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Effet du groupe ou de l’isolement sur la protection contre les pathogènes ?

II. MEMOIRE

3. La coopération

3.3 La protection collective contre les pathogènes

3.3.5 Effet du groupe ou de l’isolement sur la protection contre les pathogènes ?

pathogènes chez les insectes sociaux se sont souvent focalisées sur les effets de l’immunité

sociale. Ainsi, il est généralement prédit que si les individus exposés à des pathogènes vivent plus longtemps lorsqu’ils sont maintenus en groupe plutôt que lorsqu’ils sont expérimentalement isolés, alors une immunité sociale est à l’œuvre (voir par exemple Hughes

et al., 2002). Pour être certain que cet effet ne reflète pas un stress létal due à une isolation

sociale non-naturelle, ces études comparent aussi la survie des individus non-exposés à des pathogènes et maintenus en groupe ou en isolement. Mais ce contrôle oublie l’effet spécifique du stress d’un isolement social soudain sur la résistance aux pathogènes (plutôt que sur la survie générale des individus). Ce stress est pourtant connu chez de nombreuses espèces, chez qui il est responsable de changements profonds dans l’expression de traits comportementaux, physiologiques et neurologiques (Boulay et al., 1999; Hawkley & Cacioppo, 2003; Hawkley & Capitanio, 2015; Koto et al., 2015). Pour mettre en avant l’expression d’une immunité sociale, il semble donc primordial de vérifier qu’un soudain isolement social ne diminue pas la résistance immunitaire de chacun des individus.

Pour démontrer l’importance de ce stress sur la résistance aux pathogènes et plus généralement l’importance de contrôler cet effet lorsque l’on teste l’immunité sociale chez une espèce donnée, nous avons travaillé sur des groupes d’adultes du forficule européen

(Kohlmeier et al., 2016). En particulier, nous avons suivi la survie de mâles et de femelles

pendant 25 jours après les avoir exposé à une solution de spores du champignon pathogène

M. brunneum ou à une solution contrôle. Ces individus étaient répartis entre trois

traitements : 1) ils étaient maintenus en groupe pendant 3 semaines, puis exposés à une des deux solutions et enfin remis dans le même groupe (= vie de groupe constante), 2) ils étaient maintenus en groupe pendant 3 semaines, puis exposés à une des deux solutions et enfin maintenus en isolement (= isolement social soudain) ou 3) ils étaient maintenus en isolement

 Kohlmeier P, Holländer K & Meunier J (2016).

pendant 3 semaines, puis exposés à une des deux solutions et enfin mis à nouveau en isolement (= isolement social constant). Comme nous l’avions prédit, la survie des femelles est plus faible dans le cas d’un isolement social soudain, que dans ceux d’un isolement social constant ou d’une vie de groupe constante (Figure 24). Par contre, et de façon surprenante, leur survie est la même lorsqu’elles sont constamment maintenues en groupe ou en isolation (Figure 24). L’isolement social soudain peut donc réduire à lui seul la résistance contre les pathogènes. En l’absence d’un tel contrôle expérimental, il aurait donc pu être possible de conclure à l’expression d’une immunité sociale dans les groupes de femelles du forficule européen, ce qui aurait été faux. De façon intéressante, chez les mâles, les résultats sont moins clairs et suggèrent que vivre en groupe avant l’exposition aux pathogènes engendre un coût immunitaire, mais que ce coût est moins apparent lorsque les mâles continuent de vivre en groupe après cette exposition (Figure 24). Ce phénomène pourrait s’expliquer par la grande agressivité des mâles envers les autres mâles chez cette espèce (Forslund, 2000), une agressivité qui est souvent connue pour être négativement associée au niveau de compétence immunitaire des insectes (Contreras-Garduño et al., 2009; Adamo et al., 2015).

Figure 24 | Effets de l’exposition aux pathogènes et de l’isolement social sur la survie des adultes. Les groupes étaient toujours du même sexe que l’individu testé. Les tailles d’échantillons sont indiquées entre parenthèses. Différentes lettres p < 0.05. Figure tirée de Kohlmeier et al. (2016)

4. DISCUSSION ET PERSPECTIVES GENERALES

Mes travaux sur les fourmis et les forficules illustrent que la vie sociale chez les insectes repose sur un jeu complexe entre les conflits pour l’accès des individus à la reproduction (Meunier et al., 2008, 2010) ou à une ressource limitante (Meunier & Kölliker, 2012a; b; Kölliker et al., 2015), et les bénéfices d’une coopération visant le partage de la nourriture (Falk

et al., 2014; Kramer et al., 2015) et la défense contre les pathogènes (Diehl et al., 2015;

