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3- Des représentations de l’insertion sociale

3.2 Conception de l’avenir de la société

3.2.1 La mobilité sociale, une distinction selon le sexe

L’optimisme que plusieurs jeunes ont démontré face à l’avenir de la société, ou à leur avenir dans la société, est étroitement lié au phénomène de la mobilité sociale. En effet, la capacité d’atteindre, de reproduire et même de dépasser le mode de vie proposé par leurs parents oblige les jeunes à faire une évaluation des réalités vécues par les générations précédentes et de les comparer avec leur cheminement personnel et leurs aspirations. Or, il semble y avoir une nette distinction entre la perception de la mobilité sociale chez les jeunes femmes et chez les jeunes hommes.

Il appert clairement que les jeunes femmes, quel que soit leur statut professionnel, comparent avantageusement leur situation à celle de leur mère. Elles évaluent que les conditions et les possibilités offertes en matière d’emploi sont supérieures aux réalités vécues par leur mère. Une étudiante de 24-25 ans explique quels sont les avantages à être une jeune femme dans la société actuelle.

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Q : Quels sont les avantages à être une jeune femme de 24, 25 ans dans la société actuelle?

R : Si je compare à ma mère, c'est sûr qu'on a bien des avantages. On est valorisé à travailler. Ma mère, c'était la maison, les enfants; elle n'avait pas la possibilité de s'épanouir. Nous autres, on peut le faire. On a droit à plein de choses si je compare à nos mères. Pour nous autres, il n'y a plus de barrière ou presque plus. Il y a encore des petits clichés, mais on commence tranquillement pas vite à les tasser. Au point de vue personnel, on peut se permettre d'être soi-même, de s'épanouir. On peut s'impliquer dans plein de choses puis on n'est pas "mal venue" dans les organismes. Plus souvent qu'autrement, ils vont être contents d'avoir des femmes. Dans le passé, ce n'était pas ça du tout.

Une travailleuse de 28-29 ans précise les possibilités offertes aux femmes aujourd’hui.

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Q : Quels sont les avantages à être jeune dans la société actuelle?

R : C'est que nous pouvons de plus en plus faire notre place. Les femmes sont davantage considérées dans les différentes instances et ça me fait plaisir. Je prends ma place et je me tiens avec des gens expérimentés et qui ont un certain prestige.

Comme l’a souligné Gauthier (1994), les jeunes femmes ont connu depuis 1960 une amélioration considérable de leur situation comparativement à celle de leur mère, du moins en ce qui a trait à l’accès à l’emploi et à l’éducation. Ainsi, elles ont davantage l’impression de pouvoir jouer un rôle actif dans la société. Il semble que le fait de pouvoir atteindre, reproduire et même dépasser les modèles de leurs aînées influence cette perception.

Chez les jeunes hommes, certains témoignages recueillis révèlent au contraire l’entretien d’un sentiment d’injustice intergénérationnelle. Des répondants masculins, étudiants et chômeurs principalement, s’insurgent devant les difficultés d’intégration et la situation professionnelle précaire des jeunes, surtout en comparaison avec la période mythique que la génération des baby-boomers aurait connue. On critique les barrières à l’intégration professionnelle des jeunes comme par exemple les obligations de compétence et les exigences d’expérience. Un travailleur de 24-25 ans compare ici son cheminement à celui d’adultes plus âgés :

Q : Mais y a-t-il d'autres avantages pour toi d'être jeune dans la société d'aujourd'hui?

R : Pas vraiment. Je pense qu'il y a rien que des désavantages d'être jeune dans la société d'aujourd'hui. Dans le sens qu'il n'y a pas d'avantages dans la société d'aujourd'hui parce qu'il faut qu'on bûche 10, 15, 20, 100 plus fort que les jeunes d'avant, on peut dire là. C'est plus poli hein, les jeunes d'avant. Parce que ceux qui ont eu la chance d'aller étudier puis même ceux qui n'ont pas eu la chance d'aller étudier, il y avait des emplois comme il voulait. J'entendais parler des mineurs là, ils n'avaient pas nécessairement d'instruction. Mais une journée que ça ne faisait leur bonheur, ils n'avaient pas le salaire qu'il voulait. Il y en avait trois qui couraient après eux autres pour les engager. Puis ceux qui étaient aux études, bien, eux autres, ils étaient à leur première année même, je pense qu'ils venaient juste de s'inscrire et ils avaient déjà trois, quatre emplois, tu sais. C'est dans ce sens là. Par contre, je vais savoir plus tard, si ça va m'apporter plus là. Je ne sais pas le cheminement qu'on fait là.

