• Aucun résultat trouvé

La coopération entre juvéniles

II. MEMOIRE

3. La coopération

3.2 La coopération entre juvéniles

Pendant la vie de famille, les interactions

comportementales entre juvéniles sont

généralement considérées comme étant de nature compétitives et aller jusqu’au combat létal (Mock & Parker, 1997). De ce fait, il est traditionnellement admis que les seuls bénéfices que les juvéniles reçoivent des interactions familiales viennent des soins prodigués par leurs parents et donc que ces soins constituent le promoteur principal de l’évolution de la vie de famille du point de vue des

descendants (Clutton-Brock, 1991; Klug et al., 2012; Royle et al., 2012). Pourtant, la coopération entre descendants est un phénomène commun, voire obligatoire, chez de nombreuses espèces animales. Chez certains oiseaux et poissons, par exemple, les descendants devenus adultes restent avec leurs parents et les aident alors à élever la nouvelle génération en prodiguant des soins à ces derniers – une forme de coopération envers des frères/sœurs alors à l’état d’œufs et de juvéniles (cooperative breeding; Hatchwell & Komdeur, 2000; Cant, 2012; Zöttl et al., 2013). Dans les colonies d’insectes eusociaux telles que les fourmis ou les termites, les ouvrières/ouvriers adultes sont les seul(e)s responsables du développement du couvain produit par la mère et expriment donc des formes de coopération envers leurs frères/sœurs alors à l’état d’œufs et de larves (Wilson, 1971; Bignell

et al., 2011). De façon intéressante, quelques études montrent aussi que la coopération sous

forme d’échanges de nourriture peut être exprimée de juvénile à juvénile (Forbes, 2007; Roulin & Dreiss, 2012). Cette forme de coopération se retrouve dans les familles de la chouette effraie Tyto alba, chez qui les juvéniles partagent les proies apportées par les parents en usant de méthodes de négociations vocales sophistiquées (Roulin et al., 2000, 2016; Johnstone & Roulin, 2003; Dreiss et al., 2010, 2016). Elle se retrouve aussi chez la mouette rieuse Chroicocephalus ridibundus, chez qui les juvéniles coordonnent leur demande de nourriture envers les parents et arrivent ainsi à obtenir un meilleur investissement parental (Mathevon & Charrier, 2004). Enfin, la coopération entre juvéniles a été démontrée chez le Fou à pieds bleus Sula nebouxii, un oiseau chez qui les juvéniles dominants peuvent laisser un accès à la nourriture à leurs subordonnés (alors que le cannibalisme entre juvéniles est fréquent chez cette espèce) et limite ainsi les coûts potentiellement associés à l’expression d’une compétition agressive pour ces derniers (Anderson & Ricklefs, 1995).

Les quelques exemples de coopération entre juvéniles reportés plus haut sont importants, car ils révèlent que les interactions entre juvéniles ne sont pas uniquement coûteuses et risquées pour ces derniers. Mais ces exemples viennent tous d’espèces altriciales chez qui les juvéniles sont peu mobiles et ne peuvent pas survivre en l’absence des

 Falk J, Wong JWY, Kölliker M & Meunier J (2014). The American Naturalist, 183(4),

547–557.

 Kramer J, Thesing J & Meunier J (2015).

Journal of Evolutionary Biology, 28(7), 1299– 1308.

 Kramer J & Meunier J (2016). Behavioral

Ecology, 27(2), 494–500.

 Körner M, Diehl JM & Meunier J (2016)

parents. On peut donc se demander si la coopération entre juvéniles est 1) un phénomène qui a émergé après que la vie de groupe soit devenue obligatoire afin de limiter les coûts de la vie de groupe pour des juvéniles obligés de vivre avec leurs frères et sœurs (comme dans les systèmes altriciaux ou eusociaux) ou au contraire, si elle a est 2) un processus ancestral qui a pu favoriser les premières étapes de l’évolution de la vie de famille en apportant des bénéfices complémentaires (c’est-à-dire des bénéfices additionnels aux soins parentaux) aux juvéniles faisant le choix de rester en famille. Démêler ces deux scénarii évolutifs est primordial si l’on veut mieux comprendre les mécanismes favorisant l’émergence et le maintien de la vie de famille, et plus généralement l’évolution de la vie sociale.

