2. La dynamique des associations tournées vers les innovations sociales
2.1 La démarche d’autoconstruction accompagnée des Compagnons bâtisseurs
La montée des préoccupations environnementales et sociales en matière d’habitat, de construction, d’architecture et d’urbanisme, s’est accompagnée, comme nous l’avons précédemment constaté, de la création d’un grand nombre d’associations pour lesquelles il apparaît nécessaire de se positionner les unes par rapport aux autres, de se coordonner, voire de se fédérer, de préciser et d’étendre leur rayon d’action.
La dynamique des associations intègre donc des préoccupations spécifiques qui apparaissent nettement dans les analyses qui suivent. La constitution de réseaux d’associations correspond à une nécessité. Elle est aussi d’une certaine façon favorisée par l’essor des technologies de l’information et de la communication.
Les enjeux et les difficultés ne semblent pas les mêmes pour les associations d’institutions et les associations de personnes physiques.
Les associations d’institutions sont fréquemment organisées en réseaux comme le réseau Bâti Environnement Espace Pro (BEEP), réseau national de centres de ressources créé et animé par l’ADEME, la Fédération des agences locales de l’énergie et du climat (FLAME), le réseau de pôles de compétitivité
« bâtiment durable », le réseau inter‐cluster du bâtiment. La constitution de ces réseaux est certainement facilitée du fait du rôle exercé par l’Etat dans la définition, la mise en place et l’évaluation de ces structures.
Cette démarche est plus difficile pour les associations de personnes physiques dont la création ne correspond à aucun schéma préétabli et qui découvrent au fil du temps et des relations qu’elles établissent avec leur environnement institutionnel, la nécessité plus ou moins partagée, de se fédérer après une période de collaboration informelle et d’initiatives dispersées.
2. La dynamique des associations tournées vers les innovations sociales et organisationnelles
2.1. La démarche d’autoconstruction accompagnée des Compagnons bâtisseurs
Presque contemporain des associations Castors, l’ordre international des Compagnons Bâtisseurs a, dès ses origines, mis l’accent sur l’action bénévole en faveur des plus démunis. Fondé au départ sur le partage d’un idéal de charité chrétienne et de réconciliation fondée sur le pardon, les compagnons bâtisseurs ont apporté parfois leur aide à des chantiers Castors, et on peut voir là l’origine de la notion d’autoconstruction accompagnée. Le mouvement s’est laïcisé au cours des années 1970 pour se rapprocher de la philosophie de l’éducation populaire. Ces quelques éléments montrent la place centrale de la culture, certains diraient de l’idéologie, dans l’émergence de ces deux associations. Dès lors que la culture religieuse et les solidarités de classe s’effacent au profit de l’esprit de compétition, de l’individualisme et la référence à la pensée libérale, on peut se demander quelles sont les idées qui sous‐tendent la démarche des compagnons bâtisseurs.
Depuis les années 1980, le développement de l’autoproduction (ou autoconsommation) peut s’inscrire dans une lutte pour la reconnaissance de la place de l’économie non monétaire, cette « économie du rez‐
de‐chaussée » (Braudel, 1979) dont l’importance est très largement sous‐estimée, à tort considérée comme néfaste au secteur marchand de proximité, et finalement bien moins facteur d’inégalités, d’injustices et de nuisances, que les grandes entreprises mondialisées. L’incapacité des politiques de formation à endiguer la montée du chômage et de l’exclusion, l’échec relatif des opérations de réhabilitation de logements sociaux, justifient le développement de l’autoréhabilitation accompagnée comme contribuant au rétablissement de la confiance en soi, à la restauration de liens sociaux, à la réappropriation du logement. L’insertion par l’habitat apparaît dès lors comme un préalable à l’inscription des actions de formation visant l’insertion professionnelle et comme un gage de réussite des politiques de développement économique et social des quartiers. Elle est aussi une réponse à la dégradation des conditions de logement des populations.
Au‐delà des idées, la dynamique de l’association se lit surtout au travers des démarches qu’elle a développées pour rendre opérationnel et crédible le concept d’autoconstruction ou d’autoréhabilitation
accompagnée. Il a fallu convaincre les travailleurs sociaux que l’autoconstruction accompagnée était une solution à des situations d’exclusion et établir avec eux les modalités d’une collaboration. L’histoire de la Familloise racontée par le PADES (Cérézuelle, 2000) révèle les difficultés à surmonter pour accorder et équilibrer les contributions de chacun, sans compter que cette coopération doit être reconsidérée lorsque les travailleurs sociaux sont investis de nouvelles missions comme le suivi du RMI. D’autres collaborations, bien sûr, ont été nécessaires avec les maîtres d’ouvrages, les associations comme le Pact ‐Arim qui jouent un rôle d’assistance à maîtrise d’ouvrage et de maîtrise d’œuvre, pour assurer le bon déroulement des chantiers.
Les évaluations réalisées par le PADES sur le fonctionnement de l’ANCB et de ses associations régionales (Foultier & Rémy, 2007) ont montré la nécessité d’adapter les démarches en fonction de la diversité des situations (propriétaires occupants, propriétaires bailleurs, locataires, maisons individuelles ou immeubles collectifs, milieu rural ou urbain). Elles ont permis de préciser les trois axes de compétence des animateurs techniques ‐ habitat (encadrement technique, animation de projet, travail social) sur lesquels repose leur professionnalité. Il reste à concevoir des formations diplômantes dans l’optique de la reconnaissance et de l’essor de ce métier. S’appuyant sur un chargé d’animation et d’ingénierie de formation, l’association s’est mise en recherche de partenariats techniques nationaux et locaux. A l’exception de la toute nouvelle FEDAC, elle ne peut compter sur l’appui des organisations professionnelles du bâtiment et nous ne voyons guère quel ministère en charge de la formation, serait susceptible de porter un tel projet.
