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Conclusion Titre 1

Paragraphe 1 La détermination du principe de l’inefficacité

450. Pour comprendre le principe de l’ineffiacité, nous devons dans un premier temps le rapprocher et le différencier du principe d’effectivité ou d’ineffectivité (A) ; puis en second lieu, le rapprocher et le différencier du principe d’efficience du droit ou de validité (B).

A. L’effectivité et l’ineffectivité du droit

451. Pour la règle de droit, nous pouvons dire qu’il y a efficacité lorsque l’objectif de la loi est atteint. Selon le Doyen Cornu, l’effectivité est « le caractère d'une règle de droit qui

534 Cf. D. L. JR KIDD et W. H. DAUGTHREY, Adapting Contract Law to Accommodate Electronic Contracts: Overview and Suggestions, in Rutgers Computer and Technologie Law Journal, LJ n°215, University of Virginia, 2000. [En ligne] http://cyber.law.harvard.edu/ilaw/Contract/Kidd_Full.html (consulté le 16/03/2016).

189 produit l'effet voulu, qui est appliquée réellement»535. Un autre auteur définit ce terme d’effectivité par « le degré de réalisation, dans les pratiques sociales, des règles énoncées par le droit»536. En résulte une doctrine qui n’est pas unanime sur la définition, il y a deux conceptions qui en débouchent : la première étant souvent défendue par le juge (concept restrictif) et la seconde étant défendue par les sociologues du droit (concept extensif)537.

452. Nous allons partir des théories mises en avant par le professeur François Rangeon538, qui seront confrontée à d’autres doctrines. Selon le professeur Rangeon :

« La première approche inscrit la question de l'effectivité dans le cadre des rapports droit/application du droit, alors que la seconde l'élargit aux relations droit/société.539 »

453. Donc, les juristes conçoivent le principe de manière restrictive ou normative, ce qui témoigne d’une application correcte de la lettre ou du moins comme le souligne Rangeon : d’un esprit de la loi540

. A contrario, selon lui, les sociologues juridiques pensent que l’effectivité du droit ne peut s’établir sans l’accord de ses destinataires, c’est-à-dire des sujets de droit (personnes physiques et morales), ces derniers ne pouvant pas le refuser ou en ignorer le contenu. La définition apportée par Monsieur Rangeon sur l’ineffectivité vient par opposition simple à l’effectivité : « l’ineffectivité c’est l’échec, la lacune ou un

défaut de droit »541. Il rajoute : « l’ineffectivité intéresse directement les juristes et les sociologues du droit ».

454. Nous pouvons constater que d’une part, il s’agit d’un moyen de vérifier de l’effectivité quant à la mise en place d’une loi qui a été édictée, d’autre part, il s’agit de confondre une fiction juridique qui se manifeste désormais dans le champ réel, avec ses conséquences réelles sur les individus, dans un temps donné. L’effectivité se rapproche fort

535 G. CORNU, Op. cit., p.334.

536 P. LASCOUMES, « Effectivité », in À. J. AMAUD et al, Dictionnaire encyclopédique de théorie et de

sociologie du droit, L.G.D.J et Story-scientia, 1988.

537 Termes repris par J. CARBONNIER, « Effectivité et ineffectivité de la règle de droit – Année sociologique 1957-1958 » in Flexible droit, L.G.D.J. 3ème Edition, 1976, p.99. P. LASCOUMES et E. SEMEIN, Théories et pratiques de l'effectivité du Droit, Revue Droit et Société n° 2, 1986, p.101s.

538 F. RANGEON, Réflexion sur l’effectivité du droit : Les usages sociaux du droit, P.U.F, Paris, 1989, p.126s. [En ligne] https://www.u-picardie.fr/labo/curapp/revues/root/23/rangeon.pdf (consulté le 13/03/2016).

539 F. RANGEON, Op. cit, p.126.

540

Ibid.

190 du principe d’efficacité ce qui vient à dire qu’elle permet d’évaluer les résultats et les effets sociaux du droit. E. Picavet définit ce terme d’un point de vue économique :

« L’efficacité renvoie à un acte ou à une décision qui produit un effet escompté, c’est la capacité à satisfaire ou maximiser les préférences individuelles.542

»

455. Ce terme est cependant à la fois plus large et plus restreint que celui donné par l’effectivité. En effet, cette dernière est plus large au sens où elle est une condition même de nécessité en droit. Mais même si c’est dans l’effectivité que mue le droit, il n’y a aucun rapport direct avec son efficacité. Tout droit effectivement appliqué ne veut pas dire, dans l’absolu, qu’il est efficace parce qu’il est présent. Monsieur Rangeon cite comme exemple la lenteur de l’administration judiciaire et l’inefficacité des sanctions dues au respect parfois trop méticuleux des procédures judiciaires.

