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La culture, essentielle mais délicate à manier

Dans le document Le changement de la culture d’entreprise  (Page 120-125)

3 – Nos enseignements et de nouvelles pistes de réflexion « Le monde entier est un théâtre, et tout le monde, hommes et femmes y sont acteurs »,

3.1 La connaissance de la culture, prérequis indispensable au changement stratégique

3.1.1 La culture, essentielle mais délicate à manier

Si elle est essentielle, elle reste extrêmement délicate à manier car elle est profondément identitaire et ne se décrète pas. Combien de salariés, pourtant licenciés, restent attachés à leur entreprise ? Combien de fusions inachevées parce qu’elles ont provoqué des clivages ? Effectivement, nous rejoignons R. Sainsaulieu, l’entreprise « communalise » : par la vie collective, elle apporte un cadre de références individuel pour un sens commun. C’est ainsi que le PMU a dû modifier le nom de son chantier «« hommes et culture » en chantier « transformation » car le mot culture était mal vécu par un certain nombre de collaborateurs qui ont pu avoir l’impression que l’on allait remettre en cause leur parcours, leur identité, leur histoire au sein de l’entreprise.

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Délicate à manier aussi car l’entreprise présente des sous-cultures et qu’un projet de changement doit tenir compte d’une multitude de paramètres. Il n’y a pas de « one best way » car la culture d’une entreprise repose sur l’unicité de son paradigme, capable de lui procurer son avantage concurrentiel.

3.1.1.1 Notre représentation systémique de la culture organisationnelle

Faire connaître ce qu’est la culture, vulgariser en quelque sorte, nous a conduit à un besoin de description, certes réductrice, mais elle présente l’intérêt de mettre en évidence sa nature vivante et ses composantes parfois oubliées :

La culture fait référence à trois temporalités

- le passé est souvent cité en référence aux fondateurs, à la raison d’être historique, aux échecs ou aux succès qui ont marqué l’entreprise. Le passé fonde des croyances, bénéfiques à la performance ou destructrices en cas de dérive stratégique (cas Kodak). - le futur intervient pour prôner les valeurs retenues par la stratégie, mais aussi pour

donner le sens à l’action. Pour être crédible et appropriée, loin de la simple prescription, cette vision doit être perceptible dans le quotidien : alignement, exemplarité et force de conviction des dirigeants (régulation de contrôle) peuvent alors générer la coopération des acteurs (régulation autonome).

- mais la référence au présent s’efface parfois. Et pourtant, c’est bien dans cette temporalité là que la culture se révèle vraiment, dans les fonctionnements du quotidien, dans la vraie vie et non sur les murs, l’intranet ou les sites web. Connaître sa culture réelle requiert un exercice de diagnostic validé par les salariés eux-mêmes, étape préalable susceptible d’ailleurs de déclencher, par la simple prise de conscience, les premiers effets de changement.

Rejoignant l’idée de Luc Boltanski, l’entreprise devient « étendue », de plus en plus perméable à l’environnement

Les cultures nationales, les cultures sectorielles, les cultures métier se mêlent au terrain né de l’histoire. Pour l’entreprise, renforcer sa culture, c’est aussi accepter voire même « capitaliser » (au sens des actifs de l’entreprise) sur la diversité.

Le point central se trouve au cœur de notre représentation

La culture vit, elle tend vers les valeurs stratégiques, elle évolue au gré des événements, renforçant ou appauvrissant, selon les moments, ainsi son socle : ses valeurs et croyances fondatrices. En mouvement permanent, elle peut donc changer. Mais le véritable changement ne s’opère que dans l’action réelle, dans la transformation des relations aux autres qui modifiera le construit social, autrement dit l’organisation. Là encore, la référence au présent est primordiale parce que c’est là que se concrétise le changement et que la boucle vertueuse fondée sur la coopération peut s’enclencher.

