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Figures de l’altérité : une étude de cas sur l’affaire du lait frelaté ou comment élaborer un scandale

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 85-89)

LES REPRESENTATIONS DE L’ALTERITE ; CONSTRUIRE UNE PLACE POUR L’AUTRE DANS L’IDENTITE EUROPEENNE

2.1 Le système des représentations : une nécessité pour la construction de la réalité ?

2.1.2 Figures de l’altérité : une étude de cas sur l’affaire du lait frelaté ou comment élaborer un scandale

« L’altérité se construit plus qu’elle ne se découvre » (Jean Baudrillard, Figures de l’altérité) Savoir l‟Autre est, depuis Homère (l‟Odyssée), Hérodote et les géographes arabes, et reste encore aujourd‟hui, une préoccupation anthropologique fondamentale de toute société humaine. Plus encore, cette préoccupation a accompagné les pulsions profondes des sociétés en expansion économique, politique et sociale. Dans l‟ère actuelle, la connaissance de l‟Autre se fait surtout via les institutions médiatiques. Cependant, Eric Macé nous prévient que

« Considérer les représentations médiatiques comme des faits consiste à les observer en s’efforçant d’en soustraire l’intentionnalité de ceux qui les produisent et surtout en s’interdisant radicalement d’en déduire les formes d’usage et d’appropriation » [MACE, 2006 ; 112].

A partir de l‟exemple de l‟affaire du lait frelaté, qui a éclaté en Chine en septembre 2008, et de son accueil dans la presse grecque et française, nous essayons de montrer de façon explicite les tentatives de représentations médiatiques pour distinguer l‟Europe de la Chine et plus encore pour stigmatiser la différence dans la façon de faire en Chine.

Encadré 5 :

Le scandale du lait frelaté

En septembre 2008, un évènement a pris des proportions massives dans la presse en France et en Grèce : il s‟agissait de l‟affaire du lait contaminé par de mélamine provenant de Chine. La panique de l‟empoisonnement par la mélamine (composant chimique présent dans le plastique), détectée dans le lait venant de la Chine, a été amplifiée par la mort d‟enfants chinois, ayant été contaminés après en avoir consommé.

Pendant les trois semaines qu‟a duré cette crise, la presse écrite a surtout évoqué les conditions sanitaires en Chine, le manque de contrôle de la part de l‟Etat et a mis l‟accent sur le comportement meurtrier du pouvoir chinois, qui a coûté la vie à un certain nombre d‟enfants. Tant en France qu‟en Grèce, la presse écrite a essayé de minimiser les conséquences de cette affaire en Europe, avec des articles qui relataient la réaction instantanée des contrôles européens et les mesures qui ont permis d‟écarter le danger en Europe.

Afin de donner quelques éléments statistiques des articles parus dans le Monde et Elefterotypia, nous avons constaté que dans Elefterotypia, du 18/09/2008 au 11/10/2008 7 articles ont été consacrés à l‟affaire du lait. Pour ce qui concerne Le Monde, du 16/09/2008 au 9/10/2008, nous avons relevé 14 articles.

Les acteurs/ protagonistes

Les acteurs principaux/ protagonistes dans ces textes étaient les suivants:

L’industrie des produits laitiers (directement mêlée à cette affaire, mais généralement silencieuse) a été représentée indéfiniment, surtout au moyen de statistiques et quelques commentaires généraux :

« de trois acteurs majeurs du secteur, Mengniu, Yili et Shanghai Bright Dairy, qui dominent le marché de Shanghaï »,

« les plus gros fabricants de produits laitiers, comme Sanlu »,

« les géants du lait »

Autre acteur, les départements et les services gouvernementaux, qui ont été notamment blâmés par la presse pour leur « contribution » à la circulation du lait contaminé :

« le maire de Shijuazhuang »,

« des milliers d’inspecteurs »,

« les services de l’Etat »,

« l’administration générale en charge de la supervision alimentaire »,

« d’après de déclarations des officiels »,

« le Ministre de la Santé »

Les experts, qui ont expliqué les conséquences, les causes et les dimensions de la contamination du lait frelaté, étaient aussi présents dans les articles :

