinq K2 se veulent rassurants en affirmant « c’est normal, ça lui arrive tout le temps ».

Vingt K2 précisent « ce n’est rien, ce n’est pas grave ».

Dix K1 et vingt K2 s’étonnent ou protestent « pourtant je n’ai rien fait ».

Que penser de telles affirmations ?

L’absence de conscience « visuelle » et « tactile »

« Je n’ai rien remarqué, je n’ai rien vu » constatent, sans le déplorer, vingt cinq étudiants.

402 Id., p. 49. 403 Ibid., p. 60. 404 Ibid., p. 62.

L’approche du toucher

La très nette diminution du nombre de ceux ne se rendant compte de rien entre la première et la seconde année plaide en faveur d’une explication purement cognitive. En première année, les étudiants découvrent leur toucher, comme nous en avons déjà parlé, ils ne connaissent ni leur force, ni les dégâts qu’elle peut engendrer. Ils n’ont jamais entendu parler de bilans autres que financiers ou économiques, et ne savent souvent même pas ce qui entre en jeu avec ce genre d’évaluation en kinésithérapie. Une triade de Lewis est en général de taille minime, bien moindre que celles photographiées sur les documents en annexe. Une contracture peut passer inaperçue entre des mains non expertes. Ces étudiants n’ont pas encore la connaissance des pratiques de bilans visuels ou palpatoires exigeant finesse et discrimination visuelle et tactile exercées et ne « voient » donc rien souvent uniquement parce qu’ils ne savent pas que quelque chose est à voir.

Nous sommes dans une analyse purement descriptive d’une « éducation-produit (- encore imparfait -), résultant d’une éducation-système »405, dans un milieu où

l’apprentissage a pour objectif de former un individu à un toucher professionnel dont la maîtrise des composantes techniques (bilans et toucher proprement dit) passe par l’acquisition progressive d’habiletés et de capacités obtenues par étapes et par répétition de gestes et de touchers différents.

C’est pourquoi apprendre à voir, pour mieux toucher, apprendre à mieux toucher pour ne plus voir de réactions cutanées intempestives, apprendre le toucher à ses yeux, seront donc quelques unes des missions des enseignants qui savent que « le passage de la vue au tact »406, et réciproquement, est une des clés d’un toucher

rééducateur efficace.

405 G. Mialaret, Les sciences de l’éducation, Paris, PUF, 2002, p. 9. 406 J. Derrida, Le toucher, Jean-Luc Nancy, op. cit., p. 115.

Mais il reste ces cinq étudiants de deuxième année qui ne voient toujours rien après un an de travaux pratiques intensifs. Pourquoi ne remarquent-ils toujours rien ? Font-ils partie de ces étudiants fourvoyés dont la voie est ailleurs ? Font-ils partie de ceux plus lents, qui ont besoin de temps et de stages pour mieux voir ? Ressemblent-ils à ceux dont nous analyserons les réactions plus en détail un peu plus tard? Ou font-ils partie de ceux n’ayant pas conscience de leurs contenus de conscience ?

Perception sans aperception ?

Leibniz dissocie le sujet de sa conscience, ce qui pourrait être le cas des étudiants ignorant l’objet de leur toucher.

« Il y a mille marques qui font juger qu’il y a à tout moment une infinie de perceptions en nous, mais sans aperception et sans réflexion, c’est- à- dire des changements dans l’âme même, dont nous ne nous apercevons pas »407 écrit-il. L’âme

étant liée au corps, elle est informée des sensations, par exemple de la couleur ou de la température de la peau de celui qui est massé par les yeux ou les récepteurs tactiles manuels de celui qui masse, mais les étudiants n’ont pas conscience de les percevoir, même si « ce n’est pas que ce mouvement ne frappe toujours nos organes et qu’il ne se passe encore quelque chose dans l’âme qui y réponde, à cause de l’harmonie de l’âme et du corps »408.

Leibniz donne plusieurs explications à ce qui peut paraître un manque de réflexion. « Mais ces impressions qui sont dans l’âme et dans le corps, destituées de l’attrait de la nouveauté, ne sont pas assez fortes pour s’attirer notre attention et notre mémoire, attachée à des objets plus occupants »409 écrit-il. Si l’attention a un rôle

407 Leibniz, Nouveaux essais sur l’entendement humain, Paris, Aubier, 1998, p. 56. 408 Id., p. 57..

important dans l’aperception, nous ne pouvons pas « accuser » les étudiants d’être distraits ou bruyants, les travaux pratiques étant en général les moments où leur attention est à son comble. Si l’attention porte sur ce qui est nouveau, nous ne pouvons pas non plus dire qu’ils sont inattentifs car ces travaux pratiques portent précisément sur des matières nouvelles pour eux. Par contre, si l’attention sélectionne ce qui nous préoccupe, ce qui nous importe, ce qui requièrt toute notre attention de sujet agissant, nous pouvons comprendre que puisqu’une des priorités des étudiants est l’apprentissage d’une mobilisation passive nouvelle, ils focalisent toute leur attention et leur énergie sur le geste à produire, geste technique difficile pour eux débutants. Il y aurait une sorte d’élection et de marginalisation des contenus de conscience en fonction des valeurs des étudiants. Cette aperception serait un filtre des contenus de conscience, conscience qui deviendrait alors une sorte de conscience intentionnelle réflexive n’ayant pour objet que les perceptions les intéressant dans leur existence de sujets apprenant un toucher technique spécifiquement massokinésithérapique.

Cette analyse pourrait s’appliquer à tous ceux ayant en première année déclaré ne rien remarquer, et ayant évolué vers une conscience non seulement du geste technique, mais de ses conséquences, augmentant par là leur champ d’attention et donc de vision.

Leibniz relie attention et mémoire, mais les rapports entre ces deux activités cérébrales sont plus complexes qu’il n’y parait, comme nous le reverrons. Retenons simplement pour le moment que si la mémorisation des perceptions inaperçues par les K1 les aide en tant que K2 à une sorte d’attention rétrospective de ces perceptions, reprendre les travaux pratiques de première année en seconde année s’avère utile et nécessaire, contrairement à ce que pensent certains responsables pédagogiques privilégiant l’apprentissage de matières toujours nouvelles plutôt que le retour tactilement réflexif sur des sensations déjà expérimentées, et donc soi-disant connues et intégrées.

Leibniz continue son texte en écrivant que nous ne nous apercevons pas des changements dans notre âme parce que « les impressions sont, ou trop petites, ou en trop grand nombre, ou trop unies, en sorte qu’elles n’ont rien d’assez distinguant à part, mais jointes à d’autres, elles ne laissent pas de faire effet et de se sentir, au moins confusément dans l’assemblage »410. Quel beau décryptage de l’absence de conscience

réflexive des étudiants, non pas due à un défaut de cette conscience, ni à un manque de vigilance de sa part, mais due au caractère même des perceptions du toucher, soit trop ténues pour être aperçues, soit trop confuses, variées, chaotiques pour pouvoir être isolées, soit trop peu différenciées, trop proches les unes des autres. Qui pourrait en effet d’emblée percevoir un lever de tension, une moiteur soudaine différente de la moiteur provoquée par la température extérieure d’un mois de juin, qui pourrait se rendre compte en un quart de seconde du discret changement de couleur d’un visage,

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