• Aucun résultat trouvé

La consolidation de l’intensité concurrentielle

1. Un contexte de marché qui conditionne l’action des marques automobiles

1.2. La consolidation de l’intensité concurrentielle

« Cherchez, et comptez. Combien de marques ? Oui, combien d'enseignes se refusent encore à proposer ces véhicules haut perchés, flanqués de grandes roues et dont l'allure de baroudeur contraste avec une vocation exclusivement routière la plupart du temps ? La réponse : aucune, sauf à nommer des constructeurs spécialisés dans les supercars - et encore, si Ferrari s'y refuse à ce jour, Lamborghini doit lancer l'Urus en 2018.160 » Toutes les marques automobiles, y compris les plus

sportives ou luxueuses cèdent effectivement à la tentation du SUV. Une simple revue de presse des Unes des magazines de presse automobile de ces derniers mois ou encore une visite dans les allées du dernier « Mondial» de Paris161 suffiraient à constater l’ampleur du succès SUV. De

manière empirique, et s’il fallait donner une date précise du démarrage du « phénomène » SUV en Europe, c’est avec la marque japonaise Nissan et son modèle le Qashqai, lancé en 2007, qu’on observe le premier grand succès d’un SUV sur le marché. Le « SUV grand public », comme nous serions tentés de l’appeler ; démocratisé, fête donc cette année ses 10 ans, et par là même un segment en pleine ébullition. A cette époque, Nissan fait alors figure de pionnier et ses concurrents directs sont les marques de véhicules tout-terrain et leurs 4x4. Aucune autre marque généraliste n’est présente sur le segment, le marché automobile européen puisant sa dynamique sur le

157PERRIN Brice, « Marché automobile : la folie des SUV va durer », in L’auto-journal,

https://news.autojournal.fr/news/1513425/SUV-march%C3%A9-voitures-neuves-%C3%A9conomie- tendance (Publié le 16/02/2017, consulté le 16/06/2017)

158AMIOT Maxime, DUPONT-CALBO Julien, ibid.

159Annexe n°5 Compte-rendu d’entretien / Thomas Boutte 160PERRIN Brice, ibid.

161Nb : Mondial de l’automobile de Paris, salon automobile le plus visité au monde, organisé tous les deux

49 segment des monospaces. Thomas Boutte évoque cette période : « Il y a cinq ans il y avait une

dizaine de Crossover/SUV – on ne savait pas bien – qui existaient, qui avaient beaucoup de défaut et quelques premiers avantages. Beaucoup de défauts stylistiques, technologiques, de fiabilité etc.162 »

L’engouement faisant, en quelques années, tous les constructeurs ont ainsi développé une offre SUV. La qualité s’est notamment beaucoup améliorée et « lissée en termes de différence entre

généralistes et premium. (…) Ce qui fait que le marché se dope. L’offre étant très large, le bassin d’acheteurs s’est solidifié et a embrassé le truc.163 » Le nombre de modèles différents présents sur

le marché constitue un autre indicateur qui nous permet de juger de l’intensification de la pression concurrentielle sur le segment. En 2007, à la sortie du Qashqai, on dénombrait 18 références sur le segment « tout-terrain/tous-chemins164 » ; 18 modèles différents de véhicules immatriculés en

France au cours de l’année165. En 2015, 45 modèles, puis 50 en 2016 étaient immatriculés sur le

marché français. Et l’accélération ne semble pas frémir : en 2017 – sur les six premiers mois de l’année – ce sont déjà plus de 70 références différentes qui venaient grossir les rangs des SUV sur les routes françaises. Cette croissance du nombre de modèles présents sur le marché témoigne donc bien de l’ébullition du segment SUV. Elle traduit également l’offensive des différents constructeurs. « Pour ne pas être en reste, quelques marques initieront leur « opération rattrapage

» au prochain salon de Genève, début mars. Seat dévoilera l'Ateca, son premier Crossover de segment C ; Skoda présentera un concept, le Vision S ; et Audi un petit Q2, tandis que Toyota sera prêt à lancer son C-HR. Même Maserati mettra à jour son Levante, attendu depuis des mois.166 » La course au SUV

parait bien engagée, faute de quoi, une marque peut se retrouver isolée sur le marché. « Forcément, les marques qui disposent d'une offre limitée, comme Citroën, en pâtissent. A l'inverse,

celles qui tiennent le haut du pavé SUV, comme Mercedes, BMW et Audi dans le premium, ou Renault dans le grand public, surfent sur la vague.167 » La pression est telle sur le segment qu’elle pourrait

même – extrapolons – contraindre un constructeur à adopter la silhouette SUV. « Cela va devenir

compliqué pour une marque de ne pas faire de SUV, ou en tous cas il va falloir qu’elle le justifie168 »

avertit Thomas Boutte. Le choix de ne pas proposer de SUV apparaît dès à présent comme une revendication pour la marque, qui doit alors être capable de le justifier, et de l’expliquer – par son histoire, son savoir-faire ou ses valeurs. Cependant, les faits tendent à donner tort à un tel

162Annexe n°5 Compte-rendu d’entretien / Thomas Boutte 163Ibid.

164Nb : Segment ad-hoc lié au système STATNET ; regroupant ainsi, aux côtés des SUV, les véhicules tout- terrain.

165Annexe n°11 : Données statistiques

166AMIOT Maxime, DUPONT-CALBO Julien, ibid. 167Ibid.

50 positionnement que nous pourrions considérer conservateur, tant les marques de luxe, Ferrari dernière en date, acceptent bon an, mal an de céder à la proposition SUV, quitte à procéder à quelques grands écarts avec leur identité de marque respectives.

Alors que les constructeurs proposent toujours plus de modèles SUV sur le marché, un point d’alerte semble néanmoins retenir notre attention. Le marché automobile européen est en effet un marché mature depuis plusieurs décennies déjà - à l’inverse d’un marché asiatique par exemple, lui en pleine période de rattrapage et d’équipement. Avec des perspectives de croissance à long terme plus modérées, la question de la soutenabilité de la croissance SUV se pose. « La

saturation du marché va arriver forcément. (…) Cela ne va durer qu’un temps. Le marché du neuf va atteindre ses limites.169 » prévient notamment Thomas Boutte. Les parts de marché engrangées ces

derniers mois par les SUV se sont effectivement faites aux dépens des berlines ou des monospaces et le parc de véhicules SUV en circulation est relativement jeune. Néanmoins, « quand il y aura des

millions de SUV sur le marché de l’occasion qui auront entre trois et cinq ans, évidemment le marché du neuf va commencer à en pâtir.170 » L’enjeu du marché de l’occasion constitue en effet l’un des

sujets prioritaires des constructeurs automobiles, notamment quant à la durée de vie de leurs produits et leur « valeur résiduelle », la valeur que vaudra leurs véhicules une fois revendus. Cet indicateur est l’un des piliers des politiques de prix des constructeurs. Le maintien d’un prix supérieur à la concurrence sur le marché de l’occasion constitue un indicateur de la valeur de la marque et de sa perception par les consommateurs. La valeur résiduelle est par exemple un des chantiers prioritaires de la marque Peugeot pour les années à venir, qui vise notamment un niveau égal puis supérieur aux valeurs résiduelles des modèles Volkswagen.

Aujourd’hui néanmoins, la dynamique du SUV est portée par le marché du neuf, et les constructeurs anticipent évidemment, nous pouvons l’imaginer, ce moment de saturation à venir. En attendant ce retournement du marché, les marques automobiles profitent de la manne que représente la silhouette SUV, et notamment pour une raison très pragmatique : la rentabilité.