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CHAPITRE 3 : LA VIE CACHÉE D’UN GROUPE HYPER COMPÉTITIF : INTÉGRATION,

3.1 Travailler en équipe, « c’est pas de la tarte! »

3.1.5 La dynamique gars/filles et filles/filles

La dynamique entre les gars et les filles a aussi influencé ce phénomène de repli sur le sous-groupe effectué par la plupart des équipes. Les filles formaient moins du tiers de la classe et ce, dans les deux classes. Pourtant, lors de travaux à réaliser en équipes, il s’était formé une équipe composée uniquement de filles dans chacun des deux groupes. Qu’est-ce qui incitait des filles à faire bande à part?

Ces filles avaient choisi de travailler ensemble suite aux expériences vécues au cours de l’année antérieure. Comme dans les autres cas, c’est suite à une série d’essais et d’erreurs qu’elles ont fini par aboutir ensemble. Elles estimaient avoir été peu valorisées dans le cadre des travaux accomplis auparavant avec leurs collègues masculins. En équipe mixte, le pouvoir de décision leur échappait et elles avaient le sentiment que les gars leur laissaient peu de place, en décidant notamment du rôle qu’elles allaient tenir : alors, tant qu’à servir de dactylo ou de correctrice de textes, aussi bien travailler entre filles et donc entre égales!

« Il faut se tenir. Les gars sont pas mal “macho”, on ne se le cachera pas.

- Pour eux, c’est à nous de faire le travail.

- Il y a beaucoup de gars dans notre groupe qui pensent encore que les filles n’ont pas encore leur place, par exemple lorsqu’il y a eu l’histoire de la discrimination positive, par rapport à l’engagement d’un certain nombre de filles dans la police, quelques-uns étaient révoltés.

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- Moi j’ai travaillé en équipe en 1re session et en 2e avec Félix, Kevin, Gaston et Bertrand. Il n’y a pas plus “macho”. Ils me disaient que j’étais gentille, ma petite Juliette, parce que je tapais les travaux, je faisais tout, on a eu une note “poche” et ils m’ont tous engueulée.

- Moi c’est la même chose, je travaillais avec David, André, Ray, Antoine et Paul. On s’est séparé le travail en deux, en psycho. Tout était bon selon eux, mais personne ne prenait le temps d’émettre des idées ou un commentaire (…) Entre eux, ils vont le faire ensemble, je vais faire une partie du travail, mais un moment donné ils se fient trop sur moi.(…) Quand il y a une fille dans l’équipe, c’est toujours elle qui fait le plus gros du travail, qui le finit. »(3-4,5)

Suite à ces expériences, les filles avaient donc choisi de former équipe et d’éviter de cette façon des tensions inutiles. Étrangement, c’est moins la qualité du travail qui avait été source de tension dans ce cas-ci que le sentiment que la tâche n’avait pas été partagée équitablement, comme dans d’autres équipes. Les filles servaient à finaliser le travail, et elles se plaignaient d’être confinées à ce rôle. Elles jugeaient aussi que certains gars amorcent le travail trop à la dernière minute… ou encore qu’on n’arrive pas à prendre collectivement des décisions.

« Ils ont de la misère à travailler en équipe. Moi, je déteste travailler à la dernière minute. Le conflit s’est fait après parce qu’ils pensaient que j’avais été me plaindre au professeur. Dans les travaux, ils se sentent inférieurs. Ils pensent que les filles travaillent mieux. La fille finalise les travaux et c’est en majorité comme ça. » (6-2)

Cependant, toutes les filles n’avaient pas automatiquement le goût de s’associer avec d’autres filles. Les conflits les plus importants dans la classe semblaient s’être produit entre quelques filles. On les attribuait à divers facteurs dont la personnalité des personnes en cause.

« La concurrence, la personnalité des individus. Surtout les filles, entre elles, il y a plein de conflits, à comparer aux gars. » (1-6)

« Margot! Elle est bien gentille à l’extérieur mais en Techniques policières, elle veut tellement être la meilleure. Elle est prête à faire des affaires pour ça, entre autre à caler les autres. Et moi, je n’aime pas ça du tout, du tout. » (8-1)

On reprochait à Margot un esprit de compétition trop marqué, ce qui lui attirait les foudres de ces consœurs ; son exclusion de certaines activités était probablement plus systématique du côté des filles que de celui de ses collègues masculins. Elle se réfugiait par conséquent dans son équipe

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qui, de toute manière, partageait les mêmes valeurs qu’elle. Par exemple, les gars semblaient lui pardonner plus facilement le fait de prendre beaucoup de place dans les cours.

« En remarquant des personnes dans la classe lors d’un oral, on voit qu’elles ne sont pas juste fatiguées mais que la personne qui parle les stresse. Moi, je prends ça avec un grain de sel. Comme quand Margot pose trop de questions, moi, ça ne me dérange pas - souvent ses questions, je les trouve intéressantes - mais je vois que d’autres pompent par en dedans. On dirait qu’il y a un gros conflit surtout entre les filles et elle. Elle se tient plus avec les gars. Avec certaines filles, ça va pas. » (10-5)

Comme nous l’avons vu précédemment, les reproches d’« hyper-compétitivité » à l’endroit de Margot visaient également toute l’équipe A1, consolidant par un choc en retour la cohésion de cette équipe. Cependant, c’est Margot qui, tout comme Marcel de l’équipe des « I », suscitait les réactions les plus marquées aboutissant à des formes manifestes d’exclusion.

« La compétition est là et il faut vivre avec. Quand tu donnes ton maximum et on ne peut t’en demander plus. Si je prends l’exemple de Margot. Les filles font des «party» mais Margot n’est pas invitée. Tout le monde le sait sauf elle. » (12-16)

Il n’y a pas qu’au plan des relations des gars avec les étudiantes que le bât blessait. Les professeurs féminins semblaient, elles aussi, avoir maille à partir avec ces classes et certains étudiants l’exprimaient ouvertement.

« C’est comme çà pour Mylène, c’est parce que vous êtes des femmes, parce qu’on en a des femmes en T.P., il y a Suzanne, Magali. Je ne sais pas c’est quoi le “hic”, il y a des profs qui, je le sais, ne veulent pas avoir de T.P., et je les comprends, parce que je sais que moi être en avant et ne pas me faire écouter, je suis pas capable. Et çà c’est le premier contact qu’on a avec le prof qui détermine la suite. Les premiers contacts qu’on a eus avec les professeurs en T.P. ont été très clairs : on peut placoter, on peut rire, mais on travaille. Le premier contact qu’on a eu avec Claire par exemple, il y avait déjà des gens qui parlaient à travers la classe. » (6A-8)

On peut penser qu’une forme de sexisme latent existe dans ce programme. Les filles apprennent à composer avec les réserves ou doléances exprimées plus ou moins clairement par certains garçons devant leur venue dans la profession ; cependant, elles apprennent à se défendre, à faire leur place ou à ne pas faire vague à ce sujet.

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« Jokes» sexistes en TP, on apprend à vivre avec ça. Les filles sont en minorité. Ça ne nous tente pas de répliquer. On les laisse faire. » (5-5)

Les filles ressentent encore quelques malaises dans cette profession en voie de transformation mais il y a lieu de croire que les appréhensions devant la perspective d’une féminisation de la profession se résorberont avec le temps.