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La culture est-elle prise en compte dans la stratégie ?

2 Comment nos entreprises ont-elles répondu à la question ?

2.2.1 La culture est-elle prise en compte dans la stratégie ?

Si les directions générales des entreprises observées s’accordent à déclarer, de façon plus moins explicite, parfois en référence à leurs propres expériences, que la culture doit être prise en compte lors de l’élaboration de projets stratégiques, il n’en est pas de même lorsqu’il s’agit de décrire une mise en œuvre concrète. Nous percevons une primauté du chiffre, à la rationalité économique imposée pour le groupe ou par les pairs, notamment dans des environnements à dominante masculine.

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Nos interlocuteurs dans les directions se réfèrent aussi à des éléments qui relèvent plus du climat social que de la culture d’entreprise en tant que telle : « développer un sentiment d’appartenance grâce à des évènements conviviaux », etc.

L’éloignement, géographique et culturel, entre les décideurs ultimes et la direction opérationnelle ne favorise pas la prise en compte d’une culture d’entreprise pas toujours bien comprise lors de la conception de la stratégie. Avec les structures divisionnalisées à l’échelle mondiale et un patron dématérialisé, les directions générales-pays ne sont-elles pas simplement un niveau supplémentaire du management de proximité ? Qui décide vraiment ? (cas Sidel et Chubb France). Avec une organisation éclatée en une myriade de points de décision, couplée à une gouvernance floue, comment le déploiement stratégique peut-il être réfléchi et exercé réellement ? (cas Système U)

En revanche, dès que l’on aborde le sujet auprès d’autres membres du comité de direction, leur approche sera tout naturellement teintée des réflexes de leur métier : lorsque l’on parle culture, le directeur marketing parlera de « valeurs de la marque ». Lorsque l’interlocuteur est à l’aise dans son domaine d’expertise alors oui, la culture, telle qu’elle est définie dans ce cadre particulier, est prise en compte. Mais s’agit-il vraiment de culture d’entreprise dans l'intégralité de son concept ? (Système U)

Le DRH n’échappe pas à la règle : sa vision sera fortement orientée par le climat du collectif, la nature des relations sociales. Il est souvent celui qui fait le lien névralgique entre culture et stratégie, qui incarne ce lien, et à ce titre c’est aussi dans cette fonction que l’on retrouvera les symptômes d’un écart entre la prise en compte déclarative de la culture dans l’élaboration de la stratégie et la réalité de l’organisation et du collectif. Exemple : le DRH écartelé entre « le temps des actionnaires » et « le temps social », tel projet était pensé pour durer 3 mois, 6 mois tout au plus, mais bloqué par les représentants du personnel, celui-ci n’est toujours pas finalisé deux ans plus tard.

Les représentants du personnel considèrent d’emblée que la culture de l’entreprise n’a pas été prise en compte par la direction générale dans l’élaboration de la stratégie. On peut apporter au moins trois explications à cela :

- D’une part, la définition de la culture d’entreprise n’est pas la même pour les différentes parties prenantes : les représentants du personnel vont parler soit de climat social, soit de la culture d’entreprise vécue ou imaginée de « l’âge d’or » (en corrélation avec un mythe fondateur).

- D’autre part, les représentants du personnel, parce que la réflexion sur le projet stratégique n’a pas été partagée en amont, n’ont que la vision de la mise en œuvre de celui-ci, avec toutes les difficultés du quotidien que cela implique, sans forcément avoir connaissance du diagnostic de départ et du cheminement de la réflexion qui a mené à la conception du projet.

- Enfin, cette asymétrie informationnelle sur la genèse de la stratégie pousse les représentants du personnel à faire valoir leur zone d’autonomie et de pouvoir, dans le sens que lui donne Michel Crozier. Ils se targueront ainsi de connaitre « le terrain, ce qui se passe vraiment », en opposition aux dirigeants « qui ne voient rien dans leur tour d’ivoire ».

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Pour conclure sur cet aspect, les entreprises observées (Sidel, Chubb) font état d’une prise en compte de la culture d’entreprise lors de la mise en œuvre de la stratégie, dans le cadre du management stratégique. Est-elle réellement prise en compte lors de la conception de celle-ci ? La réponse n’est pas évidente et n’ayant pas accès aux concepteurs, nous ne sommes pas en mesure d’y répondre. Il semblerait cependant que la stratégie serait la plupart du temps d’abord pensée avec pour seuls prismes d’analyse les données relevant de l’activité, suivant la logique selon laquelle la manière dont on va diagnostiquer un problème orientera les solutions choisies pour le résoudre130, pour qu’ensuite la culture d’entreprise soit abordée dans le cadre, voire comme un moyen, de la mise en œuvre.

Cependant, le cas de Système U est particulier, inverse à la conclusion précédente : en effet, les principes d’élaboration de la stratégie commerciale (binomat/consensus) conduit, de fait, à la prise en compte de la culture du magasin. En revanche, le déploiement fait appel à d’autres parties prenantes, essentiellement les centrales régionales et leur propre organe de direction : sans alignement, notamment culturel, le déploiement s’avère inégal, parfois même inexistant.

Les difficultés apparaissent pour toutes les entreprises observées lorsqu’il s’agit de définir la culture d’entreprise : celle-ci est le plus souvent prise en compte de manière partielle, à l’aune des intérêts réels ou perçus, et des antécédents (métier, expériences vécues) des parties prenantes.

Ces premières conclusions appellent la question suivante : la prise en compte de la variable « culture » dans un projet stratégique ne devrait-elle pas au préalable nécessiter une définition de celle-ci, connue et partagée par toutes les parties prenantes ?