Une manière de démêler ces deux scénarii évolutifs est de chercher si les juvéniles peuvent coopérer dans les espèces où ils ont la capacité de quitter le nid précocement et de survivre en l’absence des parents, comme c’est le cas chez le forficule européen.Entre 2014 et 2016, nous avons donc conduit une série d’expériences afin 1) de déterminer si la coopération entre juvéniles était présente chez le forficule européen et 2) de mieux comprendre les facteurs potentiellement responsables de son niveau d’expression. Nos études se sont principalement focalisées sur l’échange de nourriture, puisque c’est la forme de coopération entre juvéniles la plus connue dans la littérature (mais chez les oiseaux, voir plus haut). Notre première expérience avait pour but de révéler si oui ou non les juvéniles échangeaient de la nourriture entre eux, et si les contacts avec la mère ou simplement sa proximité pouvaient affecter cet échange (Falk et al., 2014). Pour ce faire, des groupes de quatre juvéniles ont été rassemblés de sorte à avoir 3 donneurs (avec le contenu de leur tractus digestif expérimentalement coloré en vert – voir Figure 15) et 1 receveur (avec le tractus digestif vide) par groupe. Pour chacun de ces groupes, la mère des juvéniles (avec le tractus digestif vide) était soit mise directement avec eux, soit mise derrière une grille permettant des échanges chimiques mais non tactiles avec les juvéniles, soit mise dans une autre boite et sortie de l’expérience. Au bout de 24 heures, nous avons déterminé pour chaque groupe si le receveur était devenu vert, c’est-à-dire s’il y avait eu un transfert de nourriture de la part des juvéniles donneurs. Nos résultats montrent que des transferts de nourriture ont bien eu lieu dans tous les groupes, mais que ces transferts représentaient 30% des individus testés lorsqu’il y avait des contacts avec la mère, 85% lorsqu’il n’y avait aucun

(a) (b)

Figure 15 |Un juvénile de 1er stade larvaire (a) avec une coloration naturelle et (b) après avoir consommé de la nourriture verte. La coloration du tube digestif se fait en donnant aux juvéniles des boules de pollen mélangées à un colorant alimentaire bleu – ce qui lui donne une couleur verte. Les individus colorés (donneurs) peuvent être mis en contact avec d’autres individus non-colorés (receveurs) pendant 24h. Au bout de ce laps de temps, il est alors possible de voir (à l’œil nu ou avec l’aide d’une loupe binoculaire) si les receveurs sont devenus verts et donc s’il y a eu un échange de nourriture (Staerkle & Kölliker, 2008).

contact tactile avec la mère, et enfin 70% lorsque la mère était totalement absente (Figure 16A)(Falk et al., 2014). En conclusion, nous pouvons dire que la nourriture acquise par les juvéniles est transmise à d’autres juvéniles chez cette espèce, que cet échange de nourriture intervient en présence et en l’absence de la mère, mais aussi que des contacts directs avec la mère tendent à limiter la fréquence de ces échanges.

Notre deuxième expérience avait pour but de déterminer si cet échange de nourriture pouvait être un processus passif qui s’opère par la consommation des fèces produits par les autres juvéniles et/ou s’il s’agissait d’un processus actif, comme la trophallaxie (Suárez & Thorne, 2000; Staerkle & Kölliker, 2008), qui implique des échanges directs entre les juvéniles. Dans ce but, des juvéniles receveurs ont été isolés dans des boites qui contenaient soit des fèces colorés produits par d’autres juvéniles les jours précédents, soit des juvéniles donneurs (avec le contenu de leur tractus digestif coloré en vert), soit rien. Vingt-quatre heures plus tard, nos résultats montrent que près de 75% des juvéniles ayant uniquement accès aux fèces sont devenus colorés, que 90% de ceux ayant été en contact avec des donneurs sont devenus colorés, mais qu’aucun de ceux ayant accès à aucun des deux précédents traitements ne se sont colorés (Figure 16, Falk et al., 2014). Ainsi nous pouvons conclure que le transfert de nourriture entre juvéniles peut se faire (au moins en partie) sans contact direct entre les deux individus au travers de la consommation de fèces, mais que le niveau de ce transfert augmente lorsque les individus ont la possibilité d’avoir un contact avec d’autres juvéniles.

