• Aucun résultat trouvé

2. Cadre théorique

2.3. La mémoire épisodique en clinique

2.3.1. Les troubles de la mémoire épisodique

Les problèmes de mémoire épisodique sont relativement fréquents dans la mesure où l’encodage et la récupération des épisodes sont sensibles à d’autres facteurs que nous avons déjà évoqués tels que l’activation émotionnelle ou le sommeil, ainsi que d’autres facteurs plus généraux, comme la vitesse de traitement, les ressources disponibles en mémoire de travail et les capacités d’inhibition (Van der Linden, Meulemans, Belleville, & Collette, 2000). De même, un vaste réseau cérébral est impliqué dans les processus sous-tendant la mémoire épisodique (régions préfrontales, temporales, diencéphaliques et pariétales) (Guillery-Girard, Quinette, Piolino, Desgranges, & Eustaches, 2008). Ceci explique que les troubles de la mémoire épisodique soient également très fréquents suite à une lésion cérébrale.

Nous avons déjà vu que la mémoire épisodique était influencée par la qualité du sommeil et les inquiétudes. Un tableau clinique qui est souvent associé à des difficultés de sommeil et des pensées répétitives telles que les ruminations ou les inquiétudes est la dépression. Ainsi, il apparaît que les symptômes dépressifs sont souvent accompagnés de difficultés en mémoire épisodique (Söderlund et al., 2014).

Les troubles de mémoire épisodique sont également prépondérants dans le vieillissement problématique, notamment chez les patients ayant reçu le diagnostic de Maladie d’Alzheimer, mais apparaissent aussi dans le vieillissement normal (Taconnat &

Isingrini, 2008). En effet, dans la population tout-venant, il existe une variabilité importante des capacités de mémoire épisodique chez les personnes âgées (Astin, Simon, Kurth, Collette,

& Salmon, 2013). Chez les personnes pour qui la mémoire épisodique décline, on observe

2.3.2. L’évaluation classique de la mémoire épisodique

Les tâches d’évaluation de la mémoire épisodique se divisent traditionnellement en deux étapes. La première étape consiste en une phase d’encodage du matériel faisant l’objet dudit test. La seconde étape a lieu après un délai variable et constitue la phase de récupération, durant laquelle il est explicitement demandé de rappeler le matériel précédemment encodé. La phase de récupération peut se décliner en rappel libre, rappel indicé ou reconnaissance. En rappel libre, on demande simplement à la personne de rappeler le plus d’items possible, dans n’importe quel ordre. Dans une tâche de rappel indicé, on fournit à la personne un indice de récupération lié à l’item cible. Enfin, dans une tâche de reconnaissance, la personne ne doit pas produire l’item, contrairement au rappel, mais le reconnaître parmi une série de distracteurs, à savoir des items proches des items cibles.

Bien que la conception de la mémoire épisodique ait beaucoup évolué au cours des dernières décennies, l’évaluation de la mémoire épisodique est souvent effectuée grâce à l’utilisation d’épreuves que nous qualifierons de « classiques », issues de la tradition psychométrique (Van der Linden, Meulemans, Belleville, & Collette, 2000). Ces tâches présentent l’intérêt d’avoir des normes par genre, pour différentes tranches d’âge, et parfois par niveaux socioculturels (établis grâce au nombre d’années d’études réussies). En effet, ces trois variables sociodémographiques peuvent influencer les performances en mémoire épisodique. Plus particulièrement, les femmes obtiennent de meilleures performances en mémoire épisodique (Herlitz, Nilsson, & Bäckman, 1997), les capacités de mémoire épisodique déclinent avec l’âge (Taconnat & Isingrini, 2008), et les personnes de niveau socioculturel plus faible ont tendance à avoir de moins bons résultats (Dessi et al., 2009). Ces tâches classiques permettent ainsi de situer l’individu par rapport à son groupe de référence.

Toutefois, elles présentent certains désavantages que nous allons expliciter. Quelques exemples de ces tâches classiques incluent le test d’apprentissage d’une liste de quinze mots de Rey (Rey, 1966) ou la tâche de rappel libre / rappel indicé 16 items (Grober & Buschke, 1987).

Au niveau méthodologique, ces épreuves font appel à un encodage intentionnel, ce qui signifie qu’au moment de l’encodage, le sujet sait qu’il doit mémoriser l’information en vue d’un rappel ultérieur. Il nous paraît intéressant de relever ici que dans la vie quotidienne, nous encodons la plupart des épisodes de manière incidente.

