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Les conflits de valeurs et l’intégration scolaire et sociale des élèves d’origine

Chapitre 2: Cadre théorique et revue de la littérature

2.5 Les conflits de valeurs et l’intégration scolaire et sociale des élèves d’origine

Un survol de la littérature à cet égard montre que la notion de valeur est évoquée très fréquemment, en ce qui concerne l’intégration sociale et scolaire des élèves d’origine immigrante. Elle est souvent mise de l’avant comme l’un des facteurs explicatifs sous-tendant la réussite scolaire des membres de certains groupes ethnoculturels et linguistiques. Elle est également évoquée de façon générale, comme une variable importante à considérer dans le processus d’intégration psychosociale des élèves d’origine immigrante.

En effet, l’élève d’origine immigrante aura à vivre, davantage que ses parents, à l’interface de deux cultures (Helly, 1996). Il devra s’adapter à un nouveau milieu de vie, à de nouvelles valeurs. À la maison, ce sont les valeurs familiales qui serviront à distinguer le permis de l’interdit. Ces valeurs pourront être différentes de celles qui prévalent chez les amis ou encore à l’école. Cette diversité des attentes à l’égard des enfants immigrants peut entraîner une incohérence de leur système de valeurs ou mener même à de l’indifférence envers n’importe quelles valeurs. C’est à partir de ces réalités complexes et parfois conflictuelles que l’élève d’origine immigrante doit construire son identité, et elles seront parfois sources de tensions, d’inquiétudes, de tiraillements, d’insécurité, voire de crise, surtout à l’adolescence12 (Berthelot, 1991; Hohl & Normand, 1996; 1999). Les liens de dépendance entre les enfants et leurs parents peuvent causer des conflits de loyauté entre la culture et les valeurs familiales et celles de la société d’accueil. L’ignorance ou le discrédit des valeurs dont l’un ou

l’autre des milieux scolaires ou familial sont porteurs peuvent perturber le processus de construction identitaire (Trottier, 1999).

Divers facteurs sont à l’origine des tensions entre les valeurs de la société d’accueil et celles des membres de groupes ethnoculturels et religieux. Des recherches conduites par Hohl et McAndrew à partir de l’étude d’incidents critiques ont bien mis en évidence les tensions existant entre les valeurs véhiculées par l’école et celles prisées par la famille en ce qui concerne la conception de l’apprentissage, de l’autonomie de l’enfant, de la discipline, des rôles respectifs et de l’égalité de statut entre hommes et femmes ainsi que la place des pratiques religieuses dans la vie quotidienne (Hohl, 1996). D’autres recherches ont pointé que, pour les élèves d’origine immigrante dans les écoles secondaires québécoises, les notions de famille et d’autorité (considérées comme étant plus importantes dans les cultures des jeunes d’origine immigrée que dans la société québécoise francophone) et « la trop grande liberté laissée aux jeunes Québécois nés ici, notamment la liberté sexuelle des jeunes filles » (CSE ,1993) sont, de façon générale, les notions les plus critiques, source de tensions et de conflits, venant ainsi appuyer les conclusions de Hohl.

Plusieurs études ont montré qu’un sentiment d’incohérence dans les valeurs influence le processus de formation identitaire. Ainsi plusieurs auteurs, entre autres, Beauchesne et Esposito, (1981) Malewska-Peyre (1992; 1982), Camileri, (1990), Débieve, (1990) Laperrière et Dolse, (1990), Claes (1991), Hohl et Normand (1996), Trottier (1999), considèrent que pour l’adolescent immigrant le choix entre les différents modèles culturels peut s’avérer difficile à faire lorsqu’ils entrent en conflit les uns avec les autres. Comme l’ont montré Malewska-Peyre et Gachon (1988), (à

partir d’une recherche-action portant sur les processus de socialisation, menée auprès des jeunes d’origine algérienne et espagnole en France) les jeunes qui ne parviennent pas à trouver un équilibre entre leur intégration à la société française (insertion sociale et professionnelle) et des éléments de leur culture d’origine (de façon à préserver des relations harmonieuses avec leur famille), voient dans la délinquance la voie la plus accessible; ce qui inévitablement a des répercussions sur leur réussite scolaire. Enfin bon nombre d’auteurs, entre autres Laperrière et Dolce (1990), font valoir, premièrement, que par-delà la spécificité de leur situation personnelle, sociale et économique, les jeunes d’origine immigrante, dans la majorité des cas vivront les tensions culturelles avec une acuité variable selon la distance culturelle entre la société d’accueil et leur culture d’origine. Deuxièmement que l’on s’accorde généralement dans la littérature pour dire que la période de l’adolescence représente une période critique à cet égard (Hohl & Normand, 1996). Finalement, des études tendent à montrer que les attitudes parentales jouent également un rôle dans le processus de formation identitaire des élèves d’origine immigrante confrontés à des conflits de valeurs, en cela qu’elles contribuent à augmenter ou à en diminuer la portée.

Avant de conclure cette partie, signalons que l’École québécoise contribue largement à minimiser les conséquences souvent négatives de ces tensions. Le milieu scolaire dispose depuis quelques années de plusieurs documents de références concernant la gestion de la diversité ethnoculturelle, linguistique et religieuse afin de pouvoir répondre aux demandes hors normes qui lui sont adressées. Néanmoins de nombreux acteurs, et surtout le MELS, dans sa politique d’intégration scolaire et d’éducation

interculturelle, ont souligné la difficulté pour les directions d’écoles et les intervenants de négocier des accommodements respectant le pluralisme de la clientèle dans les limites du respect d’une culture civique commune, notamment en ce qui concerne les tensions citées précédemment dans l’étude de Hohl (1996), mentionnée plus haut.

Il faut aussi souligner que certains établissements multiethniques ont trouvé des façons de renforcer la collaboration entre l’école et la famille: adoption de mesures régulières d’information et de contact général de l’école avec les parents; consultation des parents ou des personnes faisant partie de la communauté à titre de personnes- ressources, consultation ou participation des parents à la prise de décisions relatives aux orientations de l’école. Mais il n’en serait pas ainsi partout et il arrive que les milieux scolaires et familiaux ne soient pas engagés dans une véritable relation de coéducation (MEQ, 1998). Selon Kanouté (2007) malgré toutes les mesures adoptées par le MELS, « la collaboration école/parents immigrants reste à retravailler » (p.74). Cette situation est attribuable, dans bien des cas, à la barrière linguistique et à des valeurs sociales et éducatives différentes ainsi qu’à des pratiques négatives sur le processus d’intégration socio scolaire des élèves d’origine immigrante. Signalons enfin les nombreuses interventions visant à lutter contre le racisme et la discrimination : l’image de soi dépend en partie du regard des autres, et des expériences de choix préférentiels ont montré à quel point la perception de soi pouvait être affectée par le racisme et la discrimination.