Un étudiant de 24-25 ans se révolte contre les conditions d’accès au marché de l’emploi qu’il connaît, et surtout des obstacles à l’intégration professionnelle, mis en place par des adultes déjà intégrés professionnellement.

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Q : Est-ce que tu es satisfait de ton choix d'étude ? (…)

R : Oui, quand j'ai suivi mon cours d'électricien, je voulais faire un électricien. Je voulais travailler là-dedans parce que tu avais un bon salaire et tu étais à la journée. Mais lorsque je suis sorti de l'école, ils ont barré les cartes. Pendant un an, personne pouvait avoir de carte, même en payant. Après ça, ils ont sorti les cartes mais ils faisaient travailler leurs électriciens qui étaient déjà syndiqués avant. Puis toi le pauvre petit diable, tu sors de l'école, tu bûches pour pouvoir entrer mais tu ne peux pas. Là qu'est-ce que tu fais ? Tu t'en vas dans un autre domaine parce qu'il faut que tu manges, que tu vives toi aussi. Tu t'arranges, mais tu te retrouves plus de job. Tu te dis : " je vais retourner dans ce métier là. " Mais l'employeur me dit : " bien là, ça fait longtemps que tu n'as pas fait ça. Tu pourrais aller faire un autre cours en électromécanique ". Moi je suis électricien de construction. Il me disait va faire ce cours-là. Il m'aurait engagé et il m'aurait payé 12$ de l'heure comme électromécanicien. C'est un bon salaire, mais quand il aurait des jobs d'électricien, il me les ferait faire parce que j'ai les compétences, mais il ne me paierait pas selon le salaire d'un l'électricien. Si ça s'appelle pas " crosser " un jeune c'est quoi ça ?

Ces critiques ne constituent pas un phénomène nouveau, l’intégration professionnelle ayant de tout temps comporté son lot de difficultés. La critique se situe toutefois dans une période de transformations du marché du travail, où l’indétermination et la précarité deviennent de plus en plus présentes dans les parcours d’intégration. Elle reflète également le problème de l’identification des nouveau rôles que les jeunes hommes doivent remplir. La redéfinition du rôle de pourvoyeur de ressources, traditionnellement associée au travail salarié des hommes dans la société québécoise, est particulièrement identifié comme une source de malaise par Gauthier. (1994) Ainsi, comparativement aux jeunes femmes, les jeunes hommes éprouvent plus de difficultés à atteindre, à reproduire, et bien entendu, à dépasser les modèles développés par leurs aînés. Cette mobilité sociale difficile, ajoutée à la redéfinition des rôles sociaux des jeunes hommes, pourraient expliquer la diminution graduelle de la proportion des hommes dans de nombreux programmes d’enseignement. Cette limite perçue dans les chances de mobilité sociale joue certainement sur la motivation scolaire (Bouchard et St- Amand, 1996).

Toutefois, même si la conjoncture semble plus défavorable à l’intégration professionnelle des hommes, plusieurs informateurs ont évalué leur situation de façon plus favorable que celle des chômeurs de 45-55 ans, pourtant issus du baby- boom. Un travailleur explique qu’il est plus intéressant pour un employeur d’engager un jeune travailleur de 25 ans, qu’un individu qui se retrouve en fin de carrière et qui n’a pas pu suivre l’évolution technologique.

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Q : Quels sont les avantages à être jeune dans la société actuelle?

R : Lorsque tu es jeune, tu es plus dynamique et tu es plus motivé. Tu es également moins réticent aux changements. J'apprends plus vite et je "deale" avec la technologie car j'ai grandi avec cela.

Ainsi, la capacité d’adaptation aux nouvelles technologies limiterait les conséquences difficiles engendrées par les transformations du monde du travail. Le regard envieux sur l’intégration professionnelle des générations issues du baby- boom s’efface ainsi devant les capacités d’adaptation des plus jeunes, surtout chez les informateurs les plus scolarisés.