Nous avons enfin réalisé une troisième expérience afin de comprendre comment et pourquoi les contacts entre juvéniles pourraient favoriser le transfert de nourriture. Chez les

Figure 16 |Pourcentage de groupe expérimentaux dans lesquels le juvénile receveur est devenu coloré après avoir été (A) en contact avec leur mère (Maternal interactions), proche de leur mère mais sans contact avec elle (maternal presence) ou sans leur mère (maternal absence) ; et (B) seul (control), en contact avec des fèces de juvénile colorés (colored feces) ou en contact avec des juvéniles colorés (colored nymphs) (B). Les lettres différentes illustrent P < 0.05. D’après Falk et al. (2014).

insectes, trois comportements sont principalement connus pour permettre l’échange de nourriture précédemment ingérée entre deux individus. D’abord, la trophallaxie stomodéale qui est un transfert par contacts bouche-bouche. Ensuite, la trophallaxie proctodéale qui est un transfert par contacts bouche-anus. Enfin, l’allo-coprophagie, qui consiste à consommer les fécès produits par les membres du groupe. Pour tester l’expression et l’importance relative de ces différents comportements sur l’échange de nourriture entre juvéniles chez le forficule, nous avons filmé des paires d’individus constituées d’un juvénile donneur et d’un receveur. Dans le but de tester aussi si cet échange dépend de l’apparentement génétique entre les deux individus (apparentés ou non-apparentés) et du besoin nutritionnel du receveur (affamé ou bien nourri), ces deux facteurs ont aussi été manipulés de façon croisée (Falk et al., 2014). Nos résultats révèlent que le transfert de nourriture se fait selon deux processus qui dépendent de l’apparentement mais pas du besoin nutritionnel des juvéniles. Lorsqu’ils sont apparentés, le transfert se fait par allo-coprophagie, c’est-à-dire que les receveurs consomment plus de fécès des donneurs (Figure 17a). Lorsqu’ils sont non-apparentés, le transfert de nourriture se fait par trophallaxie stomodéale c’est-à-dire que les receveurs viennent chercher la nourriture directement à l’arrière des donneurs (Figure 17b). La surconsommation de fèces parmi les juvéniles apparentés reflète ce qui serait attendu si ces fèces étaient un bien public (comme c’est le cas des sidérophores chez certaines bactéries, voir Griffin et al., 2004; Diggle et al., 2007) et dont la production bénéficierait à tous les membres (apparentés) de la famille. Cette hypothèse de bien public est aussi supportée par le fait que l’absence de surproduction de fèces dans les paires non-apparentées est associée à l’expression d’une trophallaxie proctodéale, un comportement qui pourrait traduire un conflit pour l’acquisition et la monopolisation de ce bien commun dans les paires non-apparentées. De façon intéressante, nos résultats montrent aussi que les besoins

Figure 17 | Effets de l’apparentement génétique entre juvéniles donneurs et receveurs sur (a) le nombre de fécès produits par les donneurs après 24h et (b) sur la durée moyenne des contacts bouche-anus. D’après Falk et al. (2014).

nutritionnels du receveur n’influencent en rien l’échange de nourriture (Falk et al., 2014). Ce résultat suggère que le rôle nutritif de l’allo-coprophagie pourrait être limité chez les forficules. A l’inverse, ce comportement pourrait apporter d’autres types de bénéfices, tels que 1) la digestion de particules difficiles à dégrader en un seul passage dans le tube digestif et qui pourraient être des sources importantes de protéines, lipides ou carbohydrates (Martin & Reddy, 1984; Nalepa et al., 2001) ou 2) le transfert de composés immunitaires et/ou de la flore intestinale au sein des membres de la famille (Pellens et al., 2007; Bignell, 2011; Kaltenpoth & Engl, 2014).

