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Chapitre 2: Cadre théorique et revue de la littérature

2.6 Les immigrants iraniens en diaspora

2.6.1 La famille iranienne et son évolution en diaspora

Les parents d’origine iranienne, socialisés en Iran, peuvent éprouver face à leurs enfants un certain degré d’incompréhension qui les incite parfois à un repli, un enfermement sur les codes culturels d’origine. Cette attitude tend à augmenter la distance entre parents et enfants et rend problématique la synthèse de leur identification (Legault, 1990).

Il nous paraît donc important de décrire la structure de la famille traditionnelle en Iran, afin de comprendre les conséquences de cette structure sur le vécu de certaines familles d’origine iranienne en diaspora.

La famille étendue était au siècle dernier le modèle familial en Iran (Taghva Passand, 1994; Ladier Fouladi, 2005). Depuis les années soixante, la modernisation des conditions économiques et sociales semble introduire des changements importants dans la taille et la structure des familles autant que dans leurs fonctions sociales (Nassehi Behnam, 1986; Ladier Fouladi, 2002). Aujourd’hui, la famille étendue est devenue minoritaire et n'est pas remplacée pour autant par la famille occidentale (Taghva Passand, 1994). L’auteur ajoute que ces familles restent traditionnelles dans leur conception d'ensemble mais sont influencées par certains aspects de la culture occidentale.

Dans le même sens, certaines auteurs (Adelkhah, 1998; Kian-Thiébault, 1998) démontrent que la famille iranienne qui est en profonde recomposition, se nucléarise et enregistre l’individualisation de ses membres qui favorisent les innovations de la vie moderne. En effet, selon Adelkhah (1998) les flux de la globalisation n’ont cessé

de participer à ces innovations. Pour Taghva Passand (1994), la société iranienne est écartelée entre les modèles de vie traditionnels et l’inspiration culturelle occidentale.

Selon Taghva Passand (1994), dans le modèle traditionnel, les familles sont composées en grande partie d’anciens ruraux déracinés qui, à cause de problèmes économiques, ont dû quitter village ou petite ville pour venir s’installer dans les grandes villes. Elles gardent leur éthique éducative et religieuse attachée à leurs références traditionnelles. D’après l’auteur :

Dans les familles plutôt traditionnelles, qu'elles soient étendues ou réduites aux conjoints et à leurs enfants, la soumission quasi totale de la mère et des enfants à l‘image du père suscite une vie familiale calme en apparence. La domination du père, le fait que ses décisions soient acceptées sans discussion possible, favorisent la formation d'un certain profil de caractère qui est propre aux enfants dans ce type de famille: dépendance à l‘égard des autres, soumission à l‘ordre établi (p.66).

Dans les familles semi traditionnelles, population urbaine dans la grande majorité, la culture de certains pays occidentaux a une influence, notamment sur celles dont les membres ont fait leurs études à l'étranger (surtout les hommes). Elles souffrent en général d’un conflit familial à cause de l’adoption de mœurs et coutumes différentes de celles du reste de la famille :

Les ambiguïtés des conceptions parentales concernant le mode de vie, l'irrégularité et l'instabilité dans le vécu global quotidien de la famille

(mode de vie semi-traditionnel aspirant à la différenciation avec la masse), occasionnent des confusions dans les identifications des enfants (p.65).

Quant au modèle d'inspiration culturelle occidentale, les familles occidentalisées, tout en étant en minorité, appartiennent aux milieux aisés et à la classe intellectuelle. Les parents dans ces familles sont relativement permissifs et on observe un flou dans les interdits et les restrictions. Ce modèle donne l’image d’un groupe social pris entre deux options divergentes: d’un côté, attiré par un système social favorisant la consommation et l’indépendance de l'individu et de l’autre côté, restant attaché à la tradition. La juxtaposition de ces deux systèmes culturels pousse certaines familles vulnérables au choix d'un modèle socioculturel occidental. Au lieu de concilier les nouveaux besoins de la vie sociale avec les mœurs et la culture iraniennes, ces familles délaissent leur appartenance culturelle pour s’adapter aux modes imaginaires de la vie occidentale. Cela étant, en Iran, l’interprétation de la vie occidentale, ou plutôt américaine, est l’équivalent d’une vie dite moderne (Shirali, 2001).

Dans son enquête effectuée sur les jeunes en Iran14, Shirali (2001), indique que la société iranienne est actuellement confrontée à un grand défi. Selon elle, le courant de modernisation dans cette société est à l’origine des réalités divergentes. D’un côté, il a créé un fossé entre les jeunes et leurs parents et de l’autre, la modernisation des femmes leur a fait miroiter, en dehors de leur rôle habituel de mère et d’épouse, l’image de femmes indépendantes financièrement, ce qui affaiblit le lien d’interdépendance entre les deux sexes.15

Ladier Fouladi (2005), propose une lecture plus nuancée de la nucléarisation de la famille en Iran. Elle se base sur une grande enquête socio-économique, sur les caractéristiques des ménages en Iran et conclut que les rapports entre les époux, les parents et les enfants sont de moins en moins inégalitaires. La modification des relations intergénérationnelles vient du fait qu’elles sont davantage établies sur le dialogue ou le conflit alors qu’autrefois elles étaient dictées par la tradition, l’obéissance et la soumission.

Suite à son enquête effectuée auprès des enfants requérant l’asile ou réfugiés d’origine iranienne à Genève, Bertoud-Aghili (1989), essaie de démontrer qu’en Iran l’ensemble des valeurs, attitudes et pratiques se situe entre deux pôles : la tradition et la modernité, en considérant bien tous les degrés de transitions qui existent entre ces deux pôles. Dans cette société , au niveau de chaque classe sociale, de chaque famille, une véritable mosaïque culturelle se dessine. En même temps, le réseau familial constitue un élément fondamental de la structure sociale et représente en soi un réseau d’entraide. Quant à l’extérieur du pays, l’auteure constate les changements aux niveaux suivants:

D’abord, au niveau de la coupure des liens familiaux ; selon Berthoud-Aghili, la coupure avec le pays d'origine, qui est le résultat du départ de l’Iran, diminue l'impact des éléments culturels, car ces éléments englobent toute la famille étendue et ne se limitent pas seulement au couple. C’est pour cette raison que la famille exilée doit faire beaucoup d’efforts pour maintenir son identité culturelle.

Ensuite, au niveau des modifications des rôles; selon Berthroud Aghili (1989), dans certaines familles ces modifications interviennent lorsque l’épouse trouve du travail, ce

qui place les enfants dans une position de force vis-à-vis de leurs parents. Behnam (1986) partage le même point de vue. Selon elle, lorsque les parents ne connaissent pas bien la culture occidentale, «on assiste à une inversion de rôle. L’enfant devient l'agent de la socialisation, porteur des valeurs du monde extérieur dans sa cellule familiale qui devient parfois source de conflit» (p.237).

Finalement, au niveau de l’autonomie et de la responsabilité; d’après Berthoud-Aghili, plusieurs facteurs contribuent à accorder une grande autonomie aux enfants, parmi lesquels on peut citer : le travail de la mère, le manque d’aide et de parenté, la structure de loisirs de la société d’accueil ainsi que sa structure scolaire (de longs horaires du matin jusqu’au soir). Dans le même sens, les recherches de Behnam (1986), montrent que dans le cas des adolescents issus de familles monoparentales où l’autorité parentale est absente, l’influence de la famille dans le processus de socialisation diminue et l’adolescent devient très indépendant pour son âge.