Meunier, 2015). Ces résultats révèlent aussi qu’il est parfois difficile de prédire l’émergence d’un conflit ou d’une coopération, car ces deux processus peuvent impliquer les mêmes parties et faire intervenir les deux types d’action de façon quasi-simultanée. Par exemple, les juvéniles du forficule européen peuvent échanger de la nourriture mais aussi s’entre-tuer pour son accès (Dobler & Kölliker, 2010; Meunier & Kölliker, 2012b; Falk et al., 2014; Kramer

et al., 2015), ou encore les mères forficules peuvent apporter de la nourriture à leurs juvéniles

mais aussi entrer en compétition avec eux pour la monopoliser (Meunier & Kölliker, 2012a; b; Thesing et al., 2015). Enfin, ces résultats soulèvent de nombreuses questions qu’il sera crucial d’étudier afin de mieux appréhender les mécanismes responsables de l’évolution de la vie sociale chez les insectes, et plus généralement ceux impliqués dans la transition évolutive entre vie solitaire et vie de groupe. Je souhaiterais terminer ce mémoire en détaillant cinq éléments qui me semblent particulièrement prometteurs et vers lesquels je souhaiterai diriger mes recherches dans les années à venir : (1) les bénéfices négligés des interactions familiales, (2) le rôle du microbiote intestinal dans l’évolution de la vie de groupe, (3) les implications des immunités sociale et personnelle dans l’évolution de la vie sociale, (4) les bases génétiques et épigénétiques de la vie familiale et enfin (5) l’utilisation des Dermaptères pour mieux comprendre la trajectoire évolutive de la subsocialité.

4.1 Les bénéfices négligés des interactions familiales

En révélant que les interactions entre juvéniles peuvent être associées à des bénéfices (Falk

et al., 2014; Diehl et al., 2015; Kramer et al., 2015; Körner et al., 2016) et pas uniquement à

des coûts (Mock & Parker, 1997)(voir aussi Roulin & Dreiss, 2012) au sein d’une famille, nos travaux appellent à élargir notre vision actuelle des interactions familiales et à approfondir notre connaissance sur les coûts et bénéfices qui leurs sont associés (Figure 25). Je propose ainsi de reconsidérer la nature des interactions entre parents et enfants. Des vertébrés aux invertébrés, il est généralement proposé que ces interactions apportent des bénéfices pour les enfants (du fait des soins parentaux) et des coûts pour les parents (Figure 25a ; Hinde et

al., 2010a; Klug & Bonsall, 2014). Nos travaux permettent de remettre en cause un des deux

piliers de ce paradigme en démontrant que la présence d’une mère peut aussi induire des coûts pour les juvéniles, notamment lorsque la disponibilité en nourriture est faible (Meunier & Kölliker, 2012b; Thesing et al., 2015; Kramer et al., 2017). Qu’en est-il du second pilier, c’est-à-dire des coûts pour les parents ? Je propose ici que les interactions parents-enfants pourraient aussi être associées à des bénéfices directs pour les parents, c’est-à-dire des bénéfices autres que ceux visant à améliorer le développement et/ou la survie de leurs juvéniles jusqu’à l’âge adulte (Figure 25c ; Royle et al., 2012). Les juvéniles pourraient en effet apporter de la nourriture à leurs parents (les juvéniles étant plus nombreux, leur efficacité de fourragement pourrait pallier à d’éventuelles déficiences chez leurs parents) ou les protéger

contre les parasites et pathogènes (par exemple, en retirant les pathogènes présents sur la surface des parents). Démontrer que de tels bénéfices existent dans les unités familiales facultative (c’est-à-dire une espèce précociale) aurait un impact majeur dans notre compréhension de l’évolution de la vie de famille et plus généralement de la vie de groupe chez les animaux. Ces bénéfices pourraient en effet expliquer - au moins en partie - pourquoi les parents restent avec leur juvéniles lorsque les bénéfices des soins parentaux ne sont pas requis pour ces derniers, un scénario qui reflète probablement les caractéristiques des juvéniles lorsque la vie de groupe a émergé à partir d’un état solitaire (Falk et al., 2014). L’existence de ces bénéfices pourrait donc donner du poids à un scénario alternatif quant à l’émergence de la vie de famille dans la nature, en suggérant que la pression de sélection sur le maintien des parents avec les juvéniles ne repose pas uniquement sur les bénéfices liés au meilleur développement de leurs juvéniles (voir plus haut), mais sur les bénéfices directs qu’ils pourraient obtenir au détriment de leur propres juvéniles – en quelques sorte un scénario évolutif relevant du parasitisme social.