Afin de mieux comprendre les potentiels bénéfices nutritifs associés à la consommation de fèces, nous avons conduit une nouvelle expérience dans laquelle nous avons suivi la survie de juvéniles ayant uniquement accès à des fèces de juvéniles apparentés, des fèces de leur mère ou rien du tout. Pour déterminer si l’apport nutritif de ces fèces est spécifique (c’est-à-dire ne peut pas être obtenu par de la nourriture standard), nous avons aussi ajouté deux traitements dans lesquels les juvéniles avaient accès à de la nourriture standard seule ou à de la nourriture standard avec des fèces de juvéniles (Körner et al., 2016). Nos résultats montrent que l’accès à des fèces de juvénile rallonge significativement l’espérance de vie des consommateurs, alors que l’accès à des fèces de mère entraine une mort aussi rapide qu’en l’absence de tout type de ressource (Figure 18). Pour autant les fèces de juvéniles ne permettent pas aux individus de survivre plus de 23 jours, contrairement à la nourriture standard qui permet à une majorité de juvéniles de survivre au-delà de 25 jours, et ce avec ou sans fèces de juvénile (Figure 18). Ces résultats démontrent donc que l’allo-coprophagie peut apporter un bénéfice important pour les juvéniles en l’absence d’autre source de nourriture. Le fait que ces bénéfices ne soient pas présents avec les fèces de la mère pourrait simplement refléter la meilleure digestion des adultes par rapport aux juvéniles (Engel & Moran, 2013), et donc la plus haute valeur nutritive des fèces produits par ces derniers.

Figure 18 | Effet de l’accès à la nourriture standard et/ou aux fèces sur la survie des juvéniles. Chaque ligne représente la survie cumulée des juvéniles ayant eu accès soit à de la nourriture standard (Food; Taux de survie médian, LT50 ± SE = 49.8 ± 7.7), soit aux fèces produits par des juvéniles (Nymph feces, LT50 = 15.6 ± 0.3), soit à des fèces produits par leur mère (Mother feces, LT50 = 40.7 ± 3.4), soit à de la nourriture standard et des fèces produits par des juvéniles (Food + Nymph feces, LT50 = 15.6 ± 0.3), soit rien du tout (Starvation, LT50 = 13.5 ± 0.2). Les lettres différentes correspondent à P-value < 0.03. D’après Körner et al. (2016).

Ayant établi que les juvéniles échangent de la nourriture pendant la vie de famille, nous nous sommes posés la question des liens qu’il pourrait y avoir entre cette forme potentielle de coopération entre juvéniles et l’expression des soins parentaux tels que l’apport en nourriture. En effet, ces deux processus peuvent en principe s’exprimer au même moment pendant la vie de famille et chacun apporter d’importants bénéfices nutritionnels et non-nutritionnels pour les juvéniles. Ces deux processus pourraient donc être indépendants ou associés de façon complémentaire ou compensatoire. Dans le cas de l’association complémentaire, le niveau d’échange de nourriture entre juvéniles devrait augmenter en même temps que le niveau de soins maternels. Ce phénomène est attendu si les coûts liés à la coopération pour les juvéniles diminuent lorsque le niveau de soin parental est haut. Dans le cas d’une association compensatoire, par contre, le niveau d’échange de nourriture entre juvéniles devrait diminuer lorsque le niveau de soin maternel augmente. Ce type d’association est plutôt attendu lorsque les bénéfices liés à la coopération pour les juvéniles augmentent alors que le niveau de soin parental est bas. Pour tester ces hypothèses, nous avons mesuré au sein des mêmes familles, les niveaux de transferts de nourriture entre les juvéniles et entre la mère et les juvéniles, tout en estimant l’importance du nombre de juvéniles présents sur ces échanges (Kramer et al., 2015). Nos résultats révèlent d’abord que le taux de transfert de nourriture entre juvéniles augmente avec le nombre de juvéniles présents dans le groupe, alors que ce nombre n’influence pas le taux de transfert de nourriture venant de la mère (Figure 19A). Lorsqu’on contrôle ensuite par le nombre de juvéniles dans le groupe, nous voyons une corrélation significative et négative entre les deux taux de transferts : les juvéniles échangent moins de nourriture lorsque la mère en apporte plus (Figure 19B). Mais est-ce qu’un fort taux d’échange de nourriture entre juvéniles et donc un faible apport de la part des femelles apporte des bénéfices à chacune de ces parties ? Afin de répondre à cette question, nous avons ensuite mesuré la vitesse de développement des juvéniles et leur survie

Figure 19 | Association entre coopération entre juvéniles et soins maternels. (A) Influence du nombre de juvéniles sur la proportion de nymphes ayant reçu de la nourriture de leur mère (carrés noirs ; t46 = 0.86, P = 0.386) ou de leur frères et sœurs (rond blanc, t46 = 2.43, P = 0.019) ; (B) Corrélation entre le niveau d’échange de nourriture entre juvéniles (corrigé par leur nombre) et le niveau de nourriture donnée par la mère (q = -0.306, S46 = 24062, P = 0.035). D’après Kramer et al. (2015).