456. Pourtant, même si l’on partage ce point de vue, l’appareil judiciaire permet aussi d’assurer une protection des droits individuels. Cela n’empêche pas l’efficacité de rester trop souvent un alibi ou un témoin pour invoquer une irresponsabilité du droit, les exemples sont fortuits concernant le cas de dirigeants d’entreprises voulant détourner certaines lois quand le secret des affaires est important, ou quand il y a « évasion fiscale » vers des paradis fiscaux, etc. Monsieur Rangeon estime que ce sont tous là « de sérieux

obstacles au respect des règles de transparence et de lutte contre la corruption543».

457. Comment le législateur peut-il assurer l’efficacité d’un texte ? Face à cette question, nous pouvons accorder que le législateur doit faire attention à son énoncé normatif. De manière classique, un texte juridique efficace se révèle l’être par sa qualité formelle et sa qualité de fond, choses indubitablement liées au talent du législateur et/ou du rédacteur. Toutefois, ce texte doit se révéler clair et précis avant de se montrer esthétique ou intellectuellement élevé. La structure du texte reste un élément prépondérant quant à sa réussite, que le texte soit rigide ou flexible. Comme le rappelle l’ordonnance datant de 1539544 :

542 E. PICAVET, La revendication des droits. Une étude de l’équilibre des raisons dans le libéralisme, Bibliothèque de la pensée juridique : Classiques Garnier, Paris, 2011. p.79.

543 F. RANGEON, Op. cit., p 132.

544 Cité par J-P. LAURENT, L'Ordonnance de Villers-Cotterêts, 1539, et la conversion des notaires à

l'usage exclusif du français en pays d'Oc, Editions Le Gnomon, 1982, 24 p. Texte complet : [En ligne]

191

« Une loi est efficace quand elle ne contient aucune ambiguïté ou incertitude, ni demande lieu à interprétation ».

458. Après quoi, se sont greffés avec le Code civil français d’autres termes : « la

concision, la brièveté et la cohérence des énoncés545». À l’inverse, des textes qui utilisent

un langage très compliqué ou écrit avec un jargon juridique inaccessible aux non-initiés deviennent inefficaces. On peut alors avancer que l’adage Nul n’est censé ignorer la loi renvoie à l’idée d’efficacité si la règle énoncée est suffisamment claire pour ses destinataires. D’un autre côté, certains textes rigides montrent plus d’efficacité que d’autres plus flexibles. Par rapport à notre sujet, nous constatons que la formulation des règles de conflit de compétence internationale est souple et ne comporte pas de règles formulées à l’impératif546

.

459. Pour que cette efficacité soit présente, il existe une autre méthode que la comparaison, qui est de considérer l’efficacité comme faisant partie d’un système ou d’un ensemble de normes fonctionnant par liaisons. En procédant de la sorte, nous pouvons établir trois modalités développées par Véronique Champeil-Desplats et Eric Millard547.

460. Première modalité : asseoir l’efficacité d’un texte en le renvoyant à d’autres qui en assureront la mise en œuvre. L’exemple le plus évocateur est celui des déclarations de droits et de libertés : celles-ci ne sauraient être efficaces « sans l’intervention d’une constitution, d’une loi, d’une réglementation ou d’une décision de justice ». Il va de soi qu’il faut également créer des institutions indépendantes qui se chargeront de la mettre en œuvre et qui posséderont le pouvoir de sanctionner négativement (peines) ou positivement (récompenses, encouragement, incitations, etc.) selon le cas.

461. Deuxième modalité : considérer l’énoncé par rapport à sa place dans le texte-source, c’est-à-dire dans « le calibrage des articles, titres et chapitres ». Certains auteurs

545

V. CHAMPEIL-DESPLATS, « Efficacité et énoncé de la norme », in L’efficacité de l’acte normatif,

nouvelle norme, nouvelles normativités, Editions Hammje L., Janicot L. et Nadal S. 2013. P.63s.

546 P. TRUDEL, L’élaboration des règles de conduite pour les environnements Internet : Éléments de

méthode, publié dans Le guide juridique du commerçant électronique, Éditions Yvon Blais, Cowansville,

2004. p.221s.

547

V. CHAMPEIL-DESPLATS et E. MILLARD, Efficacité et énoncé de la norme, « Introduction », 2013. [En ligne] https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00937406/document (consulté le 16/03/2016).

192 craignent par exemple de rendre inefficaces les droits énumérés dans les préambules en les réduisant au statut de déclarations, et donc sans portée contraignante.

