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L’opportunité de la déviance : l’exemple Nissan

3. La convention, sujet d’interprétations variables

3.2. L’opportunité de la déviance : l’exemple Nissan

Nous faisons ici le choix de consacrer cette digression à la seule marque Nissan – « privilège » en quelque sorte du premier arrivé. La marque a effectivement été pionnière, et avec le lancement de son SUV phare, le Qashqai en 2007, comme nous avons pu le voir plus tôt au sujet de l’intensité concurrentielle du segment, elle lance le démarrage du phénomène SUV en Europe. Dix ans plus tard, Nissan a conservé sa place de leader. Thomas Boutte évoque cet exemple, « ce

qui est intéressant, c’est qu’ils sont passés d’une marque généraliste à une marque de SUV. Ils ont fait le choix d’être d’abord une marque « SUViste »278 ». Mais la spécificité de Nissan tient également au

fait que la marque semble de prime abord s’être « libérée » de la convention SUV. Alors que nous l’avons vu, les SUV sont généralement présentés dans un territoire naturel ou sauvage, la marque japonaise fait en effet le choix de positionner ses véhicules la plupart du temps en ville279. En cela

Nissan semble s’écarter du phénomène d’uniformisation créative que nous étudions.

278Annexe n°5 Compte-rendu d’entretien / Thomas Boutte

279Nb : excepté quelques campagnes – du type de celle insérée dans notre corpus d’étude, pour son grand

SUV, le Nissan X-Trail – la marque positionne ces deux autres modèles phares sur le marché européen – le Juke et le Qashqai dans des territoires urbains.

83 Le positionnement de Nissan n’est cependant pas un choix de rupture avec la convention SUV, mais davantage un comportement déviant. Le sociologue Laurent Mucchielli précise que « la

déviance se définit comme l’envers de la norme qu’elle transgresse. Pour exister comme question sociale, la déviance suppose la réunion de trois éléments : une norme, une transgression de cette norme et une « réaction sociale » à la transgression de cette norme. Chacun de ces trois éléments constitue un domaine de recherche sociologique.280 » La convention SUV telle que nous l’avons

définie étant dotée d’un pouvoir normatif, la notion de déviance nous apparaît valide pour décrire l’exemple Nissan. Le positionnement de la marque japonaise tient effectivement davantage de la transgression que de la rupture nette. Thomas Boutte explique ainsi qu’« en communication, ils

ont fait le choix d’utiliser tous les codes du SUV pour les réinterpréter en les teintant de l’univers de la ville.281 ». La marque met alors en scène ses modèles SUV dans un cadre urbain – démontrant

leur agilité et leurs capacités de franchissement. La ville que Nissan dépeint demeure néanmoins périlleuse, nocturne et dangereuse. Elle représente bien le danger duquel il faut s’échapper, amorce d’une histoire en tous points semblable aux récits de l’aventure que nous avons pu identifier. Il s’agit donc bien d’une interprétation de la convention SUV telle que nous la connaissons ; stratégie payante pour Nissan. « En cela, ils ont fait un pas-de-côté par rapport aux

autres franchiseurs.282 » Le choix de positionner leurs SUV en ville témoigne également d’un

élément de contexte auquel les dirigeants de Nissan étaient confrontés à leur entrée sur le marché : leur concurrence directe, à l’aune du développement du SUV était surtout constituée de « vrais » tout-terrain, de marques de 4x4, à l’instar de Range Rover ou Jeep. La marque a donc fait le choix de réinventer le territoire de communication existant et utilisé classiquement par ces constructeurs. Sans pour autant produire de rupture. « C’est à la fois nouveau et innovant dans la

manière de l’exprimer, mais finalement c’est très similaire dans les codes à tout ce qu’on a pu déjà voir ailleurs. (…) Dire qu’ils sont en marge du territoire classique du SUV je n’irai pas jusque-là non, mais oui ils ont réinventé à leur sauce, à leur image.283 »

Cette réappropriation déviante de la convention SUV, si elle demeure à ce jour unique en son genre, pourrait – ironie du sort – se retourner finalement contre Nissan, qui devra peut-être un jour revenir dans des codes plus institués. Nous y voyons ici la potentielle « sanction » à la déviance. « Je pense qu’un jour, c’est peut-être déjà le cas, cette stratégie leur fera défaut, dans le

sens où la ville reste un terrain de jeu, je pense, trop restreint pour les véhicules qui sortent

280Mucchielli Laurent, « Déviance », Sociologie, « Les 100 mots de la sociologie »,

http://sociologie.revues.org/2469 (Publié le 01/07/2014, consulté le 09/08/2017)

281Annexe n°5 Compte-rendu d’entretien / Thomas Boutte 282Ibid.

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aujourd’hui.284 » Sur un segment SUV encore en pleine construction, l’exemple Nissan nous donne

à voir une alternative intéressante, celle d’une réinterprétation des codes de la convention SUV. Le constructeur japonais, en agissant ainsi, pourrait paraître protégé du « bruit » dans lequel sont engagés tous ses autres compétiteurs – installés sur les mêmes territoires. Néanmoins comme nous le voyons, ce pas-de-coté pourrait finalement ne pas être suffisant pour libérer durablement ses modèles SUV et les différencier pleinement du reste du segment.

Alors que nous atteignons bientôt la fin de notre boucle de réflexion, un dernier point émerge, et pose la question de « l’après ». La convention ne serait-elle pas finalement – comme nous venons de l’explorer – qu’un épisode de l’histoire publicitaire du segment SUV ? Si une convention s’est constituée – celle-ci pourrait aussi marquer le début d’un nouveau cycle : la disruption.