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3. Problématique et axes de recherche

4.6 La situation d’entretien

4.6.1 La grille d’entretien

Le but des entretiens consistait à encourager les personnes à aborder leur parcours de vie en se focalisant davantage sur leur trajectoire migratoire, le tout en accordant une place de choix à ce qu’elles ont y vécu comme étant des ruptures et des transitions, mais aussi aux ressources qu’elles ont pu mobiliser, ainsi qu’à la place et à la fonction qu’a recouvert le processus d’imagination pour elles durant la migration et une fois arrivées en Suisse.

Ma grille d’entretien a donc été construite sur la base de ce que l’on attend d’un entretien qualitatif de type semi-directif, c’est-à-dire, en privilégiant des questions ouvertes offrant une certaine marge de manœuvre à la personne qui y répond. Préparer sa grille en amont est une étape

à part entière du travail d’entretien. Il est donc essentiel qu’elle soit représentative de la logique de la recherche ainsi que des questionnements qui sont à l’origine de la problématique. La façon dont j’ai voulu structurer cette grille d’entretien répond, de manière plus précise, au cadre théorique et s’est construite de manière temporelle incluant une phase pré-migratoire pour saisir le contexte dans lequel s’est manifestée la nécessité de fuir le Kosovo (les raisons), une autre propre au moment du départ, une troisième en lien avec tout ce qui relève du contexte post-migratoire afin de saisir les phénomènes de rupture et de transition mais aussi les ressources utilisées, en m’intéressant alors particulièrement à l’imagination, et une dernière phase qui elle s’est concentrée sur la période actuelle que vivent les personnes et la façon dont elles se projettent dans l’avenir.

Dès lors, voici la manière dont j’ai procédé pour mener les différents entretiens.

Chaque entretien a été scindé en cinq parties distinctes :

La première partie a consisté en une présentation de ma personne en tant que chercheuse et de ma recherche dans les grandes lignes : « Je suis étudiante à l’Université de Neuchâtel où j’effectue un Master en sciences sociales, et dans le cadre de mon travail de mémoire, je m’intéresse au parcours de vie des personnes albanaises du Kosovo arrivées en Suisse comme réfugiés politiques dans les années 1990 avec une importance particulière accordée à la migration ».   La seconde partie s’est elle articulée autour d’un rappel général donné à l’interviewé pour clarifier ma démarche (même si cela avait déjà fait l’objet d’une discussion avec les quatre enquêtés rencontrés lors de la phase « prise de contact »): « Je vous rappelle que, si vous êtes toujours d’accord, cet entretien sera enregistré. Je vous garantis la confidentialité de ce que vous me confierez, l’anonymat des personnes, des lieux, etc. que vous mentionnerez et de vous-même. Vous ne pourrez pas être identifiable et l’enregistrement sera détruit dès le travail de retranscription achevé, donc personne, à part moi, ne pourra entendre votre voix. Enfin, si une question vous met mal à l’aise ou que vous ne souhaitez pas y répondre, dites-le moi simplement et sans détour et nous passerons à la suivante ».  

l’entretien, la façon dont il allait se dérouler, à savoir, en deux temps. Ces deux temps vont être développés ci-dessous respectivement dans la quatrième et la cinquième partie.

La quatrième partie s’est articulée autour d’une seule question très englobante posée à l’enquêté pour l’encourager à livrer son expérience de vie : « Pourriez-vous me raconter votre parcours de vie de manière un peu générale, puis en vous arrêtant ensuite sur les moments que vous jugez être importants pour vous et qui ont été caractéristiques de votre existence ? Vous pouvez parler de l’importance de la migration dans votre vie et de ce qu’elle a impliqué pour vous. Vous pouvez partir d’aussi loin que vous le voulez, quand vous étiez enfant, que vous êtes né, par exemple, et poursuivre jusqu’à votre vie actuelle. Durant cette partie, je ne vous poserai pas de questions pour approfondir ce que vous dites, pour aller plus loin, mais j’en poserais peut-être juste si je ne suis pas sûre d’avoir compris ce que vous me dites. Pour tout ça, vous pouvez prendre le temps dont vous avez besoin, c’est vous qui voyez comment vous voulez détailler et développer votre propos. Vous me verrez prendre des notes pendant que vous parlerez, c’est juste pour que j’aie une trace écrite tout de suite des points sur lesquels j’aimerais qu’on revienne après ensemble si vous êtes d’accord ».  

La cinquième partie s’est elle construite à la fois à partir des notes que j’ai prises en temps réel (lors de la quatrième phase) et à partir des quelques questions préparées en amont pour confectionner la grille d’entretien. Veiller à introduire les éléments relevés lors de la prise de notes en temps réel aux questions anticipées de la grille d’entretien s’est avéré être particulièrement intéressant. En effet, cette démarche a permis, d’une part, de laisser une certaine liberté aux enquêtés pour qu’ils puissent s’exprimer sur leurs expériences et sur l’état de leur pensée sans devoir répondre formellement à des questions préétablies, et d’une autre, de guider l’entretien de sorte à recueillir des données porteuses au regard de ma problématique.

