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Le défaut du rattachement comme conséquence de l'inefficacité des règles des conflits

Conclusion Titre 1

Paragraphe 2 Le défaut du rattachement comme conséquence de l'inefficacité des règles des conflits

472. Le rattachement est un élément important faisant le lien entre les litiges et les tribunaux, seulement Internet a quelque peu chamboulé la notion de rattachement. Le concept de rattachement est paralysé par la nature même d’Internet (A). Par conséquent, il y a une asymétrie entre la nature issue d’Internet et la nature des règles applicables. Ce qui nous amènera à voir l’hypothèse suivante : l’inefficacité relative aux normes appliquées (B).

A. La nature du réseau Internet

473. En réalité, la règle de conflit, qu’elle soit bilatérale ou unilatérale, rattache un rapport de droit à un ordre juridique et étatique. Il y a dans cette méthode, une situation privée qui s’inscrit dans plusieurs États et directement dans un État précis, qu’il convient de choisir. Dès lors, cet État est concerné par des rapports internationaux, si l’une des parties a la nationalité du for par exemple ou si le rapport a un lien avec le territoire du for,

196 lien qui peut toucher une des parties (le domicile, la résidence dite habituelle) ou toucher la juridiction (au stade de la naissance ou de l’exécution). Dans tous les cas, la localisation est étatique, c’est-à-dire rattaché à un territoire national561.

474. En effet, le territoire est un des éléments constitutifs de l’État, au même titre que la souveraineté ou la population. Or, comme le souligne Johanna Guillaumé, chacun de ces éléments est atteint d’une façon ou d’une autre par un affaiblissement562

de l’État-Nation, ce qui a des répercutions directes dans le droit international privé, logé dans un paradigme étatique. Les règles deviennent de moins en moins efficaces car ce lien entre le territoire et les règles de conflits de compétence internationale se dissipe dans ce réseau mondial. Dans un premier temps, il nous faut revenir à cette notion de territoire qui a évolué : d’après Pierre George et Fernand Verger, le territoire est défini comme « un espace géographique

qualifié par une appartenance juridique, naturelle et/ou culturelle »563. Dans cette définition courte, on peut apercevoir la notion de nation, de langue et de coutume lié à la terre à et l’histoire. Voici une autre définition de la notion de territoire :

« Le territoire est une appropriation à la fois économique, idéologique et politique (sociale, donc) de l'espace par des groupes qui se donnent une représentation particulière d'eux-mêmes, de leur histoire.564 »

475. À cela, il y a d’autres définitions qui peuvent s’ajouter car le mot « territoire » peut occuper aussi bien l’espace privé que public : l’endroit que s’approprie une ou des personnes dans un espace en y déposant des effets personnels en guise de possession de territoire. En résulte qu’il n’est territoire que celui conçu par ses occupants au moyen de signes distinctifs (frontières, drapeaux, nationalité…). La matérialité du territoire fait qu’il y a territoire mais cela reste un espace fictif et mental. Malgré la variété de ces définitions, deux caractères principaux ressortent :

476. L’idée de possession : tout territoire appartient à une entité qui exploiter -utiliser les

ressources de cet espace. L’idée de limite, de frontière, à savoir l’idée de ce qui est permis

561

Cf. J. BARBERIS, « Les liens juridiques entre l'État et son territoire : perspectives théoriques et évolution du droit international », Annuaire français de droit international, Paris, volume 45, 1999. p.132s O. CACHARD, Droit international privé, p.2.

562 J. GUILLAUMÉ, Op. cit., p.234.

563 Cf. P. GEORGE et F. VERGER, Dictionnaire de la géographie, P.U.F, Paris, 2009.

564

G. DI MEO (dir.), Les territoires du quotidien, Editions L’Harmattan, Paris, 1996, p. 40. C. PISANI, « L'acte dématérialisé », Arch. Phil. Droit 43, (1999). p.154.

197 dans cet espace et ce qui n’est pas permis en dehors de cet espace. La délimitation physique est importante pour marquer la scission des idées politiques, sociales, économiques ou culturelles565.

477. L’État peut aussi être considéré comme un objet concret de par sa matérialité (frontière, chef d’État, drapeaux, symboles, etc…). L’État a des pouvoirs de nature « réelle », il a un dominium qui donne à chaque portion d’espace sa fonction, son objet juridique avec ses lois, ce qui crée des différences entre chaque État même si toutes sont issues du même concept de domination des territoires. Cependant, le territoire reste une étendue abstraite qui évolue selon les régimes étatiques. Il y a des personnes qui sont soumises à un ordre (impérium), c’est-à-dire un code ou un ordre qui régit les foules. Mais ce pouvoir n’ordonne pas directement le territoire, mais les gens qui le façonnent566

.