4.2 Le microbiote intestinal et l’évolution de la socialité

Tous les organismes vivants ont un microbiote intestinal (c’est-à-dire des symbiotes et/ou une communauté microbienne résidant dans leur intestin) connu pour jouer un rôle essentiel dans l’expression de nombreux traits d’histoire de vie (Engel & Moran, 2013; Stilling et al., 2014). Ce microbiote est ainsi impliqué dans des comportements de reconnaissance entre individus chez les vertébrés et invertébrés (Sonnenburg, 2005; Lizé et al., 2007, 2013; Archie & Theis, 2011; Hongoh, 2011; Littman & Pamer, 2011; Rosengaus et al., 2011; Ezenwa et al., 2012; Archie & Tung, 2015; Flórez et al., 2015), dans des maladies humaines telles que la dépression, l’anxiété et l’autisme (Sekirov et al., 2010; Grenham et al., 2011; Stilling et al., 2014) ou encore dans des processus physiologiques influençant la réponse immunitaire ou la croissance des juvéniles (Ponton et al., 2011; Chambers & Schneider, 2012; Coon et al., 2014). Au cours de la dernière décennie, une hypothèse importante s’est développée selon laquelle le Figure 25 | Evolution de notre compréhension générale de la nature des interactions sociales exprimées au sein des familles animales.

microbiote intestinal pourrait être un moteur évolutif central de la vie sociale (Troyer, 1984; Nalepa et al., 2001; Lombardo, 2008; Lewin-Epstein et al., 2017). Cette hypothèse repose sur le fait que, pour favoriser sa transmission entre hôtes, le microbiote intestinal devrait favoriser le rapprochement géographique de ces hôtes, la fréquence de leurs contacts et l‘expression de comportements coopératifs tels que la trophallaxie et/ou la coprophagie. Cette hypothèse est étayée par de nombreuses études chez les insectes eusociaux (termites et abeilles, principalement), chez qui les comportements sociaux sont connus pour permettre le transfert du microbiote intestinal (ou du moins une partie) entre les membres de la colonie (Nalepa, 1994; Powell et al., 2014). En comparaison, le lien entre microbiote et interactions sociales est beaucoup moins étudié chez les espèces non-eusociales, et plus particulièrement chez celles avec une vie de famille. Chez ces dernières, les quelques études disponibles s’intéressent principalement au transfert vertical du microbiote entre la mère et les juvéniles (voir par exemple chez les humain, Kuang et al., 2016). Mieux comprendre le rôle du microbiote intestinal dans l’émergence et le maintien de la vie sociale à partir d’un état solitaire pourrait donc se faire en étudiant la nature et l’importance de ce lien chez les espèces formant des groupes non-eusociaux telles que le forficule européen. Nos résultats suggèrent déjà que le microbiote intestinal pourrait jouer un rôle important chez cette espèce. Ils montrent en effet que les juvéniles échangent activement des substances initialement présentes dans leur système digestif par trophallaxie proctodéale (bouche-anus) et par coprophagie (consommation de fécès), mais aussi que les contacts bouche-bouche sont fréquents (Falk et al., 2014). Ils montrent de plus que même si ces échanges permettent d‘augmenter la survie des juvéniles en l’absence de nourriture, ils sont indépendants de leur besoin nutritionnel et qu’ils restent importants lorsqu‘une source de nourriture est présente à proximité (Falk et al., 2014; Körner et al., 2016). Le rôle de ce transfert ne semble donc pas limité à l’échange de matériels nutritifs et une hypothèse probable est qu’il permette aussi l’échange du microbiote intestinal. Mes prochains projets de recherche vont approfondir ces résultats afin de décrire la nature du microbiote intestinal chez F. auricularia et de mieux comprendre son importance dans les traits d’histoire de vie de cette espèce. Au travers d’expériences où l’on manipulera la présence et/ou la composition de ce microbiote, nous allons notamment tester son rôle dans l’expression des comportements familiaux (dont les soins maternels), dans la résistance contre les pathogènes et plus généralement son implication dans le maintien de la vie de famille.