La grille a été pensée de sorte à poser plusieurs questions par axes dont certaines dites « questions de relance » ont été prévues selon la capacité de l’interviewé à développer et à étayer son propos de manière spontanée. Chacune de ces questions a été formulée de manière ouverte et dynamique afin de maximiser la possibilité d’approfondir les pistes soulevées par la chercheuse. Je rappelle, par souci de clarification de ma démarche, que la grille d’entretien a été appréhendée comme un

outil guidant l’interaction mais en aucun cas comme quelque chose de strict et de figé auquel je me suis fait une obligation de me référer automatiquement, bien au contraire. Je partais du principe qu’une telle démarche pourrait avoir comme effet de bloquer l’entretien et de lui conférer une dimension encore plus « artificielle » que celle qu’elle recouvre déjà intrinsèquement.

Ma grille d’entretien a été mise au point en plusieurs étapes et a connu certaines transformations. Une première trame a été constituée pour répondre aux attentes du cours de « Méthodes et recherches qualitatives en sciences sociales » au sein duquel j’ai été amenée à me prêter au jeu de l’entretien comme je l’expliquais précédemment. C’est à partir de cette première version que j’en ai établi une seconde avec des questions de relance plus précises. J’ai tout de même souhaité formuler quelques questions allant dans le sens d’une imagination pré-migratoire malgré le fait que je ne m’intéresse pas à cette période mais pour m’assurer que je ne passais pas à côté d’un aspect primordial dans mon travail (ces questions figurent toujours dans la version actuelle de ma grille), mais comme présagé, celles-ci n’ont absolument pas été porteuses et m’ont permis de ne récolter aucune information intéressante outre celle de m’apporter confirmation du fait que lorsqu’il y a migration forcée, donc départ précipité et brusqué, il n’y pas d’images, d’attentes, de fantasmes, etc. construits en amont de la migration qui tiennent un rôle essentiel pour la personne migrante.

Avant de clore cette partie, je précise qu’avant même de prendre contact avec les personnes enquêtées j’ai souhaité faire appel à une traductrice pour pallier aux éventuels problèmes linguistiques qui pourraient se manifester lors des entretiens. Une étudiante en sciences sociales avait accepté de tenir ce rôle pour m’aider à mener mon travail dans les meilleures conditions. Il était intéressant pour moi de faire appel à une personne appartenant à la communauté universitaire, qui plus est, suivant le même cursus que le mien (en sciences sociales) et ce pour de simples questions temporelles. En effet, je n’avais ni besoin de la former aux techniques de l’entretien, ni à la démarche générale de ce type d’exercice puisqu’elle était tout aussi familiarisée avec celles-ci que moi. De plus, cette personne correspondait d’autant plus à mes attentes qu’elle était très sensible à la thématique de ma recherche.

l’intervention de l’étudiante improvisée traductrice, mais il s’est avéré qu’aucun des enquêtés n’a jugé utile de mobiliser cette tierce personne. Celle-ci n’a donc pas eu à intervenir lors des entretiens mais m’a, malgré tout, fourni son aide lors du travail de retranscription pour déchiffrer certains titres de chanson et certains noms de personnages albanais du Kosovo célèbres évoqués. 4.6.2 Les principales difficultés rencontrées

J’ai été, en tant que chercheuse, confrontée à diverses difficultés apparues à des moments différents du travail d’entretien au sens large.

Le premier type de difficulté atteste de la complexité de la démarche de recherche. En ce sens, je souhaite montrer ici combien la prise en compte du contexte et du poids qu’il peut représenter est importante à considérer pour mener à bien un travail comme celui-ci.

Comme présenté précédemment, la plupart des entretiens ont eu lieu chez les personnes enquêtées. Même si je m’étais préparée à me rendre à leur domicile, je n’avais pas anticipé le fait qu’ils choisiraient de confier leur histoire installés dans le salon, lui-même considéré, par les interviewés, comme le lieu de vie, d’échanges et de partage des familles. Ainsi, à défaut de se retrouver, comme je le présageais, isolés, calfeutrés dans une pièce pour mener à bien l’entretien en tête à tête, nous avons dû nous adonner à l’exercice, entourés d’autres membres de la famille, devant ainsi nous adapter à leurs mouvements dans la pièce, à leurs diverses interventions ainsi qu’aux différents types d’interpellations et de sollicitations adressées à mes enquêtés. Cependant, il est intéressant de relever que la question du genre apparaît une fois encore : les trois femmes rencontrées ont décidé, elles, à l’unanimité de mener les entretiens exclusivement en tête à tête avec moi, isolées du reste de leur famille, ce qui a conféré à ces moments une dimension plus intime qu’à ceux partagés avec les hommes.

