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CHAPITRE 3 : LA VIE CACHÉE D’UN GROUPE HYPER COMPÉTITIF : INTÉGRATION,

3.2 L’apprentissage collaboratif : contraignant mais enrichissant!

3.2.3 De nouvelles dynamiques sociales

Toutes les pédagogies qui amènent étudiants et professeurs à jouer des rôles différents dans la classe génèrent des formes nouvelles de dynamiques sociales. En plaçant l’élève au cœur de ses apprentissages, les approches du type socio-constructiviste modifient les rôles usuels. Les apprentissages réalisés en collaboration avec des collègues changent la dynamique entre les étudiants. D’abord, ils doivent accepter de s’appuyer sur des non-experts pour réaliser des apprentissages, tout en sachant que le professeur expert effectue un monitoring de la qualité du travail effectué et de l’information acquise. Les rôles se voient inversés : on assiste à une

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redistribution de l’expertise en agissant soi-même à l’occasion en tant qu’expert. L’on se sent responsable de ses apprentissages d’une manière plus évidente. L’espace et le temps de classe sont également gérés différemment. L’enseignant occupe moins longuement le centre de l’action; les élèves prennent davantage de place. Pour parvenir à effectuer les apprentissages sereinement, il faut apprendre à faire confiance à ses coéquipiers. Le développement d’une telle confiance est certes plus difficile à mettre en place dans le cadre d’équipes imposées. L’un des indicateurs du degré de confiance se trouvera dans la réaction des étudiants devant l’éventualité d’une évaluation notée des apprentissages réalisées en collaboration avec les co-équipiers « non experts ».

« Je n’aurais pas apprécié que vous donniez un examen suite à cet exercice. C’est sûr que j’ai appris des choses mais le fait que vous n’ayez pas pu mesurer les connaissances qu’on aurait acquises. Pas tout le monde qui aurait été capable de répondre aux attentes des gens. (…) On va recevoir une base et nous ne serons probablement pas assez compétents pour répondre à des questions. On peut peut-être penser savoir des réponses mais la crédibilité de la personne peut être mise en doute. (…) je préfère avoir affaire à un expert. » (13-2)

Il faut se souvenir qu’au départ, la « réputation » individuelle de chaque étudiant était importante dans cette classe. Le type d’image que l’on projette, concernant ses aptitudes intellectuelles et au travail en équipe, aura un impact certain sur son éventuelle intégration dans un sous-groupe donné et dans la classe. La peur de se voir juger négativement peut engendrer une perte de confiance dans le processus ; celle-ci finira probablement par se résorber si l’évaluation tient compte de la performance individuelle de chacun des équipiers, ou encore si aucune notation n’est associée à l’exercice, ou enfin si une forme de co-évaluation est mise en place. Dans la mesure où sont effectuées des évaluations individuelles à l’intérieur de l’équipe et que l’apport de chacun est traité à sa juste valeur, plusieurs réticences exprimées finissent par s’estomper.

«…Certains avaient peur de dire ce qu’ils pensaient de peur de se tromper ou de se faire reprendre. Il faut vraiment comprendre sa définition. » (7-2)

« Travailler en équipe nous apporte à avoir un autre jugement des autres. » (6-4).

« Dans la mesure où on me permet d’évaluer le rendement de cette personne. Le fonctionnement - moi, ça ne me tente pas d’avoir quelqu’un qui ne travaille pas, quelqu’un en qui je n’ai pas confiance, je ne pourrai pas lui demander de faire une partie de travail - je vais toujours vouloir mettre mon petit point et regarder ce qu’il a fait. Ce qui me demande

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beaucoup parce que je suis très perfectionniste. Alors, si on me demande de compléter une grille de rendement de la personne avec qui je travaille et que le professeur tient compte de ce que j’ai écrit. Je n’hésiterai pas aucunement. » (13-3)

L’inversion des rôles experts/apprenants pose non seulement la question de la confiance, mais aussi celle de la capacité de se responsabiliser par rapport à ses propres apprentissages et à ceux des autres. Évidemment, étant donné le climat de compétition régnant dans cette classe, cela posait un défi encore plus grand puisque beaucoup d’énergie était dépensée pour maintenir un degré relatif d’harmonie dans le groupe. L’habitude inculquée depuis le cours primaire de percevoir le professeur comme le seul expert est cependant difficile à modifier.

« Non, non, il faut toujours quelqu’un qui connaît plus la matière. (…) Si on a juste des notions qu’on s’explique entre nous, on va comprendre de la façon dont on croit que c’est bon, mais ce n’est pas nécessairement la bonne, tandis que le professeur, lui,(le prof) sait la bonne manière, il peut faire de la vérification, nous expliquer. (…) et c’est certain qu’on a la bonne réponse à ce moment là, parce que lorsqu’on ne comprend pas, même à cinq personnes, on va finir par bloquer. » (4-7)

La présence du professeur expert est encore jugée nécessaire mais l’on conçoit que les étudiants du niveau collégial soient désormais capables de se responsabiliser et d’effectuer une recherche documentaire avec sérieux.