4.3 Immunité sociale et immunité personnelle

Comme énoncé précédemment, la vie de groupe augmente les risques qu’un individu soit exposé et infecté par des pathogènes (voir par exemple Ugelvig & Cremer, 2007; Rifkin et al., 2012; Stroeymeyt et al., 2014). A ce jour, les études sur ce phénomène s’intéressent le plus souvent aux défenses collectives chez les insectes eusociaux (Schmid-Hempel, 1998; Cremer et al., 2007; Wilson-Rich et al., 2009b), laissant en suspens des questions importantes liées à son fonctionnement global et à son rôle dans l’évolution de la vie sociale (Meunier, 2015). Il est par exemple encore difficile de comprendre si l’immunité sociale est un processus ancestral qui a permis aux groupes de se structurer et d’augmenter en complexité organisationnelle, ou s’il s’agit d’un processus secondaire qui a émergé après l’apparition des

groupes complexes pour assurer leur fonctionnement et leur maintien malgré leur fixation (c’est-à-dire l’obligation de la vie de groupe) et la pression parasitaire importante. Démêler ces scenarii évolutifs demande d’étudier la présence et la nature de l’immunité sociale chez les espèces non-eusociales chez qui les individus peuvent à la fois vivre en groupe et de façon solitaire (Meunier, 2015). Avec les scarabées nécrophores (par exemple Reavey et al., 2014a; b; Duarte et al., 2015; Palmer et al., 2016), le forficule européen constitue un modèle biologique de plus en plus utilisé pour ce genre d’étude. De par sa biologie unique, il est en effet possible d’y manipuler « naturellement » la présence d’un environnement social et donc de tester l’importance des pathogènes sur l’émergence et le maintien de sa vie de groupe. Nos premiers résultats chez le forficule européen suggèrent que le rôle positif des interactions familiales dans la défense contre les pathogènes ne vient pas nécessairement des soins maternels et qu’il peut se reposer sur d’autres mécanismes liés aux stress de l’isolement social (voir par exemple Diehl et al., 2015; Kohlmeier et al., 2016; Vogelweith et al., 2017). Nos travaux à venir viseront à confirmer ou infirmer ces conclusions, mais aussi à explorer plus en détail l’importance du groupe sur la résistance contre les pathogènes chez cette espèce. Ces études devraient nous permettre d’avoir un éclairage nouveau dans la chronologie évolutive du lien entre évolution sociale et résistance contre les pathogènes.

Mieux comprendre le rôle des pathogènes dans l’évolution de la vie sociale demande aussi de s’intéresser à l’immunité personnelle des individus. L’immunité personnelle est un processus bien connu chez les vertébrés et les invertébrés qui implique à la fois des défenses physiologiques et comportementales de la part de l’individu infecté (Beckage, 2008; de Roode & Lefèvre, 2012; Masri & Cremer, 2014). Ces défenses englobent, par exemple, des réactions enzymatiques particulières cherchant à isoler et à éliminer les pathogènes présents dans le sang/l’hémolymphe, ou encore la collecte et/ou la consommation de composés organiques visant à stopper une infection ou à réduire ses symptômes via automédication (de Roode et al., 2013). Investir dans l’immunité personnelle est coûteux, de sorte que les individus doivent optimiser cet investissement en fonction, par exemple, du risque d’infection, de leur propre qualité ou de l’importance d’investir dans d’autres traits d’histoire de vie. Parce qu’investir dans deux processus ayant la même fonction serait inutilement coûteux pour un individu, plusieurs études ont proposé d’explorer le compromis entre immunité personnelle et immunité sociale (Cremer et al., 2007; Cotter & Kilner, 2010; Meunier, 2015). Des approches de génomique comparative ont récemment été réalisées dans ce but, proposant spécifiquement de tester la prédiction selon laquelle un accès à l’immunité sociale permettrait de réduire l’investissement dans l’immunité personnelle chez les insectes. A l’encontre de cette prédiction, les résultats de ces études démontrent que ce lien n’existe pas, en tout cas pas en ce qui concerne le nombre de gènes de l’immunité exprimés entre les espèces eusociales et non-eusociales (voir la revue par Otani et al., 2016). Les approches plus directes sont beaucoup moins nombreuses avec, à ma connaissance, une seule étude visant à tester expérimentalement ce compromis. Dans cette étude réalisée sur le scarabée nécrophore, Cotter et al. (2010) ont montré qu’augmenter son investissement dans la réparation d’une blessure (immunité personnelle) impliquait une diminution temporaire de l’investissement dans l’activité antimicrobienne des fécès (considéré ici comme un investissement dans l’immunité sociale) chez les mères. De prochaines études vont devoir

explorer ce lien entre les deux formes d’immunité, mais aussi les coûts physiologiques directs qui sont associés à l’immunité sociale. Le forficule européen sera un modèle d’étude particulièrement intéressant dans ce cadre.