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Figure 31 - Notre représentation systémique

3.1.1.2 Notre représentation des variables culturelles

Outre ses composantes, la culture présente des caractéristiques ou variables culturelles. La confrontation de notre observation empirique aux travaux théoriques, nous a permis de proposer une représentation sur laquelle pourrait reposer toute connaissance de la culture, prérequis de l’initiation du changement.

Pour cela, nous nous sommes appuyés sur des travaux théoriques. En 1961, deux chercheurs, F. Kluckhorn et P. Strodbeck136 ont mis en avant quatre caractéristiques des valeurs culturelles : le rapport à la nature, la relation au temps, l'attention portée à la personne et aux tâches, la relation aux autres, approche que nous avons croisée avec les conclusions des travaux d'Hofstede137.

Le fruit de cette analyse nous a permis de dégager notre propre représentation des variables qui composent une culture :

- Relation au temps (poids du passé, rythme, monochronie/polychronie).

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KLUCKHORN F., STRODBECK P., Variations in value orientations, Roww, Peterson & Co, 1961

137 HOFSTEDE G., Culture’s consequences, 2ème

édition, Sage, 2001 Valeurs déclarées Valeurs fondatrices FUTUR - Orientation stratégique ACTUEL - Forme de l'actionnariat - Marchés - Métiers PASSE - Histoire

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Bien évidemment, la culture est empreinte de l'histoire, le passé influence donc le présent et le futur. Au-delà de cette dimension, d'autres aspects interviennent ; le secteur d'activité, les attentes des actionnaires donnent le rythme à l'activité quotidienne. Dans une logique séquentielle, chaque acte a son temps et chaque temps est réservé, le temps est maîtrisé, compté. Dans une logique synchronique on peut faire des choses en parallèle, s'interrompre et recommencer quand d'autres hypothèses sont confirmées. Dans cette approche, le temps est lié aux événements plus que subi par les impératifs d'un planning.

- Relation à la nature (respect des éléments naturels)

La nature et l'environnement prennent une place importante, renforcée par la conscience écologique, jusqu'à parfois en faire son fonds de commerce. Nous pouvons observer trois positions d'entreprise : la domination, fréquente dans les entreprises occidentales, a pour objet de maîtriser ou de transformer la nature ; l'harmonie favorise une approche de composition, d'écoute et de respect de la nature ; la subordination, plus présente dans les sociétés africaines ou asiatiques, préfère une activité humaine dictée par la nature.

- Rapport au monde (ouverture, rationalité, altérité, y compris féminité/masculinité)

Dans cette dimension se joue son degré d'égocentrisme : parfois, l'organisation oriente ses préoccupations sur ce qui se passe en interne, oubliant de regarder le client, le fournisseur estimant, par idéologie, que ces produits ou son modèle sont bons.

Cette dimension raisonne aussi en interne quand il s'agit de l'intérêt pour la personne : une organisation « ouverte » donne alors une place à la confiance et au lâcher prise dans la mesure où elle admet une part émotionnelle, le désir et plaisir au travail de façon détendue, dans une attitude neutre sans se laisser affecter. Cette capacité d'ouverture donne un important avantage concurrentiel car elle favorise la créativité et impose un réel assouplissement.

- Relation à l'innovation (niveau de risque, confiance)

Il y a des entreprises plus entreprenantes que d'autres. Très en lien avec la variable d'ouverture au monde, elle s'identifie à partir de sa capacité à créer des produits, des relations nouvelles où le droit à l'erreur est de mise. Les entreprises gestionnaires agiront avec ordonnancement et prévision, tandis que les « intrépides » tenteront des expériences évaluées a posteriori. Mais, bien plus caractéristique, il y domine une faculté de rebondir sur les échecs plutôt que de les enregistrer comme des traumatismes.

