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La différence est-elle une construction politique ?

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 52-56)

IDENTITE ET DIFFERENCE : QUELS ENJEUX ?

1.3 La différence est-elle une construction politique ?

Comme l‟identité, la différence, dessine elle aussi un espace politique. Les caractéristiques de la différence varient dans le temps et dans l‟espace, et sont concernées par des questions de citoyenneté, de droits de l‟Homme, d‟accès au savoir et au pouvoir politique et économique. D‟après Hall, « la différence peut être nécessaire et dangereuse en même temps »15[HALL, 1997b ; 234]. La différence est un concept nécessaire principalement pour trois raisons, nous dit l‟auteur: d‟abord, toutes les identités se construisent au travers de la différence ; c‟est seulement en relation avec l‟Autre que l‟identité peut être identifiée et construite. Ensuite, la différence, et surtout la différence des autres est essentielle pour le sentiment de solidarité, d‟identification et de singularité d‟un groupe. La différence peut être célébrée comme source de diversité et d‟hétérogénéité et peut également contribuer aux changements positifs dans la vie sociale et politique d‟un groupe. Enfin, il y a des significations et des définitions qui exigent la présence de la différence. La différence est aussi nécessaire non seulement pour les identités mais aussi pour la production de sens, la formation des langages et de la culture.

Par ailleurs, la différence peut aussi être dangereuse car elle sépare un groupe des autres, en résulte la négativité et l‟exclusion. La différence peut marginaliser une ou plusieurs personnes caractérisées comme Autres. Pour citer Hall, « La différence peut être négativité, menace, danger, sentiments négatifs,

15 En anglais dans le texte original: « difference is both necessary and dangerous”. Traduit par nos soins.

sentiments de division, d’hostilité et d’agression envers l’Autre »16[HALL, 1996 ; 5]. A travers la différence alors l‟identité trouve la capacité d‟exclure, de laisser dehors.

Par conséquent, chaque identité a ses marges et chaque identité a son Autre.

Contrairement à S. Hall, C. Castoriadis formule l‟idée que l‟espace est la première possibilité de coexistence avec l‟Autre. Pour l‟auteur de L’institution imaginaire de la société : « le topos ou chora est la possibilité première du Pluriel. En ce sens il est ce qui permet l’identité du différent puisqu’il fonde la co-appartenance dernière de tous les différents quelles que soient leurs différences : différer (dia-phero), c’est déplacer, trans-porter » [CASTORIADIS, 1975 ; 264].

La différence se distingue alors comme une composante-clé de chaque système de classification et elle forme la base de l‟ordre symbolique de la culture.

Néanmoins, ce système binaire peut aussi provoquer des sentiments et des pratiques négatives, dans les cas où les individus ou les objets n‟entrent pas dans ces catégories. Ainsi, une personne est considérée comme Autre, parce qu‟elle a une ou plusieurs caractéristiques qui la distinguent de « nous ». Le problème commence quand un individu est considéré comme ayant certaines caractéristiques Ŕ souvent peu désirables Ŕ parce que l‟observateur le voit comme un membre d‟un groupe ou une catégorie auquel il attribue ces caractéristiques. En ce cas, l‟Autre comme individu est jugé comme membre de ce groupe et il devient victime d‟un préjugé ou d‟un stéréotype à propos de l‟Autre. « Pour comprendre la nature des stéréotypes pour l’Autre, il faut bien tenir en compte des représentations collectives que les membres d’une collectivité ont d’eux-mêmes. Ces représentations y compris celles de l’Autre, sont des constructions sociales d’une société ou d’un groupe ethnique » [BERTING, 2001].

Pour mieux cerner ce point, nous proposons une étude de cas, qui montre comment les discours journalistiques, se focalisent sur des traits chinois, approuvés et acceptables par la culture européenne, mais toutefois perçus comme traits de l‟étrangéité et de la différence chinoise.

16 En anglais dans le texte original: “difference as such can be negativity, threatening, a site of danger, of negative feelings, of splitting, hostility and aggression towards the other”. Traduit par nos soins.

Encadré 1 :

Les caractéristiques de la différence

Le phénomène de différenciation des Chinois dans la presse française et grecque peut être aperçu, dans un nombre d‟articles apparus dans le dernier page du Monde, sous la rubrique Lettre d‟Asie. Il s‟agit des analyses qui traitent des sujets de l‟actualité chinoise, en prononçant un discours qui s‟appuie sur les différences ou les originalités du peuple et du régime chinois.

