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Une assimilation transversale au sein des métiers en agence de publicité

2. L’intégration d’une convention par les acteurs du processus créatif et son impact sur la

2.2. Une assimilation transversale au sein des métiers en agence de publicité

L’élaboration d’une stratégie publicitaire nait d’abord chez l’annonceur, qui exprime un besoin sous la forme d’un « brief créatif ». Les « interlocuteurs des clients, les commerciaux

interviennent les premiers dans un projet pour recueillir les objectifs de l’annonceur.266 » comme

l’explique Laure Gaertner. Les commerciaux recueillent donc en premier, par exemple un brief pour le lancement d’un nouveau SUV. Le brief en question connait ensuite un processus entre les différents métiers de l’agence. Vincent Behaghel, directeur de création chez BETC précise qu’il y a « deux étapes : il y a le brief qui vient de Peugeot effectivement, puis il y a la façon dont nous le

digérons à l’agence. (…) Il y a d’abord un travail où le commerce et le planning se voient pour essayer d’identifier un insight, un positionnement, une traduction en tous cas de ce que Peugeot a envie de dire de cette voiture.267 » La sociologue Laure Gaertner étudie en 2007 la coordination des

différents corps d’une agence de publicité dans le cadre de la conception d’une campagne. Si dans son article elle omet totalement la fonction et le rôle du planning stratégique – ce qui nous apparaît pourtant incontournable – son étude et sa démonstration des interactions entre les fonctions commerciales et créatives d’une agence nous apportent un éclairage intéressant à la lumière de notre questionnement. Elle précise notamment que la coordination entre ces deux acteurs est « problématique en raison d’une opposition structurale (…) l’antagonisme supposé entre valeurs

marchandes et valeurs esthétiques irrigue effectivement le monde de la publicité et oriente les discours indigènes268 ».

En analysant cette dichotomie entre les commerciaux et les créatifs, nous percevons les intérêts distincts de chaque groupe. Les premiers, plus pragmatiques, plus près du client seraient attachés à des considérations plus pratiques (résultats commerciaux, résultats de l’agence) tandis que les créatifs seraient eux attachés à leur liberté créative. La créativité demeurant dans le

266GAERTNER Laure, « La coordination des professionnels de la publicité dans la conception d'une

campagne », Sociétés contemporaines, 2007/3 (n° 67), p. 50, http://www.cairn.info/revue-societes- contemporaines-2007-3-page-47.htm (Consulté le 29/05/2017)

267Annexe n°2 Compte rendu d’entretien / Vincent Behaeghel 268GAERTNER Laure, ibid., p.48

78 métier, tant au niveau d’un individu qu’à l’échelle d’une agence (par le biais des prix créatifs), porteuse de reconnaissance par les pairs. Le métier du planning stratégique intervient également dans le jeu : fonction transversale, les planners sont chargés de la veille et de la réflexion utiles à la conception des stratégies, qu’ils écrivent en lien avec les commerciaux. Le planning stratégique nous intéresse particulièrement dans notre démonstration : de par son aspect transversal, en lien avec le client et ses attentes, à l’écoute du consommateur, les tendances et comportements émergents, en contact avec les autres métiers de l’agence. Nous pourrions comparer le planning stratégique à un « collecteur », ayant pour mission la conception d’une stratégie – tout en s’inscrivant dans un cadre de contraintes et d’intérêts distincts. L’objectif du planner, dans la définition d’un positionnement est évidemment la différenciation, tout en se devant de conserver un lien fort avec le produit ; matière première de toute campagne. « Ensuite j’entre dans le jeu et

ils (nb : commerciaux et planners) me proposent d’orienter le brief d’une certaine manière. Je participe activement à la formalisation du brief.269 » Les créatifs, en charge de l’interprétation et la

formulation créative de la stratégie conçue, sont ainsi briefés en interne, et ne sont eux que très rarement en contact avec les clients.

Bien qu’interagissant de manière différenciée et à moments distincts du processus créatif, les différents métiers en agence de publicité nous paraissent tous être confrontés à la notion de convention SUV. Prenons un exemple, déjà évoqué plus tôt dans ce mémoire : celui de « l’état d’esprit SUV ». En assistant au déroulement du projet de campagne de gamme SUV de la marque Peugeot, nous avons pu constater que le terme « d’état d’esprit SUV » était utilisé par tous les métiers – commerciaux, planners stratégiques – et créatifs (par le biais de Vincent Behaeghel qui évoque ce même terme au cours de notre entretien). Dans les échanges verbaux, les réunions, sur les supports de présentation ; l’expression est récurrente. Le fond de cette idée n’est cependant jamais explicité franchement, et devient ainsi peu à peu utilisé pour sa propre valeur. En empruntant la comparaison à Georges Perec et en extrapolant son propos, « l’état d’esprit SUV » et le phénomène que nous décrivons pourraient s’inscrire dans ce que l’écrivain appelle un « fait infra-ordinaire ». Dans son ouvrage éponyme270, il y invite à « interroger l’habituel », à questionner

l’ordinaire qui nous entoure, ce « qui semble tellement aller de soi que nous en avons oublié

l’origine.271 ». En cela, les acteurs ne questionnent plus le terme « d’état d’esprit », qui entre ainsi

dans l’ordinaire sans qu’on y prête plus attention. Dans le sillage d’une convention SUV qui s’émancipe de ses origines pour s’affirmer, notre exemple pourrait sembler vain ou seul point de

269Annexe n°2 Compte rendu d’entretien / Vincent Behaeghel 270PEREC Georges, L’infra-ordinaire, 1973, Seuil, Paris 271Ibid.

79 détail, mais il traduit au contraire selon nous ce phénomène de « normalisation » des codes d’expressions visuels – ou même ici sémantiques – au sujet du segment SUV. La construction d’une stéréotypie – lissée du conducteur de SUV, projetée à la fois par l’annonceur et son agence, témoigne de la manière dont s’immisce la convention au cours du processus publicitaire. Ce stéréotype, ainsi que les autres composantes de la convention SUV sont ainsi partagées et assimilées par les différents métiers ; et transparaissent assez logiquement dans les recommandations stratégiques et les propositions créatives présentées aux constructeurs automobiles.

Cette conclusion pourrait paraître – nous en sommes conscients – bien pessimiste, et simplificatrice. La pénétration de la convention SUV au sein de l’agence n’est évidemment pas aussi primaire et inéluctable que nous pourrions le laisser penser. Les professionnels de la publicité en agence ne sont pas non plus de simples éponges, dénués de jugement. La situation est effectivement plus contrastée et c’est bien un rapport de force qui se noue entre la convention SUV et une autre convention propre au métier de publicitaire. C’est cette tension que nous nous proposons d’étudier à présent.

2.3. Le rapport de force entre convention SUV et convention d’innovation