- Relation à l'individu (orientation individuelle ou communautaire)

Les cultures orientées vers l'individuel mettent en avant la performance individuelle, la réalisation de soi, le travail bien fait, la prise d'initiatives, la décision prise seul et le leadership charismatique auquel revient le rôle de fédérer le groupe, mais aussi la concurrence entre les hauts potentiels et l'indépendance d'actions qui va de pair avec la liberté d'organiser son travail. Dans les cultures communautaires, les ententes sont d'une autre nature : sens de l'équipe, participation à des objectifs communs, attention portée aux objectifs de l'autre et au consensus. La communication orale est forte et chacun prend garde à l'effet qu'il peut produire sur l'autre. La réussite et l'échec sont vécus comme collectifs et l'on tente peu de rechercher les « coupables ».

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- Rapport au pouvoir (à la règle et au système d'ordre)

L'homme peut aimer se mesurer à l'aune de son pouvoir : la taille de son territoire, le nombre de personnes qu'il dirige, le statut qu'on lui reconnaît, le prestige que sa fonction lui confère, entre autres exemples. Même s'il y a des façons propres à chacun, l'entreprise montre globalement un style que l'on décrypte à travers la manière dont sont utilisées les structures, au sens de la responsabilité et de la délégation conférée aux collaborateurs, à l'importance donnée aux statuts ou aux diplômes, aux moyens de rétributions/sanctions. Cette caractéristique donne une teinte plus ou moins centralisatrice ou, inversement, démocratique à l'organisation dont le style est fortement influencé par les dirigeants.

Figure 32 - Notre représentation des variables culturelles

Si les combinaisons de ces variables donnent lieu à des dominantes culturelles, il nous semble essentiel de retenir que la cohabitation des variables s’accroît dans les entreprises actuelles. Qui plus est, notre approche systémique montre que ces variables vivent, ce qui conduit à la reconnaissance d'une vision multiculturelle et à une conception nouvelle de l'art de diriger, l’art de mettre en harmonie les notes de l’organisation pour en faire une symphonie. Revenons aux définitions étymologiques : organiser, c’est « disposer de manière à rendre apte à la vie ».

3.1.1.3 Les risques d’un projet de changement culturel délibéré

Un projet de changement culturel touche les individus, et leur engagement. L’exercice est donc sensible et mérite une attention particulière, notamment à propos de quelques risques que nous avons identifiés :

- Ne pas avoir identifié la culture adéquate aux orientations stratégiques (pertinence, faisabilité),

- Ne pas avoir vérifié les conditions d’acceptabilité de la culture par toutes les parties prenantes internes et externes,

- Penser que la culture se décrète et qu’elle change par le seul fait d’un projet d’entreprise bien communiqué. A contrario, la communication du sens donné à l’action est essentielle en appui des autres actions,

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- Négliger l’effort sur les conditions de création d’une coopération vertueuse : impulsion des dirigeants et autonomie des acteurs,

- Ne pas avoir mené le bon diagnostic de la culture actuelle : bien la connaître repose sur une méthodologie rigoureuse tel que préconisée par Maurice Thévenet : des mois d’observation et d’analyse et une confrontation d’hypothèses auprès des collaborateurs, - Le changement se concrétise dans les relations aux autres : ne pas impliquer toutes les parties prenantes, donc le corps social quel que soit son statut, sa fonction, sa représentation dans l’organisation,

- Compter sur des résultats rapides et une uniformité de l’adhésion : il est fort probable que des actions ponctuelles et ciblées porteront des effets en facilitant une diffusion « naturelle » puisqu’il s’agit de culture,

- Ne pas avoir intégré les différences de rationalités et de logiques : il ne s’agit surtout pas de vendre une pensée unique lors d’un changement, mais de favoriser un construit social dans lequel les parties prenantes se retrouvent même quand elles détiennent des objectifs différents,

- Ne pas mettre en place un observatoire du changement afin de fêter les succès, gérer les tensions et adapter les actions.

3.1.2 La dérive stratégique, imperceptible, probablement due aux

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