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3. Problématique et axes de recherche

4.3 Le choix d’outils adaptés

Pour observer et saisir les processus qui sont en jeu dans une perspective développementale de l’individu, deux techniques sont à disposition : la méthode d’observation en « temps réel » (Zittoun, 2006, p. 76) et l’entretien dit reconstructif (Rosenthal, 2007 ; Zittoun, 2006). Me situant dans une perspective plus longitudinale du parcours de vie, j’ai privilégié la méthode reconstructive pour mener à bien ce travail.

4.3.1 L’approche reconstructive

Ma problématique de recherche invite le chercheur (et le lecteur) à s’intéresser à la manière dont les personnes migrantes interrogées ont, entre autres, mobilisé l’imagination comme ressource dans un contexte migratoire, et surtout post-migratoire. Il est important de saisir la dynamique de vie de la personne interviewée, de sorte à comprendre, dans ma perspective, quelles ont été les raisons à l’origine de la migration, me permettant ainsi de mieux comprendre ce qui en a découlé par la suite (rupture, transition, ressources). Mon but est de saisir, dans une perspective

diachronique, les actions et les expériences de l’individu interrogé. Ainsi, le chercheur ne peut pas se contenter d’observer des phénomènes psychosociaux à un moment très ponctuel, mais doit plutôt reconstruire leur « genèse » : Pour comprendre les actions humaines, il faut pouvoir appréhender ce que les individus ont vécu, il faut pouvoir saisir les significations qu’ils attribuent à leurs expériences, à leurs représentations à la fois sur le moment présent mais aussi à l’époque des faits. C’est en ce sens que je me suis appuyée sur la méthode dite reconstructive proposée par Rosenthal (2007) et Zittoun (2006). Cette méthode soutient la compréhension d’événements passés (phénomènes de migration, rupture et transition, ressources mobilisées) qui sont rendus accessibles à l’interlocuteur par le langage, par la narration qui représente une forme d’externalisation qui permet de mettre à distance son expérience, de prendre conscience de celle-ci et ainsi d’y réfléchir (Zittoun, 2009).  

Il est important de bien avoir à l’esprit ici que la narration faite, les discours produits par les interviewés s’ancrent dans une dynamique du présent et relèvent d’un point de vue actuel de la personne sur des faits passés. Une distance plus ou moins grande peut donc se manifester entre ces faits vécus dans le passé et rapportés dans le présent. Pour autant, je précise que bien que cette éventuelle distance entre ces deux laps de temps puisse être considérée traditionnellement comme une limite, dans la dynamique qui est la mienne, ce n’est pas le cas. En effet, comme laissé entendre au sous-point précédent, mon but n’est pas de tenir pour « vrai » des faits rapportés par l’enquêté mais bien de les considérer comme ayant du sens pour la personne qui les externalise, lui permettant de définir les raisons pour lesquelles elle s’est inscrite dans telle ou telle autre dynamique, ainsi que l’état dans lequel elle se trouvait à ce moment-ci (Bruner, 1991). Il semble intéressant, en ce sens, de relever qu’habituellement, et comme le montre Zittoun, par exemple, dans son texte « Imagining self in a changing world – an exploration of « Studies of marriage » (in press), les travaux conduits dans le même registre que le mien privilégient des méthodes longitudinales de sorte à établir une relation sur le long terme avec les enquêtés mais aussi pour introduire une certaine forme de réflexivité. Par le biais de mon travail de mémoire, je montre que cette technique n’est pas toujours la solution la plus porteuse lorsque l’on s’intéresse aux trajectoires de vie, et que le fait de travailler avec et sur des migrants de longue date n’est pas forcément une limite, bien au contraire, cela a montré la façon avec laquelle les individus concernés ont réussi à prendre suffisamment distance de leur expérience migratoire passée

ouvrant ainsi le champ d’une large réflexivité sur leur parcours de vie. 4.3.2 Les entretiens semi-directifs

