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2- Vérification des propositions de départ

2.2 Les trajectoires d’insertion sociale réussies sont fondées sur la présence de passerelles ou de passeurs adultes ayant favorisé le passage de la « vie de

2.2.2.2 L’intégration directe

Pour certains de nos répondants, le passeur est intervenu directement pour favoriser leur intégration professionnelle. On retrouve encore une fois des membres de la famille parmi les passeurs de ce type, notamment des parents qui possèdent une entreprise. Il y a également des pairs qui, travaillant au sein d’une entreprise qui cherche à un moment précis des candidats pour accomplir certaines tâches, établissent un lien entre un jeune en voie d’intégration et le patron d’une entreprise. L’utilité des passeurs directs est d’autant plus grande qu’ils sont en lien étroit avec l’employeur, parfois, ils sont eux-mêmes propriétaires de l’entreprise et participent donc directement à l’intégration professionnelle.

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Q : Comment as-tu obtenu ton premier emploi?

R : J'ai travaillé pour mon père. C'est, je pense que beaucoup d'enfants que leur père a une compagnie, je pense que c'est comme ça qu'ils commencent. Puis c'est tout le temps les meilleurs emplois, je pense. Q : Ça répond à l'autre question mais quelqu'un t'a-t-il aidé à dénicher ton emploi?

R : Oui. Mon père. Bien, non. Mon père avait pris sa retraite quand que je me suis fait offrir par ma sœur puis mon frère, ma " job ". Ça fait que, ça été, c'est eux autres qui sont venus me rechercher à Québec. J'étais aux études à Québec, ils me l'ont offert pendant le congé de Pâques quand je suis revenu. Ils me l'ont offert. Ils me l'ont proposé, j'ai pris une semaine ou deux semaines à ma décision. Les "pour" les "contre" puis j'ai pris... Juste à la fin quand j'ai décidé de revenir ici parce que ce n'était pas la même... Ce n'est pas la même affaire de se trouver un " job " puis d'avoir les mêmes conditions, je veux dire, des fois, c'est assez compliqué surtout quand tu commences puis tout ça là. Ça fait que je peux dire que j'ai été chanceux.

Ne profitant pas tous de la même situation pour favoriser l’accès au monde du travail, les passeurs directs peuvent souvent influencer le processus de sélection. Un salarié de 24-25 ans du Témiscamingue nous explique comment il a obtenu un emploi d’été, à titre d’étudiant, opportunité qui s’est transformée en emploi stable par la suite.

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Q : Mais avais-tu déjà travaillé là durant les étés?

R : Oui. J’avais travaillé là l’années d’avant durant mon école. Alors ils savaient un peu comment je travaillais et quand ils sont tombés dans un « rush » d’ouvrage, ils m’ont appelé.

Q : Puis la première fois que tu es rentré là (…), ça c’était passé comment?

R : C’était mon frère qui travaillait là. C’est lui qui m’avait fait rentrer là. Si tu es vraiment pourri, ils ne te reprennent pas. Puis si tu n’es pas si pire, ils te gardent.

La capacité de faire intervenir ses relations sociales apparaît clairement dans ce témoignage, et dans plusieurs autres également. À la limite, les compétences préalables influent moins sur l’embauche d’un candidat que la connaissance d’un salarié de l’entreprise. L’interaction entre un jeune et ses passeurs potentiels est cependant très importante, car pour participer aux démarches d’intégration, le passeur doit connaître les aspirations et les compétences du « protégé ». Aussi la

participation du passeur est souvent conditionnelle aux efforts d’un jeune mobilisé et à ceux d’un adulte ouvert et disponible. D’ailleurs, plus loin dans son entrevue, le même répondant explique qu’il facilite l’intégration professionnelle de ses amis selon les mêmes conditions, agissant à son tour comme passeur.

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Q : Tes amis en emploi, comment ont-ils obtenu leur emploi?

R : Il y a bien de mes « chums » que c’est moi qui les ai fait rentrer. Le « boss » te dit : « Tu ne connaîtrais pas quelqu’un? » (…) À l’usine c’est : « Connais-tu quelqu’un qui pourrait venir travailler? » (…)

Il doute d’ailleurs de l’efficacité de l’envoi de curriculum vitae. Il ressort cependant dans les témoignages, qu’une fois l’opportunité présentée, le protégé doit absolument faire ses preuves. C’est à lui qu’incombe la responsabilité de satisfaire aux exigences de l’employeur. C’est le problème de l’éthique du travail et du développement des compétences.

L’intervention du passeur direct le lie étroitement avec son « protégé ». Ils ont l’un envers l’autre une forme d’obligation mutuelle. En effet, pour reprendre les termes de Houde (1997), le passeur qui intègre un « protégé » dans une entreprise apparaît comme son répondant ou son tuteur. Il pourrait éventuellement être blâmé en raison d’une erreur ou d’une mauvaise performance de son protégé. Un salarié de 28-29 ans ayant bénéficié des services d’un passeur direct, explique la pression additionnelle qu’il ressentait au moment d’une entrevue de sélection.

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Q : Est-ce que tu te rappelles comment as-tu obtenu ton premier emploi? R : (…) J’ai su par mon meilleur ami qu’un poste s’ouvrait : « Si tu es intéressé, tu as une entrevue demain matin. » Ça été la pire entrevue de

ma vie. Mais ça a l’air que j’ai été bon. J’étais nerveux parce que c’est lui qui m’avait donné le « push ». Mais finalement, ils m’offrent la « job » (…)

Ainsi, le passeur et son répondant sont liés par une forme de contrat authentique basé sur la confiance mutuelle. Leurs rapports s’inscrivent dans le cadre de relations sociales stables. Le passeur, garant des compétences de son « protégé », s’assure que celui-ci sera capable de remplir les fonctions exigées. Ce dernier doit, bien entendu, préserver l’image de son passeur en s’acquittant de façon

satisfaisante des tâches qui lui sont confiées. Les relations avec son passeur et l’avancement de sa carrière dépendent de sa volonté d’acquérir des habitudes de travail et de faire la démonstration de ses capacités.

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La finalité du passeur étant l’intégration professionnelle, elle soulève le problème de la première expérience de travail offerte à un jeune. Elle interpelle les adultes et les invite à se rendre disponibles, ouverts, engagés dans l’entrée sur le marché du travail des générations suivantes. Elle incite d’autre part les jeunes à développer des relations sociales et surtout, à les faire intervenir de manière à obtenir une première chance de démontrer leurs capacités. C’est cette première opportunité qui souvent fait tourner la roue de l’intégration professionnelle : la première expérience de travail permet au jeune de démontrer ses capacités personnelles. Elle lui offre l’opportunité d’élargir ses relations sociales et dans un deuxième temps, la chance de développer ses habitudes de travail, ses compétences et (par l’élargissement du nombre de passeurs potentiels) le nombre d’opportunités susceptibles de se concrétiser.

La mobilisation du passeur n’est certainement pas exclusive à la région. Mais en raison de la structure socio-économique et de la dynamique propre aux grands centres (Montréal et Québec par exemple), il faudrait se demander si les liens personnels forts jouent un rôle similaire dans l’insertion des jeunes. En effet, il est raisonnable de croire que dans les centres plus urbanisés où la nature des relations sociales est plus hétérogène, l’influence des passeurs est différente de celle qu’on a pu remarquer dans une région périphérique comme l’Abitibi-Témiscamingue. Les jeunes de ces régions ont peut-être plus fréquemment recours à des organismes pour s’insérer socialement et s’intégrer professionnellement.