4.4 Une approche génomique

Au cours de la dernière décennie, l’incursion de la génomique dans le domaine de l’écologie comportementale à entrainer le développement de nombreux axes de recherche. Elle a par exemple permis de rechercher les gènes et/ou réseaux de gènes impliqués dans de nombreux comportements (Fitzpatrick et al., 2005), d’étudier comment ces gènes/réseaux évoluent au cours du temps (Linksvayer et al., 2012) et de mettre en lumière les mécanismes moléculaires (par exemple épigénétiques) responsables de la plasticité comportementale d’un individu (Danchin et al., 2011; Patalano et al., 2012). Elle a aussi permis de manipuler l’expression d’un comportement (par exemple par l’injection d‘ARNi) afin d‘en mesurer les effets directs et indirects sur la fitness de l’individu testé (Liang et al., 2012), ou encore de mieux comprendre les contraintes moléculaires favorisant l’évolution convergente ou divergente de comportements à travers les espèces animales (Robinson, 1999; Rittschof & Robinson, 2014) ou de prédire la transmission de la plasticité comportementale entre générations (Francis et al., 2003; Danchin et al., 2011).

Dans le cadre des comportements sociaux, la génomique (appelée alors sociogénomique) s‘est jusqu’à aujourd’hui principalement intéressée aux traits phénotypiques inhérents au système eusocial, tels que la différentiation des castes et la division du travail (Amdam et al., 2004; Robinson et al., 2005; Abbot et al., 2011; Feldmeyer et al., 2014; Terrapon et al., 2014; Elsik et al., 2016). Outre les comparaisons d’expression génique entre espèces sœurs montrant des systèmes eusociaux et non-eusociaux (par exemple Pellens et al., 2007), assez peu d’informations existent sur la sociogénomique des interactions sociales dans les espèces d’insectes non-eusociales (chez les souris, voir Bendesky et al., 2017). Chez les insectes, ces rares informations proviennent essentiellement d’études sur le scarabée nécrophore N. Vespilloides (Cunningham et al., 2015; Benowitz et

al., 2017), une espèce d’insecte chez qui les femelles et les mâles s’occupent de leurs larves

pendant les quelques jours suivant l’éclosion des œufs (Capodeanu-Nägler et al., 2016). Une de ces études a par exemple montré que le récepteur du gène neuropeptide F - qui est impliqué dans le fourragement des femelles - est moins exprimé pendant la phase de soins maternels, suggérant que l’évolution des soins parentaux repose aussi sur des changements d’expression des gènes associés à la prise de nourriture (Cunningham et al., 2016). Une autre étude a révélé que l’expression de la vitellogenine, une molécule fortement associée à la division du travail et à la spécialisation comportementale chez les abeilles (Amdam et al., 2003, 2004; Nelson et al., 2007; Amdam & Page, 2010), est aussi associée aux soins parentaux chez les mâles et les femelles de nécrophore. En particulier, l’expression de ce gène et de son récepteur est réduite dans le cerveau des parents lorsque ces derniers prodiguent des soins à leurs larves (Roy-Zokan et al., 2015). Enfin, la même équipe de chercheurs a démontré que la vie de famille était associée à une expression particulière d’un ensemble de gènes, mais que la présence d’un seul ou des deux parents n’avait pas d’effet sur cette expression (Parker et al., 2015).

Ces premiers résultats sur les nécrophores sont particulièrement prometteurs, car ils permettent de mettre en avant les bases génétiques de la vie de famille et contribuent ainsi à notre compréhension des facteurs liés à son origine évolutive. Mais d’autres études sur d’autres modèles sont aujourd’hui nécessaires afin de déterminer l’universalité des résultats présentés, et plus largement leur importance dans l’évolution de la vie de groupe chez plusieurs espèces. La biologie particulière du forficule européen en fait un candidat idéal pour explorer les bases génétiques de la vie de famille et de la subsocialité chez les insectes. Les quelques travaux qui ont récemment étudié le transcriptome de cet insecte (Simon et al., 2012; Roulin et al., 2014) montrent que ce type d’analyse est réalisable et appellent à de nouveaux travaux visant à caractériser, par exemple, les gènes impliqués dans les comportements de soins parentaux (de la part des donneurs et des receveurs) et dans le maintien (ou non) de la vie de groupe chez les juvéniles.

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