Je l’ai présenté, l’objectif de cette recherche tend à saisir des phénomènes et des processus dynamiques, ceci par l’intermédiaire des récits et des narrations que les enquêtés livreront. Ces discours me permettront alors d’avoir accès aux expériences de vie de la personne ainsi qu’à l’interprétation personnelle et subjective qu’elle en fait. D’après la perspective en psychologie socio-culturelle, toute activité se voit médiatisée par des outils sémiotiques. Cette perspective, influencée par les travaux vygotskiens, invite à considérer le langage comme étant l’outil sémiotique de base puisqu’il permet d’organiser les perceptions des individus et de partager leurs réalités individuelles (et collectives) (Vygotski, 1934/1997).

Animée par le souci d’étudier comment les personnes vivent leurs expériences, la psychologie a largement tenté de thématiser la pensée et l’expérience humaine qui peuvent, en grandes parties, se donner, se retranscrire par le langage. Dans ce sillage, et bien qu’étant consciente que dans l’expérience humaine un grand nombre de choses ne se donnent pas exclusivement par le langage (le rapport à l’espace, aux lieux, aux sons, etc.), je décide de privilégier la méthode de l’entretien semi-directif. Ce type d’entretien me permettra de mettre en lumière toute la singularité de l’individu, le tout en accédant, par le biais du récit mais aussi par l’ensemble de ses conduites para-verbales et non verbales, à ses opinions, à ses valeurs ainsi qu’à son système de croyances (Cesari Lusso, 2000).

L’entretien semi-directif peut permettre « d’étudier l’expérience de la personne, située dans le temps et l’espace social, et de l’inscrire dans un réseau de significations personnelles et collectives » (Cesari Lusso, 2000, p. 15). Ainsi, ce type d’entretien me permettra de garder un certain contrôle sur le cadre de l’entretien, de rester alerte quant à la valeur de ce que contient le discours de l’enquêté, ceci pour instaurer une dynamique interactive témoignant de tout l’intérêt et de toute l’empathie que je manifesterai, en tant que chercheuse, à l’endroit de l’individu enquêté (Cesari Lusso, 2000).  

4.3.3 Croiser deux techniques d’entretien

a) De « l’entretien biographique » à « l’entretien centré sur un problème »

Cette partie a pour vocation de définir les types d’entretien privilégiés pour mener à bien ce travail. Je l’ai dit, je suis animée par une démarche dite reconstructive encourageant la personne à se livrer à un exercice d’externalisation d’un événement issu de son expérience passée (Zittoun, 2006). Ainsi, je souhaite, dans un premier temps, montrer en quoi la mobilisation de l’entretien biographique (Rosenthal, 2007) trouve écho dans la démarche choisie. En effet, cet entretien propose de revenir de manière générale sur le parcours de vie de l’enquêté en s’adonnant à un entretien conçu en deux temps : une période de narration de la part de l’interviewé suivie d’une période de questionnements de la part de l’intervieweur. La première partie, celle dite de narration, peut se présenter selon Rosenthal sous deux formes différentes qu’il appartient à l’enquêteur de choisir. Celui-ci peut décider de demander à la personne enquêtée de raconter l’ensemble de sa vie ou alors lui demander de raconter sa vie de manière plus localisée à partir d’un événement précis. Dans mon cas, j’ai choisi de panacher ces deux formes d’enquête en livrant à la personne ce à quoi mon travail s’intéressait, avec une attention particulière accordée à son expérience migratoire, tout en étant consciente du fait que celle-ci ne prendrait vraiment tout son sens que dans le contexte global de sa vie entière. De plus, Rosenthal (2007) précise que durant le temps de narration auquel s’adonne la personne, l’intervieweur ne l’interrompra pas et se concentrera uniquement sur la prise de notes. Je trouvais cette démarche un peu trop figée, j’ai donc préféré intervenir lors de problèmes de compréhension ou lorsque j’ai estimé que l’interviewé ne précisait pas suffisamment son propos. J’ai également jugé important de manifester l’intérêt que je portais à ce que me confiait mon interlocuteur. C’est pourquoi les choses se sont alors déroulées de manière plus flexible et qu’une sorte de chorégraphie s’est installée : attitudes para-verbales (hochement de tête, regarder la personne dans les yeux, etc.) et paroles simples (« je comprends tout à fait », « oui, bien sûr », « d’accord, je vois », etc.) sont venues rythmer la phase de narration de mes enquêtés. Ces petites interventions ont permis, à mon sens, de témoigner de la façon dont j’étais réceptive et alerte quant à ce que la personne me racontait, et ce d’autant plus au regard des histoires poignantes qui m’ont ont été livrées. Je précise que même si je n’ai pas suivi à la lettre la démarche proposée par Rosenthal (2007), le souci qu’elle accorde à la dimension biographique a été particulièrement parlant pour ma procédure puisqu’il a permis de comprendre les trajectoires de vie des interviewés, et surtout de saisir l’ambiance de leur vie au Kosovo avant qu’ils soient obligés de le quitter de sorte à comprendre les raisons qui les ont poussées à migrer, ce qui représente un des axes principaux de