Quant aux stimuli, il s’agit pour les tâches précitées, de listes de mots. Comme nous l’avons vu, l’identité des personnes est un facteur très important à prendre en considération

lorsqu’on s’intéresse à la mémoire épisodique. Ce genre de matériel est critiquable puisqu’il ne véhicule pas de signification pour les participants qui y sont soumis. De plus, ce matériel est peu écologique, à savoir que nous ne rencontrons que rarement ce genre de stimuli dans la vie quotidienne.

Le rappel libre / rappel indicé 16 items (Grober & Buschke, 1987) et la tâche des quinze mots de Rey (Rey, 1966) proposent un rappel différé, mais celui-ci n’a pas lieu au-delà de 40 minutes. Comme nous l’avons vu dans le modèle du Self-Memory System (Conway, 2005), seuls les épisodes intégrés au self sont maintenus à long terme. Ce processus prend toutefois du temps, et un délai de 40 minutes seulement paraît limiter les conclusions possibles quant au maintien de l’information sur le long terme.

Enfin, ces tests classiques, relativement anciens, ne tiennent pas compte des conceptions théoriques actuelles de la mémoire épisodique, en particulier de ses liens étroits avec l’identité et les buts, ni du caractère phénoménologique des souvenirs épisodiques, puisqu’ils ne permettent d’évaluer que les informations cibles.

Plusieurs auteurs ont ainsi souligné l’inadéquation des tests de mémoire épisodique classiques et édité des critères pour les nouveaux tests (Pause et al., 2013), que nous développons dans le paragraphe suivant.

2.3.3. Critères pour les nouveaux tests de mémoire épisodique

Dans un article de 2013, Pause, Zlomuzica, Kinugawa, Mariani, Pietrowsky et Dere ont ainsi énuméré sept critères méthodologiques auxquels doivent répondre les nouveaux tests de mémoire épisodique. Ces critères sont résumés ci-après. Le premier critère est d’induire les souvenirs épisodiques en laboratoire. En effet, pour être en mesure d’évaluer les souvenirs épisodiques, il faut pouvoir les contrôler. Le deuxième critère est de ne pas donner aux participants l’instruction explicite de mémoriser les informations épisodiques. Contrairement aux tests classiques de mémoire épisodique, les nouveaux tests doivent en effet proposer un encodage incident. Rappelons que pour Conway (2005), les connaissances épisodiques sont mises en place en dehors d’un contrôle intentionnel. De plus, comme nous l’avons déjà vu, les situations de la vie quotidienne sont largement caractérisées par un encodage incident. Le troisième critère concerne la valence émotionnelle des souvenirs épisodiques. En effet, les événements pertinents pour une personne, en lien avec ses valeurs et ses buts, suscitent des émotions (Scherer, 2001). Selon le quatrième critère, les participants ne doivent être soumis qu’à un seul essai d’apprentissage. Plus la présentation de l’information est répétée, plus il y a

de risque d’impliquer la mémoire sémantique. Le cinquième critère spécifie que les épisodes doivent contenir des informations concernant le « quoi, où et quand ». C’est-à-dire que les épisodes ne doivent pas se résumer à une information cible, mais proposer également un contexte spatial et un contexte temporel. Ces différents aspects du souvenir épisodique peuvent également être testés. Le sixième critère spécifie que le test de mémoire doit être inattendu. C’est-à-dire qu’à la fin de l’encodage incident, le participant ne doit pas être prévenu qu’il sera testé par la suite. De même, si la récupération inclut une phase de rappel différé, le participant ne doit pas se douter qu’il sera à nouveau testé. Enfin, le septième et dernier critère concerne les intervalles de rétention. Pause et collaborateurs recommandent d’utiliser un intervalle d’au moins soixante minutes pour que les souvenirs puissent être considérés comme intégrés à la mémoire à long terme. À ce propos, notons que certains patients épileptiques obtiennent des performances normales aux tests classiques de mémoire, mais se plaignent néanmoins de difficultés mnésiques. Une étude de Blake, Wroe, Breen et McCarthy (2000) révèle que les patients épileptiques (lobe temporal gauche) présentent des performances normales suite à un délai de trente minutes, mais déficitaires après un intervalle de huit semaines, ce qui met en évidence l’intérêt de proposer un rappel à plus long terme.