« À mon avis, il serait plus intéressant de s’expliquer nos définitions, et si on a le temps on jasera, mais je ne suis pas un “petit boss”, donc je n’agis pas de cette façon. Mais une chose qu’on aurait pu faire c’est de se dire l’ordre envisagé. Le fait que nous étions un petit groupe, c’était plus facile qu’un plus gros groupe (…). Personnellement, je pense qu’au niveau collégial, on est capable de s’automotiver, de travailler sérieusement, on est moins porté à jaser pour avancer plus rapidement. » (4-7)

L’insécurité peut subsister mais si elle est compensée par des outils permettant aux individus de vérifier les apprentissages réalisés, elle se résorbe assez facilement. On acceptera alors de se faire confiance, surtout si le professeur confirme l’exactitude des informations transmises en effectuant une révision sommaire avec le groupe. Collaborer implique de construire ensemble une notion et d’en accepter la validité. Cette étape exige une certaine maturité, et c’est ici que se situe la différence entre les techniques de coopération utilisées dans les ordres d’enseignement inférieurs et l’approche de collaboration privilégiée aux niveaux collégial et universitaire. La clé de la réussite de la stratégie réside dans ceci : que l’étudiant se fasse confiance et fasse confiance à

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ses équipiers non experts pour accepter d’assimiler l’information ou le point de vue développés en interaction avec le groupe.

« (…) Il y avait des points qui n’étaient pas clairs. Savoir vraiment la définition pour vraiment la donner aux autres. Faut approfondir. ( Ce me rendait insécure ) (…) Moi, j’ai remarqué que certains allaient vite pour s’en débarrasser. Je me disais c’est t’y bon - pas bon. Je me posais des questions. » (11-1)

« Moi j’ai trouvé çà intéressant, je ne l’avais jamais fait dans d’autres cours. Nous étions quatre, alors avec les quatre opinions ensemble, on réussissait à se rejoindre et à mieux comprendre les notions. Par exemple, les communautés ethniques, il y a avait toujours des petits détails, on était embêté, alors en faisant une recherche ensemble, on arrivait à une conclusion identique. Si on avait été seul, il y aurait eu beaucoup de variables, des choses différentes, alors l’enseigner aux autres auraient été plus embêtant, personne n’aurait compris. Ce que j’ai aimé c’est qu’en donnant nos notions à chaque autre personne, tout le monde écoutait et posait des questions, alors cela nous permettait de voir si nous avions bien compris les notions et de discuter sur ce qui n’avait pas été bien saisi et faire ni plus ou moins une autre réflexion de groupe. » (4-1)

« Oui, oui, c’est vrai. Parce que si l’examen avec eu lieu tout de suite après, au lieu de poser des questions, ils se seraient fâchés contre la personne qui ne comprenait pas sa propre définition parfaitement. On apprenait mieux que d’apprendre toutes les notes “par cœur”. Si tu ne comprends les choses, et que tu poses des questions, comme nos tables rondes, c’est plus facile de comprendre tout de suite que d’apprendre juste des mots, des définitions(…). »

(L’entraide) …c’est positif. Quelquefois j’aimerais mieux travailler seul, çà dépend. En équipe d’habitude, je trouve que “ l’union fait la force”. On peut s’aider (…). » (4-6)

Les étudiants perçoivent que si les tensions doivent se résorber, cela peut survenir lorsqu’ils sont contraints de travailler ensemble. Lorsqu’ils n’ont pas le choix, même si l’on a affaire à des individus compétitifs, un minimum d’entente s’impose par l’obligation d’effectuer collectivement une tâche.

« Je pense. Ça baisse la compétition. En individuel, tu es en compétition avec toute la classe. En équipe, avec moins de monde. Il y a un minimum d’entraide à développer en équipe. Si tu rencontres, dans une

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équipe, une personne très compétitive et qu’elle oublie que vous formez une équipe. Si elle pense seulement en notes et non au travail et ce qu’elle doit apprendre. Je pense que tu apprends beaucoup plus de tes erreurs, qu’une personne qui pense seulement notes. Parce que le jour où elle va rater, ça va finir là. » (4a-7)

Bref, les élèves apprécient positivement un travail de collaboration, même lorsque cela force des individus à travailler avec des coéquipiers non choisis. Même les élèves qui n’aiment pas du tout travailler en équipe -- qui l’éviteraient complètement s’ils le pouvaient -- admettent que cela constitue un apprentissage important. Cette approche permet de développer sa capacité d’entrer en relation avec autrui et de rencontrer des objectifs en tenant compte de l’apport de chacun. Elle l’amène également à s’ouvrir aux autres et évite la création de «castes» hermétiques. S’ouvrir aux autres, prendre le risque de travailler avec eux, c’est là un apprentissage significatif, voire une leçon de vie!

« Au début de la première session, on faisait des travaux d’équipe. Quand je disais mon opinion, je me sentais mal. Peut-être parce que j’étais avec des têtes fortes de la classe. J’avais peur qu’il me juge. À force de les connaître, j’ai changé. Je me suis dit :« ils diront ce qu’ils veulent, je vais dire mon opinion». C’est peut-être ça qui a changé. (J’ai pris confiance) (…) Comme faire des oraux! Je me sens maintenant à l’aise. À force d’en faire, on avance par petits pas, on change. » (10-8)