ma recherche. Dans cette dynamique, j’ai pu voir ce que les parcours de vie des personnes ont de personnel et de subjectif mais aussi saisir la manière dont elles se racontent au travers de leur expérience. Ceci a facilité l’accès à une forme de continuité temporelle entre les événements passés, présents et ceux projetés dans le futur.  

Puis, en ce qui concerne la deuxième partie de l’entretien, j’ai privilégié en partie la technique de l’entretien « centré sur un problème » proposée par Witzel (2000). En effet, ce type d’entretien permet d’encourager la personne à aborder des phases, des périodes de sa vie particulières qui correspondent davantage aux questions liées à la thématique de recherche qui intéresse l’intervieweur, le tout en laissant la possibilité à l’enquêté de développer son propos (migration, ruptures, transition, ressources, imagination). Ainsi, ce type d’entretien prend, dans ma démarche, tout son sens puisqu’il mêle à la fois narration et questions plus précises, directement en lien avec sa problématique. Il octroie également à la personne une marge de manœuvre intéressante dans ce qu’elle décide de confier. Ce type d'entretien répond, au même titre que l’entretien narratif, à une procédure précise s’articulant ici en quatre temps (ne renvoyant pas au déroulement temporel de l’entretien mené) : le premier se focalise sur la récolte de données socio- démographiques de la personne interviewée et ce par le biais d’un bref questionnaire ; le second s’articule autour de thématiques fortes et directives de l’entretien comportant elles-mêmes différentes stratégies de communication ; le troisième présente l’importance d’avoir recourt à l’enregistrement audio des données issues de l’entretien ; et enfin le quatrième propose de considérer l’importance de prendre des notes dites méthodologiques et de tenir des mémos (notes à propos des données et des aspects de la démarche).

En ce qui concerne plus précisément la démarche adoptée à la lumière de la procédure que propose Witzel (2000), je n’ai pas jugé utile de soumettre les enquêtés à un questionnaire (aussi bref soit-il) pour obtenir des informations sur leurs caractéristiques socio- démographiques. En effet, j’ai estimé que ceci aurait conféré une dimension bien trop fermée à l’entretien et j’ai pensé de surcroît que ce genre d’informations viendrait à être livré plus ou moins spontanément au cours du récit de vie que ferait les personnes. J’ai enregistré chaque entretien afin de pouvoir les retranscrire et me permettre de travailler, lors de la phase d’analyse, sur les propos formels des interviewés. Cette démarche a permis de gagner en terme de qualité de récolte des données puisque je disposais du discours exhaustif des personnes. Ce travail d’enregistrement a été

accompagné d’une prise de notes méthodologiques et de mémos après chaque entretien. Ceci afin de conserver à la fois une trace de certains aspects qui n’apparaissaient pas au travers de l’enregistrement audio des personnes (éléments para-verbaux par exemple), et aussi de bénéficier des premières impressions, sensations et pistes réflexives que j’ai eues au moment des entretiens.