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2.1 La distinction entre éthique et morale

Dans le document Questions complémentaires de sociologie (Page 122-124)

Dans Soi-même comme un autre, publié aux Editions du Seuil en 1990 (pp.200-202), le philo- sophe Paul Ricoeur distingue la visée « éthique » et la visée « morale ».

Une visée éthique est une visée de la vie bonne, avec et pour les autres, dans des institu- tions justes. Elle répond à un triple souci : le souci de soi, le souci de l’autre et le souci de l’institution. La visée éthique répond à une exigence de sollicitude.

Que faut-il comprendre par « institution » ?

Ricoeur désigne par ce terme « toutes les structures du vivre-ensemble d’une communauté historique, irréductibles aux relations interpersonnelles et pourtant reliées à elles en un sens remarquable que la notion de distribution – qu’on retrouve dans l’expression de justice dis- tributive –permet d’éclairer ».

« On peut en effet comprendre une institution comme un système de partage, de répar- tition, portant sur des droits et des devoirs, des revenus et des patrimoines, des respon- sabilités et des pouvoirs ; bref, des avantages et des charges. C’est ce caractère distri- butif– au sens large du mot – qui pose un problème de justice. Une institution a en ef- fet une amplitude plus vaste que le face-à-face de l’amitié ou de l’amour : dans l’institution, et à travers les processus de distribution, la visée éthique s’étend à tous ceux que le face-à-face laisse en dehors au titre de tiers. Ainsi se forme la catégorie du chacun, qui n’est pas du tout le on, mais le partenaire d’un système de distribution. La justice consiste précisément à attribuer à chacun sa part. Le chacun est le destinataire d’un partage juste ».

« On pourra s’étonner, écrit-il, que nous parlions de la justice au plan éthique, où nous nous tenons encore, et pas exclusivement au plan moral, voire légal, que nous aborde- rons tout à l’heure. Une raison légitime cette inscription du juste dans la visée de la vie bonne et en rapport avec l’amitié pour autrui. D’abord l’origine quasi immémoriale de l’idée de justice, son émergence hors du moule mythique dans la tragédie grecque, la perpétuation de ses connotations religieuses jusque dans les sociétés sécularisées attes- tent que le sens de la justice ne s’épuise pas dans la construction des systèmes juri- diques qu’il suscite. Ensuite, le sens de la justice est solidaire de celui de l’injuste, qui bien souvent le précède. C’est bien sur le mode de la plainte que nous pénétrons dans le champ de l’injuste et du juste : « C’est injuste ! » - telle est la première exclamation. On n’est pas étonné dès lors de trouver un traité de la justice dans les Ethiques d’Aristote, lequel suit en cela la trace de Platon. Son problème est de former l’idée d’une égalité proportionnelle qui maintienne les inévitables inégalités de la société dans le cadre de l’éthique : « à chacun en proportion de sa contribution, de son mé-

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rite », telle est la formule de la justice distributive, définie comme égalité proportion- nelle. Il est certes inévitable que l’idée de justice s’engage dans les voies du forma- lisme par quoi nous caractériserons dans un moment la morale. Mais il était bon de s’arrêter à ce stade initial où la justice est encore une vertu sur la voie de la vie bonne et où le sens de l’injuste précède par sa lucidité les arguments des juristes et des poli- tiques ».

La visée morale comporte une exigence d’universalité et de rationalité. Une règle morale

est une règle formelle qui ne dit pas ce qu’il faut faire, mais à quels critères il faut soumettre les principes de l’action. Ricoeur prend appui sur le principe kantien : « Agis toujours de telle façon que tu traites l’humanité dans ta propre personne et dans celle d’autrui, non pas seu- lement comme un moyen, mais toujours aussi comme une fin en soi ». La visée morale ré- pond à une exigence de respect de soi et de respect de l’autre.

Mais qu’ajoutent le respect à la sollicitude, la morale à l’éthique ? Selon Ricoeur, c’est à cause de la violence qu’il faut passer de l’éthique à la morale. On doit tenir compte de la relation de pouvoir inscrite dans toute interaction. « Cela va depuis l’influence jusqu’au meurtre et à la torture, en passant par la violence physique, le vol et le viol, la contrainte psychique, la tromperie, la ruse, etc. Face à ces multiples figures du mal, la morale s’exprime par des interdictions : « Tu ne tueras pas ». « Tu ne mentiras pas », etc. La morale, en ce sens, est la figure que revêt la sollicitude face à la violence et à la menace de la violence. A toutes les figures du mal de la violence répond l’interdiction morale ».

2.2.- Que faut-il entendre par État de droit ?

Les principes fondateurs d’un État de droit sont les principes sur lesquels les états modernes, dont le nôtre, se sont constitués. L’État de droit constitue un modèle de référence dans l’organisation et la régulation des échanges humains, et surtout les échanges conflictuels. Ces principes se sont construits lentement, les racines sont profondes et ont trouvé leurs premiers nutriments dans l’antiquité gréco-romaine. Certains sont d’ailleurs formulés en latin.

Ces principes fondateurs sont toujours bien vivants. Nos législateurs s’en inspirent encore et les respectent, même s’ils ne figurent pas tels quels dans les textes de loi.

Ce modèle a pour but de poser des limites à l’exercice de la puissance publique. Ces limites tiennent au respect du droit, à la garantie apportée à tous de disposer des mêmes droits et de bénéficier d’un traitement égal devant la loi. L’État de droit installe donc un cadre de sé- curité juridique pour tous les individus qui vivent en son sein. Le système juridique est donc

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placé au cœur même de l’organisation sociale gouvernée selon les principes de l’État de droit.

L’un des premiers principes fondateurs d’un État de droit qu’un apprenti juriste rencontre est qu’il n’y a pas de crime, pas de faute et donc pas de peine, s’il n’y a pas de loi : Nullum crimen nulla poena sine lege. Ce principe n’est pas écrit dans un texte légal mais il est au fondement même de l’organisation judiciaire de nos sociétés. Si un fait n’est pas interdit par une loi, c’est qu’il est autorisé ; seule une nouvelle loi le rendrait condamnable.

Exemples : tant que la bigamie n’était pas interdite, on pouvait… Tant que la vitesse sur autoroute n’était pas limitée, on pouvait…

Les lois évoluent donc, mais le principe demeure : il n’y a de faute que s’il y a infraction à une loi.

Dans le document Questions complémentaires de sociologie (Page 122-124)