« le représentant en Chine de l’Organisation mondiale de la Sante (OMS), Hans Troedsson »,

« selon Euromonitor International »,

« le Centre de Sécurité de l’Alimentation (CFS) de Hong Kong »,

« les scientifiques »

La population chinoise, était largement absente. Ainsi, l‟affaire était surtout construite à partir du discours des institutions et des organisations, et le public n‟a eu que de rares occasions de s‟exprimer : comment éviter tel ou tel produit, comment protéger ses enfants. Le public ne semble pas participer au débat sur les contrôles, sur la responsabilité du pouvoir chinois ou sur les pratiques de l‟industrie alimentaire. Ainsi, nous lisons :

« certains commentateurs sur Internet »,

« un forum de discussion de Tianya »

Néanmoins, « les gens ordinaires », tels que « l‟enfant » et « la mère » sont des caractères importants dans la narration de l‟événement par la presse comme victimes médicales, psychologiques ou politiques. Nous lisons :

« des milliers de parents ont submergé des hôpitaux pour soumettre leurs enfants aux examens médicaux »,

« à l’aube de leur vie, les bébés chinois payent le coût le plus cher du scandale du lait frelaté ».

Enfin la Presse, (grecque et française), agissant comme un méta-acteur, a également joué son rôle propre dans la construction de l‟image de la Chine comme

« danger sanitaire ». Le fait que les victimes de cette histoire aient été des enfants, a aidé la Presse à s‟adresser directement à ses lecteurs en jouant avec la sensibilité et l‟empathie du public. Pendant la couverture de cette affaire, la presse a continuellement insisté sur les risques encourus en raison de la globalisation de l‟industrie alimentaire et le manque de politique et de contrôles internationaux en la matière. Ainsi, la généralisation de cette affaire et sa présentation en liaison avec les dangers pour la santé de la communauté internationale et pour l‟environnement à cause des pratiques chinoises, suscite quelques questionnements sur les représentations de l‟altérité chinoise construites par la presse.

L’évolution médiatique de l’affaire

On observe dans cette affaire du lait chinois une progression thématique. Quelques exemples des titres apparus sur l‟affaire du lait nous aiderons à voir l‟évolution du sujet dans la presse française et grecque.

L‟affaire du lait frelaté est d‟abord présentée comme une affaire sanitaire (scandale du lait, insécurité alimentaire).

« Chine : 69 étiquettes avec du lait contaminé pour les bébés » (Elefterotypia, 18/09)

« Nestlé retire le lait. Chine : 53000 bébés contaminés par la mélamine » (Elefterotypia, 23/09)

Elle est ensuite présentée comme une affaire politique (censure, intérêts privés).

« L’insécurité alimentaire, nouveau fléau de la Chine » (Le Monde, 21-22/09)

« A Shijizhuang, la confusion des intérêts publics et privés a aggravé le scandale du lait frelaté » (Le Monde, 4/10)

« Ils savaient depuis 2007 pour le lait » (Elefterotypia, 24/09)

« Le scandale provoque une vague d’indignation en Chine » (Le Monde, 18/9)

Pour devenir enfin une affaire internationale (vigilance du côté européen).

« Le « made in China » inquiète les autorités sanitaires » (Le Monde, 21-22/09)

« L’Europe augment son niveau de vigilance sur les importations de produits laitiers » (Le Monde, 21-22/09)

« Mélamine : Pékin s’aligne sur l’UE » (Le Monde, 9/10)

Nous pouvons également constater, en observant les titres, une manière productive de stéréotypes, autour du marché et des produits chinois, ainsi que le niveau largement émotif du « scandale », représenté par le vocabulaire du danger et de la crise, et dans des métaphores excessives.

« Le scandale du lait contaminé chinois s’étend à d’autres produits et la censure menace » (Le Monde 20/9)

« Dans la jungle du….lait » (Elefterotypia, 26/09)

« Une 101e médaille…en mélamine » (Le Monde, 7/10) « Chine : A l’image d’Hérode45 » (Elefterotypia, 11/10)

A ce stade de l‟analyse quelques constatations s‟imposent:

1. Dans le traitement de l‟affaire du lait contaminé par la presse écrite, la condamnation

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 85-89)