Eu égard à l’importance du programme de réhabilitation énergétique des immeubles collectifs défini par le gouvernement et au rythme trop lent de sa réalisation, les perspectives de développement de l’autoconstruction accompagnée, semblent pourtant réelles. En 2013, l’ANCB a engagé un recensement des différents opérateurs de l’auto‐réhabilitation accompagnée. Compagnons Bâtisseurs Provence et Compagnons Bâtisseurs Rhône‐Alpes, soutiennent l’émergence d’un réseau régional d’opérateurs.
Parallèlement, l’association nationale a rencontré deux opérateurs (dont les Castors) dans les Pays‐de‐la‐
Loire. L’ANCB a prévu de multiplier par dix le nombre de chantiers qu’elle réalise par an et d’augmenter en conséquence, le nombre de ses animateurs techniques et de ses bénévoles ou volontaires.
De nombreux freins subsistent, dont le rapport du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), a permis d’établir une liste où figurent les problèmes de financement, d’assurance des ouvrages, de formation professionnelle. Dans leur communiqué de janvier 2014 inclus au rapport (Berrier, 2014), la CAPEB et la FFB « s'opposent fermement au principe d’ériger l’autoréhabilitation accompagnée comme une voie autonome et généralisable de rénovation énergétique des logements » et demandent que les opérateurs soient soumis aux mêmes obligations de certifications RGE que les entreprises. Elles montrent ainsi leur volonté de s’opposer à l’essor de l’autoconstruction.
Le coût de l’assurance des opérateurs d’accompagnement, les risques financiers résultant de financements publics insuffisants et incertains, les aléas rencontrés par les établissements accordant des prêts sans intérêts (interruption d’activité de la SACICAP)98, pèsent sur l’équilibre financier des associations. Dans ce contexte, L’ANCB a décidé la création d’un fond de dotation « Compagnons Bâtisseurs » entièrement consacré au financement des chantiers d’autoréhabilitation et d’autoconstruction accompagnée. A la suite d’échanges avec le groupe « action thank » initié par l’Ecole des hautes études commerciales (HEC), elle explore différentes voies partenariales qu’il s’agisse d’interventions complémentaires sur un plan économique (par exemple, sur certains chantiers d’auto‐réhabilitation accompagnée –ARA‐, des prestations d’entreprises liées à la performance énergétique), ou de mécénat sous des formes diversifiées, mécénat de compétence ou bénévolat d’entreprises, dons en matériaux et dons financiers.
98 Cf. rapport du CGEDD, op. cit.
Processus d’encastrement social, économique et politique (1/3)
Période Contexte Evolution de l’association
Reconstruction
Processus d’encastrement social, économique et politique (2/3)
Période Contexte Evolution de l’association
Autoréhabililtation, 2012)99 (CGPC, 2008)
coûteuses, rapidement caduques et
99 « Des dépenses considérables ont été engagées dans la rénovation urbaine, mais faute d’une gestion urbaine qui associe les habitants, des cités à peine réhabilitées connaissent les mêmes dégradations qu’auparavant avec l’engrenage des tensions sociales, du vandalisme et de la délinquance. Le comité d’évaluation et de suivi de l’ANRU ainsi que le Conseil Général des Ponts et Chaussées ont mis en garde contre les risques d’échec qui proviennent d’un souci trop exclusif pour des opérations physiques sur le bâti, dont se satisfont les entreprises, en négligeant le volet social. On commet les mêmes erreurs extrêmement coûteuses du passé. Pourtant, la preuve est faite qu’il est possible de rompre le cercle vicieux par des politiques appropriées de gestion urbaine. ».
Processus d’encastrement social, économique et politique (3/3)
Période Contexte Evolution de l’association
Période récente En 1996, la circulaire Périssol interdit 2012)100 : Ouverture des conditions d’accès
aux aides de l’ANAH. Résurgence de la
135 volontaires accueillis en 2013 (+ 14 %).
Projet de tripler en deux ans, le nombre de
100 Fin 2012, la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (loi ALUR) intègre une nouvelle disposition législative concernant la création de sociétés d’autopromotion et de coopératives d’habitants. Concernant cette nouvelle entité coopérative, les Compagnons Bâtisseurs associés à Habicoop ont porté auprès des législateurs une proposition d’amendement consistant à autoriser la valorisation de l’apport travail dans la constitution du capital social de la coopérative. Un 2ème amendement, plaidé par les CB auprès des rapporteurs du projet de loi, concernait directement l’ARA et son inscription dans le code de la construction, comme mesure finançable par l’ANAH. Ainsi, la loi ALUR adoptée le 24 mars 2014, intègre ces deux amendements qui ouvrent un champ nouveau sur le terrain législatif en matière d’auto ‐réhabilitation et d’auto‐construction en direction des personnes très modestes.
Processus de professionnalisation des « Compagnons bâtisseurs »
Période Contexte Avancées
L’autoréhabilitation professionnalisation des volontaires101.
L’autoréhabililtation
101 L’association Compagnons Bâtisseurs Aquitaine (CBA) emploie actuellement 15 salariés permanents ; une directrice, une directrice adjointe en charge de l’Habitat et une autre en charge de l’Insertion par l’Activité Économique et de la formation, six animateurs techniques, cinq coordinatrices sociales (CESF Conseillère en économie sociale et familiale et ASP –Accompagnatrice socio professionnelle), une assistante de gestion.