462. Troisième modalité : considérer un énoncé normatif comme partie intégrante du système juridique dans lequel il s’insère. En effet, des énoncés contradictoires peuvent entrer en conflit avec lui créant « une pluralité des visées normatives ».

463. De plus, tout système juridique peut contenir deux types de lois qui freinent l’efficacité d’un énoncé normatif. D’une part, il existe dans certaines branches du droit des lois archaïques qui devraient être abrogées. D’autre part, on constate dans certaines matières juridiques (droit des étrangers, droit pénal, etc.) une inflation législative qui est tout aussi bien susceptible de conduire à l’inefficacité de la règle de droit548

.

464. En définitive, efficacité et effectivité sont fondées sur des valeurs différentes qui sont susceptibles de déboucher sur une application de l’une et la non-application de l’autre. L'efficacité du droit mesure l’écart entre un résultat selon des aspects économiques et sociaux, et un objectif à atteindre dans des conditions données. Elle peut s’apprécier à partir d’un bilan coûts-avantages549

. Quant à l’effectivité, elle considère des principes généraux du droit : égalité devant la loi, respect des droits de la défense, non rétroactivité de la loi, etc… Enfin, chaque branche des sciences sociales a pu définir ce qu’elle entendait par efficacité et Véronique Champeil-Desplats conclue en disant

« qu’il y a donc une place et ce finalement depuis longtemps pour des conceptions ou préoccupations propres aux juristes (…) qui ne se réduisent pas à celles proposées par les analyses économiques du droit.550»

B. L’effectivité du droit et l’efficience du droit

465. Toujours dans cette analyse de Monsieur Rangeon, il nous faut déterminer en quoi la notion d’efficience diffère de la notion d’effectivité ou s’il y a interférence. Elle se traduit comme étant « ce qui aboutit à de bons résultats avec le minimum de dépenses ou

548 CHAMPEIL-DESPLATS et E. MILLARD, Op. cit.,p 8.

549

F. RANGEON, Op. cit., p.131

193

d’efforts, etc. »551

. Dans le domaine du droit, l’efficience débouche sur « la rationalisation

de son processus d’application »552

. L’efficience du droit peut aussi se heurter à son efficacité et les deux points de vue ne sont pas toujours conciliables. L’exemple donné par Monsieur Rangeon montre qu’une loi peut nécessiter la mobilisation de moyens importants pour son application et avoir ensuite une quantité faible de résultats (non efficient) bien que qualitativement significatifs à court terme. Mais il rajoute que « les effets d’une

réglementation sont difficilement appréciables à court terme553». D’ailleurs, cela constitue

souvent la base de futurs progrès.

466. Une autre vision apparait avec Kelsen avec la notion d’obligation et de validité. Pour les juristes, la validité possède une double acception554 :

 Stricto sensu : sur le plan de l’idée, une norme juridique est valide si le « sens normatif » est attribué logiquement par la construction même du langage qui donne la forme adéquate à la règle de droit.

 Lato sensu : sur le plan empirique, une norme juridique est valide s’il y a une chance que les activités communautaires se concordent entre-elles, c’est-à-dire que les activités juridiques s’orientent conformément à ces normes édictées. Ayant donc un effet juridique attendu à travers un texte.

467. Le concept de validité empirique (Empirische Geltung) s’oppose à celui de l’effectivité dans les propos tenus par Kelsen dans son ouvrage Théorie pure du droit 555

.

Contre quoi le professeur Alf Ross s’oppose car pour lui, l’obligation n’est pas absolue dans cette validité, il existe une obligation juridique d’obéir à telle ou telle norme mais il n’y a aucune obligation d’obéir au droit pris globalement. Pour lui :

« L’affirmation que, s’agissant d’une norme juridique, valide signifie juridiquement obligatoire est une tautologie. En effet, si une conduite est dite obligatoire lorsqu’une norme prescrit des sanctions en cas de conduite contraire, alors il ne peut pas

551 F. ROUVILLOIS, L’efficacité des normes – Réflexions sur l’émergence d’un nouvel impératif juridique, F.I.P, 2006, p.17.

552

A. BOUVERESSE, Le pouvoir discrétionnaire dans l'ordre juridique communautaire, Editions De Boeck, Bruxelles, 2010, p.484.

553 RANGEON, F., p.129. Op. cit.,

554 Double acception avancé par M. WEBER in M. COUTU, Max Weber et les rationalités du droit, P.U de Laval, 1995, pp 123 s.