478. En résumé, il y a, à travers cette notion de territoire, deux jeux de pouvoir : « L’un étant « domanial » (autorité qui s’exerce sur un territoire) et l’autre étant « impérial » (autorité qui s’exerce sur la population d’un territoire)567

. Dans le premier, l’État a la compétence, dans sa conception, de régir des personnes et des objets qui sont sur un territoire ce qui rejoint la définition du droit international : « aptitude à régir légalement

sur des personnes, des objets et des situations, dès lors qu’il a connivence avec le territoire sur lequel ils sont liés », l’État étant lui-même analogue de son territoire, chose qui n’est

aujourd’hui plus indissociable dans notre pensée : comment un territoire peut-il se comprendre sans État ? C’est effectivement sur son territoire que l’État dispose de sa souveraineté à titre exclusif. La frontière qui délimite l’espace de l’État donne à celui-ci le caractère du pouvoir : jusqu’où il s’étend, à qui il s’adresse en priorité. La frontière constitue donc la garantie pour un État qu’aucun autre État souverain ne vienne empiéter sur son territoire et, par là même, nuire à sa souveraineté. Cela implique deux

conséquences apportées par Madame Johanna Guillaumé568 :

565 K. SEFFAR et K. BENYEKHEF, « Commerce électronique et normativités alternative », University

Ottawa Law and Technologic Journal 3:2, 2006, p 360.

566 J. GUILLAUMÉ, Op. cit., p. 234.

567 E. ORTIGUES, La révélation et le droit: précédé de Lettre à Rome, Editions Beauchesne, 2007, p.136s.

568

J. GUILLAUMÉ., Op. cit., p.232. K. BENYEKHEF, « L'Internet : un reflet de la concurrence des souverainetés » in Lex Electronica 8, n°1, automne 2002. p.4.

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« Tout d’abord, le territoire étatique incarné par des frontières montre les limites physiques de la puissance et des différentes puissances environnantes (la matérialité de la carte est devenu est fait majeur dans la stratégie militaire depuis sa création). La conquête et la maîtrise du territoire ayant toujours été une conséquence des guerres civiles, des conflits internationaux, etc. Ensuite, quand l’État et son territoire sont indéfectiblement liés, quand la nationalité est revendiqué par son peuple, quand l’espace mental devient réalité, il y a une conséquence directe : la population d’un État doit accepter vivre (codes, règles) sur ce territoire étatique et ce pouvoir étatique doit être en mesure de réponde aux attentes du peuple, c’est indispensable pour éviter sa chute. » 479. Guillaumé résume en disant que :

« [L’] État et le territoire sont étroitement liés et représentent ensemble l’élément fondateur de la société internationale569 ».

480. En ce qui concerne le cas d’Internet, l’un des reproches généralement adressés aux législations nationales est leur incapacité à se saisir du phénomène concret, ce qui remet en doute l’efficacité des règles de conflit. Comme dit précédemment, la nature du réseau ne répondant pas aux normes établies, les règles ne semblent pas adaptées en vues des nouvelles situations. En plus de la virtualité, les réseaux font briser les structures habituelles désunissant, ce que souligne le professeur Pierre Sirenelli570, le monde de la communication orale, privée et le monde de la communication audiovisuelle. Pour cela il nous faut définir ce qu’est un cyberespace dans la notion de territoire : Le terme cyberespace est emprunté à un roman de science-fiction que William Gibson écrivit en 1984571. De nos jours, il désigne :

« [Un] lieu imaginaire appliqué métaphoriquement au réseau Internet et dans lequel les internautes qui y naviguent s'adonnent à des activités diverses.572 »

481. Et encore, ce cyberespace est :

« comme un monde parallèle qui s’entrecroise avec son propre monde terrestre, la pure délocalisation à la base de l’approche matérielle en droit international privé est donc très difficile à envisager dans cet espace.573 »

569 J. GUILLAUMÉ, Op. cit., p.236.

570 P. SIRINELLI, L'adéquation entre le village virtuel et la création normative- Remise en cause du rôle de l'État, Editions Kluwer Law International, 1998, p.7.

571 William Gibson, Neuromancer, Editions Ace Books, New-York, 1984.

572

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