jusqu’à l’âge adulte, ainsi que le nombre d’œufs produits par les femelles dans leur ponte suivante. Nos résultats démontrent que le niveau de transfert de nourriture entre juvénile n’est pas associé à des bénéfices pour les juvéniles en qualité de vitesse de développement et de survie (Kramer et al., 2015). Pour les mères, nous trouvons que ce taux de transfert n’est pas associé à des bénéfices mais, de manière plus surprenante, qu’il est associé à des coûts. En particulier, les mères de juvéniles qui échangent plus de nourriture produisent moins d’œufs dans leur ponte suivante (Kramer et al., 2015) – reflétant probablement la faible qualité de ces femelles (voir plus bas). Dans l’ensemble, ces résultats démontrent une association compensatoire entre ces deux processus qui ne donne pas de plus-value en ce qui concerne la fitness des juvéniles et de la mère. La coopération observée entre juvéniles pourrait donc être est un processus permettant de contrebalancer les effets négatifs d’un faible niveau de soins maternels, voire de ceux liés à l’absence totale d‘une mère (comme démontré lorsqu'elles furent expérimentalement retirées des familles dans l'étude précédente; Falk et al., 2014).

Pourquoi est-ce qu’un taux croissant d’échange de nourriture entre juvéniles est associé à un coût pour les mères ? Une réponse pourrait être parce que ce taux reflète négativement la qualité de la mère. En effet, ce taux d’échange est inversement corrélé à l’apport de nourriture par la mère, de sorte que les femelles qui apportent le moins de soins (sous forme de nourriture) sont aussi celles qui investissent le moins dans leur future reproduction. Pour tester cette hypothèse, nous avons élaboré une nouvelle expérience dans laquelle nous avons d’abord manipulé la condition des mères en leur donnant (ou non) un accès à de la nourriture et ensuite mesuré le niveau d’échange de nourriture entre les juvéniles (Kramer & Meunier,

2016b). Nos résultats confirment d’abord que ce niveau d’échange augmente avec le nombre

de juvéniles (comme révélé précédemment, Kramer et al., 2015) mais révèlent ensuite que cette association est uniquement présente lorsque la mère est en mauvaise condition. La condition de la mère est donc un élément primordial pour expliquer le niveau d’échange de nourriture exprimé entre les juvéniles.

Dans l’ensemble, nos résultats démontrent que l’échange de nourriture entre juvéniles est présent chez le forficule européen. Cet échange se fait par plusieurs moyens directs (trophallaxie proctodéale) et indirects (allo-coprophagie) pour lesquels le choix dépend de l’apparentement génétique (et/ou la familiarité) entre le donneur et le receveur. Cet allo-coprophagie permet d’augmenter la survie des juvéniles en l’absence de nourriture, mais pourrait être associé à d’autres types de bénéfices pour les receveurs tels que des bénéfices immunitaires et/ou des échanges de microbiotes intestinaux. Reste la question des coûts associés à cet échange de nourriture – un paramètre crucial pour le définir comme une forme de coopération. A ce jour, déterminer la présence de ces coûts et les quantifier sont une priorité de mes recherches, mais mesurer ces deux aspects est associé à des difficultés techniques encore difficilement solvables. Indépendamment de la présence ou l’absence de ces coûts, nos résultats démontrent dans l’ensemble que cette forme potentielle de coopération n’est pas un mécanisme qui nécessite un système social permanent et/ou fixe au cours du temps, comme ceux que l’on trouve dans les espèces à reproduction communautaire (cooperative breeding) ou eusociales. A l’inverse, ils suggèrent que ce phénomène est un

comportement qui pourrait être ancestral au cours de l’évolution de la vie sociale et qui pourrait donc avoir favorisé l’émergence et la maintenance de la vie de groupe à partir de la vie solitaire. Cette forme de coopération pourrait en effet augmenter l’intérêt des juvéniles à rester avec leur frères/sœurs, ce qui faciliterait l’évolution des soins parentaux et plus généralement les formes plus dérivées de vie sociale.

3.3 La protection collective contre les pathogènes

Documents relatifs