• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1 : L’adolescence et les difficultés rencontrées

1.2 La crise d’adolescence et ses remaniements psychiques

La crise d’adolescence telle que nous en entendons parler de nos jours est devenue un véritable phénomène sur lequel bon nombre de personnes s’interrogent, que ce soient les professionnels travaillant avec les adolescents (psychologues, éducateurs, médecins, etc.) mais aussi les parents, les familles, les médias, la politique, etc. Par conséquent, les explications théoriques de cette crise divergent et ne sont pas unanimes, ce qui ne facilite pas notre compréhension du phénomène.

Rappelons pourant que, dès le début de sa vie et jusqu’à l’adolescence (et même après), l’individu passe par plusieurs crises qui participent à sa maturation et témoignent

d’une évolution développementale ; leur absence peut même être considérée comme pathologique.

De manière générale, la crise dépend autant de facteurs internes (psychiques) qu’externes (environnementaux) et son évolution est variable.

Plus précisément, en ce qui concerne l’adolescent, cette crise est qualifiée de crise juvénile et certaines théories, d’orientation structurale, s’accordent sur le fait que « le fonctionnement psychique et plus encore les expressions psychopathologiques observées à cet âge sont sous l’étroite dépendance des remaniements psychiques liés à l’émergence pubertaire » (Marcelli et Braconnier, 2004, p.37).

1.2.1 Les différentes approches de cette « crise »

Selon Mâle (1982), la crise juvénile simple, c'est-à-dire sans complications pathologiques, représente une phase très féconde signifiée par une véritable mutation de l’adolescent, un « remaniement spontané de l’individu » (Marcelli et Braconnier, 2004, p.43). Cette phase serait adaptative car elle permettrait au sujet d’émerger du monde protecteur et protégé de l’enfance, malgré une évolution souvent difficile, longue et perturbée. L’auteur distingue néanmoins de cette phase, la crise pubertaire (environ de 10 à 16 ans chez les deux sexes) caractérisée par un doute quant à l’authenticité de soi et celle de son corps et par l’intervention de la tension génitale ou de la masturbation ; de la crise juvénile proprement dite suivant la crise précédente et pouvant durer variablement jusqu’à l’âge de 25 ans et plus. Elle serait alors marquée par un ensemble d’attitudes et comportements mais également par la survenue possible de divers troubles.

Dans une compréhension psychosociale de cette crise d’adolescence, le psychanalyste E. Erikson (1968) propose de la concevoir autour du concept d’Identité. Pour lui, l’adolescent étant pris dans une véritable recherche identitaire, il peut parfois être confronté à une « confusion de cette identité » qui se signalerait par une difficulté, voire une incapacité à s’engager dans des choix lorsqu’il se trouve confronté à une série d’expériences. Ceci rejoint la conception développementale présentée plus haut. Toutefois, Erikson explique que cette confusion identitaire serait en fait l’aggravation pathologique d’une « crise d’identité » propre à cette période de la vie. Cette dernière serait l’expression de la quête identitaire inévitable à l’adolescence ; le jeune se trouvant confronté à un avenir immédiat dont il doit faire le choix

et surtout, les changements pubertaires s’imposant à lui et lui conférant de force une nouvelle place dans un nouveau monde (celui de l’adulte) le conduisent à l’acceptation d’une maturité personnelle et sexuelle longue et délicate à élaborer et à accepter.

En revanche, d’après Marcelli et Braconnier (2004), l’introduction du concept de rupture parait indispensable à la compréhension des fonctions psychologiques et psychopathologiques de la crise d’adolescence ; ils orientent alors plus leur conception sur cette compréhension que sur simplement une description clinique de cette crise comme nous avons pu le voir. En effet, pour eux, « les différents types de crise ne sont que l’expression manifeste des ruptures sous jacentes » (p.52). La rupture à cette période de la vie est relativement caractéristique : rupture d’avec le monde enfantin, rupture de la dépendance parentale, rupture d’avec le corps de l’enfance, etc. Et ces différents ruptures s’expriment alors par des états de crise permettant à l’adolescent de remanier mentalement ces différents évènements conflictuels afin d’aboutir « à un nouvel état de stabilité » autant dans son monde externe que dans son monde interne (psychique).

1.2.2 Le remaniement des instances psychiques

Selon l’approche freudienne, la crise d’adolescence renvoie à « un conflit de développement » (Nagera, 1969) vécu et ressenti par tous les adolescents à différents degrés. Les psychanalystes insistent sur le terme de crise car l’adolescent se trouve dans une complète réorganisation psychique dans laquelle il « vit des changements, des contradictions, des conflits dont l’évolution est ouverte : ils peuvent déboucher sur une déception traînante (due à l’écart entre la réalité et le désir inconscient de l’adolescent de cette « nouvelle vie »), ou au contraire sur une quête progressive de soi-même » (Marcelli et Braconnier, 2004, 49).

Cette réorganisation psychique s’ordonne alors sur le remaniement des instances psychiques de la deuxième topique freudienne ; l’équilibre psychique et l’avenir de l’adolescent dépendant ainsi de la mise en place harmonieuse de ces instances.

Le Ça : est le support des pulsions sexuelles et agressives et subit un changement quantitatif au cours de la préadolescence. L’adolescent connaissant un accroissement des émois instinctuels, il se retrouve facilement envahi par ces pulsions pouvant alors expliquer en partie l’augmentation des conduites agressives, voir délinquantes.

Le Surmoi : se constituant par l’intériorisation des exigences et des interdits parentaux pendant la période de latence, sa fonction est à la fois de juger les pulsions pouvant perturber significativement le Moi et de les censurer et ainsi de protéger le Moi de ces pulsions. A la puberté, le Ça met à rude épreuve le Surmoi, les relations de ce dernier avec le Moi étant alors modifier, qui se trouve ainsi affaibli par l’accès à la maturité sexuelle.

L’Idéal du Moi : issu du narcissisme et des identifications aux parents, à leurs idéaux et aux idéaux collectifs, cet Idéal du Moi constitue un modèle auquel le sujet doit se conformer. Il représente une instance régulatrice du narcissisme et joue alors un rôle important à un moment où ce dernier est fortement fragilisé. L’adolescent recherche à conforter son narcissisme et par delà, son estime de soi, ébranlée par l’attaque contre les figures identificatoires (parentales) à travers cet Idéal du Moi. Cette recherche se porte essentiellement et provisoirement sur un idéal collectif permettant à l’adolescent de rejeter les idéaux parentaux pour s’en créer de nouveaux, le groupe représentant alors un médiateur rassurant. L’Idéal du Moi nouvellement acquis dépend alors de la qualité des images parentales et de l’issue de la crise d’adolescence.

Le Moi : en tant que médiateur entre les exigences contradictoires du monde extérieur, du Surmoi (désormais intériorisé) et des pulsions du Ça, utilise à l’adolescence de nouveau mécanismes de défense, contre l’excitation interne et pour se protéger. Ils sont en effet nécessaires au maintien de l’équilibre psychique, mais s’ils sont utilisés de manière excessive ou inadéquate, ils peuvent avoir des effets négatifs. Ces mécanismes sont essentiellement « l’humour », « l’ascétisme » (rejet massif du corps) et « l’intellectualisation ».

Ces différentes conceptions de la crise chez l’adolescent, en particulier la conception psychanalytique que nous venons de voir, nous permettent de conclure que cette crise adolescente est le témoin extérieur des remaniements psychiques qui se mettent en place comme le souligne A. Freud (1984) ; en d’autres termes, ce que montre bruyamment cette crise trahit en fin de compte un « processus » interne.