555

H. KELSEN, traduit en français par C. EISENMANN, Théorie pure du droit, Editions de la Bruylant – L.G.D.J, 1999. Op. cit.,p. 367

194 y avoir d’obligation d’obéir à la norme qui soit distincte de l’obligation d’adopter la conduite prescrite par la norme.556 »

468. Revenons quelques instants sur les propos de Kelsen, dont le premier concept était que toutes normes juridiques se situaient aux échelons inférieurs dans la « pyramide de Kelsen »557 (1962), c’est-à-dire dans une norme globale hiérarchisée. Ainsi, elle n’est entachée d’aucun vice et est juridiquement valide. Ensuite la norme doit être appliquée et c’est là qu’intervient la deuxième acception. Monsieur Rangeon dit qu’elle « concerne les effets juridiques de la norme - effets conformes à l’intention de ses auteurs - et suppose la reconnaissance, par les destinataires de la règle, de sa légitimité.558 »

469. Il y a une difficulté majeure dans cette conception, car dans son énonciation la norme doit, selon Kelsen, avoir une validité juridique et une effectivité réelle. Elle doit, dans sa formulation même, donner réponse ou action à la dimension sociale. Pour qu’elle soit appliquée, la norme doit primo être valide juridiquement et secundo être socialement reconnue ; ce qui renvoie directement à la question de légitimité. On parle ici d’opinio

juris559 ou de la conviction d’obéir à une règle de droit. Néanmoins, elle est assortie de

sanctions à appliquer à l’endroit de ceux qui la violent.

470. Pour Monsieur le Professeur Carbonnier560, comme l’application des lois est une fonction gouvernementale, leur inapplication signifierait une défaillance. Ce qui serait un non-sens. Mais l’effectivité n’étant pas forcément une notion juridique, elle ne remet pas

556 A. ROSS, Validity and the Conflict between Legal Positivism and Natural Law, Revue Juridique de Buenos Aires, vol. IV, 1961. Traduit en français par E. MILLARD E et E. MATZNER., Alf Ross –

Introduction à l’empirisme juridique, L.G.D.J, Paris, 2002.

557 « La pyramide de Kelsen est une hiérarchie des normes ou un classement hiérarchisé de l'ensemble des normes qui composent le système juridique d'un État de droit pour en garantir la cohérence et la rigueur. Elle est fondée sur le principe qu'une norme doit respecter celle du niveau supérieur et la mettre en œuvre en le détaillant. Dans un conflit de normes, elle permet de faire prévaloir la norme de niveau supérieur sur la norme qui lui est subordonnée. Ainsi, une décision administrative doit respecter les lois, les traités internationaux et la Constitution. » Définition de HERRERA C-M., La philosophie du droit de Hans

Kelsen: une introduction, Presses Université Laval, 2004, p.39. Ou sur le dictionnaire politique La Toupie,

« Hiérarchie des normes ». [En ligne] www.toupie.org/Dictionnaire/Hierarchie_normes.htm (consulté le 17/03/2016).

558

F. RANGEON, Op. cit., p.129.

559 « Exigence subjective qui nécessite une commodité de langage ou d’écriture rendant une chose textuel ou orative obligatoire par son énoncé comme le veut la « coutume » assez mystérieuse de la langue qui enclenche une validité préétablie, l’effectivité est ce sentiment de se conformer à ce qui équivaut à une obligation juridique. » Définition apportée par J. VERHOEVEN, Droit international public, Editions Larcier, 2000, p. 331.

195 en cause la qualification de loi à celle qui reste inappliquée. En conclusion, pour établir l’efficacité d’une loi, on s’attache à son énoncé normatif. Pour cela il y a plusieurs procédés : on peut faire une lecture téléologique recherchant une volonté du législateur, ce qui occasionne une difficulté pratique. On peut se restreindre à la lettre de la Loi parce que le législateur s’exprime sans ambiguïté, mais le législateur est un humain où des erreurs de formulation peuvent subsister. On peut se focaliser sur l’énoncé comme étant le seul moyen de concrétiser l’objectif poursuivi par le législateur. Et dernièrement, pour garantir l’application de cet objectif, il faudrait mettre en place une ou plusieurs institutions chargées de contrôler son application et de sanctionner si l’application n’est pas valable.

471. Nous en concluons que l’efficacité met en jeu les réalités sociale, culturelle, historique et économique. En définitive, l’inefficacité d’une loi est une sorte de maladie qui empêche l’atteinte de son objectif. Nous remarquons que les règles de conflit de compétence sont dépourvues de caractéristiques qui leur permettent d’atteindre leur objectif final. Selon nous, l’efficacité d’une loi résulte de la détermination des faits qu’elle régit et de son objectif à travers un processus adapté.

Paragraphe 2 : Le défaut du rattachement comme conséquence