Ainsi on peut lire :

1er cas : Les troubles psychologiques des Chinois à cause de l’Internet. (Le Monde, « Bienvenue chez les « psy », Lettre d‟Asie, Sylvie Kauffmann, novembre 2008)

« La Chine est en passe d’officialiser une nouvelle pathologie mentale : la dépendance à l’Internet […]. Les Chinois s’avouent « accros » à Internet dans des proportions plus

de deux fois supérieures aux jeunes Américains […] ». Et un peu plus loin « […]

pendant longtemps, quelqu’un qui avait des problèmes psychologiques était quelqu’un qui n’avait pas de conscience politique ».

Tout au long de l‟article la pathologie à cause de l‟Internet s‟est présentée comme une nouveauté de la société chinoise. Cette pathologie, même si l‟article nous dit qu‟il existe déjà aux sociétés occidentales, a des proportions beaucoup plus importantes, pas seulement à cause du grand nombre de la population chinoise. Sylvie Kauffmann, justifie l‟importance de l‟événement, mais aussi à cause de la rupture que la formation des psychologues face à cette nouvelle maladie apporte au regard des Chinois par rapport aux psychopathologies du genre.

L‟accent est mis sur la différence de mentalité envers ces maladies, mais aussi sur leur traitement, ce qui place la Chine aux antipodes de l‟Occident où les pathologies du genre sont examinées et traitées depuis des dizaines d‟années. L‟article conclut en précisant que la philosophie confucéenne, qui privilégie l‟harmonie collective se rapproche de la psychologie occidentale, surtout tournée vers le moi, car toutes deux se réfèrent au bien-être de l‟être épanoui.

2ème cas : La différence biologique. « Les gènes des Chinois peuvent cacher la prise de testostérone », article paru dans le Monde en avril 2008

«…depuis bien longtemps déjà, tout indique que, pour des raisons génétiques notamment, les êtres humains sont loin d’être égaux quant à leurs possibles

performances sportives individuelles ».

« On ignorait toutefois jusqu’à aujourd’hui que des variabilités génétiques pouvaient mettre en lumière l’existence d’inégalités quant aux effets du dopage ou, corollaire,

de son dépistage ».

L‟étude a montré que « ce trait génétique » est statistiquement nettement plus fréquent dans les populations asiatiques (de Chine, Corée et Japon) que dans celles originaires d‟Europe et d‟Afrique.

Nous constatons alors, que même si l‟étude s‟est référée aux populations asiatiques en général, le journal n‟a pas hésité à ne se rapporter qu‟aux Chinois dans le titre de l‟article.

Le fait demeure que dans le monde médiatisé contemporain, l‟Autre est considéré comme un „tiers‟ qui n‟est pas le „tu‟ interlocuteur ou partenaire d‟un acte d‟échange.

Pour le reconnaître il faut que celui-ci se donne à voir comme différent. Tant qu‟il n‟y a pas perception de différence, le spectateur/lecteur ne peut pas percevoir l‟Autre. Les exemples précédents montrent de façon claire que, en précisant et en mettant l‟accent sur les différences des autres cultures, la presse intervient dans la catégorisation de l‟Autre comme tel.

Pour résumer, la construction de la différence entre « Nous » et « Eux »,

« Moi » et « l‟Autre », se produit par l‟affrontement des notions d‟une origine commune, telles que la langue, la culture, la race etc. Les barrières imposées à cause de ces notions se fondent très souvent dans des mécanismes d‟inclusion et d‟exclusion. Les individus sont alors caractérisés par leur appartenance ou leur exclusion dans un groupe particulier. En même temps, l‟Autre se définit comme une exigence, une nécessité pour la création de la société. L‟Autre n‟est qu‟une forme contradictoire à l‟identité, un objet symbolique qui se transforme selon le rapport que l‟altérité propose.

Comment la notion de l‟Autre et l‟idée de l‟altérité sont apparues et se sont développées dans la pensée occidentale ? Quels sont les traits spécifiques que la pensée grecque a mis en avant pendant des siècles afin de définir et de perpétuer l‟identité ? Nous essayerons de répondre à ces questions par le biais d‟un regard historique de l‟avancement de ces idées depuis l‟antiquité.

Point d’étape

Les approches de l’altérité suivantes se distinguent dans notre travail :

 L’Autre comme partie constitutive de l’identité.

 L’Autre comme partie opposante aux Nous et au Moi.

 L’Autre à la fois appartenant et à la fois se distinguant de l’identité.

 La différence est une construction politique, qui s’appuie sur l’affrontement des notions d’une origine commune.

1.4 La dialectique de l’identité et de l’altérité dans la

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 52-56)