Le deuxième type de difficulté s’est révélé être de nature matérielle. En effet, trois des enquêtés se sont montrés réticents à l’idée que l’entretien soit enregistré. Ce n’est qu’après leur avoir expliqué combien ce mode de recueil de données était précieux aussi bien pour la qualité de mon travail que pour la fidélité de leurs propos qu’ils ont finalement accepté. Une condition a malgré tout été posée pour que j’obtienne leur accord : j’ai a dû m’engager à ne transmettre ces enregistrements audio à personne et à les détruire, comme convenu, dès le travail de

retranscription achevé. Je constate qu’il y a visiblement quelque chose de très important qui se joue autour de la voix (retrouvé une autre fois dans mon analyse) qui pourrait être intéressant à creuser davantage dans le cadre d’un autre travail.

Un troisième et dernier type de difficulté a été relevé suite aux entretiens. Il concerne de manière plus large l’attitude du chercheur. En amont, je m’étais préparée à devoir éventuellement recadrer les entretiens si les propos des enquêtés venaient à dépasser le cadre de la recherche. J’avais également pensé que l’évocation de certains souvenirs douloureux pourraient avoir de fortes résonances émotionnelles lors de la narration que ferait la personne pouvant elle-même provoquer un trouble, un désordre affectif pour celle-ci. Pour autant, j’ai pu constater que le simple fait d’avoir conscientisé ces éventuelles situations n’était pas suffisant. En effet, ces situations avaient été, dans mon cas, plus ou moins anticipées mais je peux dire avec le recul qui s’impose maintenant que je ne m’étais pas livrée à un exercice de projection tel qu’il me permette de réfléchir de manière aboutie et pertinente à l’éventuelle attitude à adopter si une situation délicate ou de débordement quelconque venait à se présenter.

Lors de deux entretiens, les personnes se sont considérablement éloignées du sujet de la recherche voyant dans l’entretien une opportunité de témoigner, de faire acte de leur histoire certes époustouflante de bravoure et de courage mais ne correspondant plus aux attentes de ce travail de mémoire. Dans cette même dynamique, elles ont inscrit leurs propos dans un discours d’appartenance très fort (« nous les Albanais ») et se sont laissées envahir, par moment, par des considérations dénonçant tantôt l’image négative de la population albanaise qui peut être véhiculée dans les médias, et/ou se perdant tantôt dans un récit animé quant à l’état de leur engagement (visiblement toujours aussi prégnant) pour le Kosovo. J’ai tenté, à la hauteur de mes compétences d’apprentie-chercheuse encore en cours d’acquisition, de ramener mes enquêtés à des débats plus proches de ceux que je souhaitais aborder dans le cadre de ma problématique de mémoire. Ainsi, une personne des deux personnes s’est relativement facilement prêtée au jeu même s’il a fallu à plusieurs reprises user de stratagèmes pour ne pas « glisser » à nouveau vers des problématiques éloignées de mon sujet d’étude. En revanche, avec la seconde personne, l’exercice a été bien plus compliqué, ce qui fait que je n’ai pu exploiter que peu des informations confiées dans ce travail final. Déçue et presque en proie à une certaine culpabilité de ne pas avoir pu mettre en lumière la plupart de ce qui avait été raconté, j’ai décidé d’ « offrir » à cette

personne un résumé détaillé de son parcours de vie sous forme de petit livre. Celle-ci a été très touchée par cette démarche et, d’après le retour que j’en ai eu, s’est manifestement sentie comprise.

Puis, une autre personne encore s’est vue, à certains moments aussi, submergée par l’émotion de ce qu’elle confiait, ce qui a provoqué plusieurs coupures dans son récit, lui-même caractérisé par de longues pauses et quelques sanglots dans la voix. C’est précisément dans ce genre de moments que j’ai mesuré l’importance de se préparer à un entretien et ce, au-delà de simples anticipations « logistiques » comme peut l’être la mise au point d’une grille d’entretien. Il semble dès lors fondamental de travailler à s’anticiper affectivement et émotionnellement dans une séance d’entretien. Par chance, si je peux m’exprimer ainsi, j’ai déjà eu l’occasion de vivre ce genre de situation chargée affectivement avec quelques membres de ma famille qui, comme je le disais précédemment, ont connu les mêmes conditions de migration. Ainsi, c’est en mobilisant ma propre expérience familiale comme ressource à ce moment-là et en tissant quelques liens entre ces deux situations que j’ai pu me montrer suffisamment « enveloppante » auprès de cette personne de sorte à ce qu’elle continue à me raconter son parcours. Comme énoncé plus haut dans ce cadre méthodologique, le fait d’avoir avec mes enquêtés des caractéristiques communes a représenté une aide précieuse pour ce travail.