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La compréhension comme fusion des horizons

3.1 L’herméneutique comme épistémologie de la compréhension

3.1.3 La compréhension comme fusion des horizons

Contrairement aux Lumières allemandes pour qui on devait recréer le plus parfaitement possible le sens que l’auteur voulait donner au texte pour avoir une compréhension objective, Gadamer explique que la compréhension ne peut se prétendre détachée de celui qui comprend. Pour lui, nous nous devons de réhabiliter la structure préalable de la compréhension, ou ses éléments historiques, que sont le préjugé et la tradition. Il n’est pas rare, par exemple, que deux personnes qui regardent le même tableau donnent deux sens différents à ce qu’ils voient ou même que les deux personnes ne voient littéralement pas la même chose. Pour Gadamer, cette vision du monde formée de notre tradition, de notre histoire personnelle, des valeurs qui nous ont été transmises, de nos préjugés s’appelle un horizon. Plus précisément : « L'horizon est le champ de vision qui comprend et inclut tout ce que l'on peut voir d'un point précis » (Gadamer 1996, 324). L’horizon représente ce que quelqu’un voit à partir du point où il se trouve et ne doit pas être ne pas confondu avec le point de vue lui-même. Lorsque deux horizons se rencontrent et veulent se comprendre, il y a médiation constante entre le passé et le présent. Cette médiation est le fondement de l’idée gadamérienne de la fusion des horizons où la fusion serait une métaphore pour l’événement de la compréhension :

Gadamer ne traite pas de cette métaphore en profondeur dans Vérité et Méthode, mais elle est souvent l’image choisie pour représenter sa pensée (Grondin 2005). Bien que mystérieuse, la fusion des horizons est bel et bien au cœur du travail de Gadamer:

« La thèse de Gadamer est que l’on comprend toujours, au moins en partie, à partir de son horizon lorsqu’on cherche à comprendre quelque chose (disons un « autre horizon »), mais sans que l’on n’en ait toujours expressément conscience. La compréhension met ainsi en œuvre une « fusion » d’horizons, ceux de l’interprète et de son objet, où on ne peut pas toujours distinguer ce qui relève de l’un ou de l’autre. » (Grondin 2005, 402)

Pour comprendre la métaphore qui peut paraître farfelue, fidèle aux principes herméneutiques, il faut considérer le reste de l’oeuvre de Gadamer. Premièrement, il faut préciser que pour

Gadamer la fusion des horizons est événementielle. Cela veut dire que la compréhension (la fusion de deux horizons) produit une nouvelle manière de voir le monde et que, d’une certaine manière, comprendre quelque chose ne peut arriver qu’une seule fois. L’ancienne compréhension est remplacée par une nouvelle, mise à jour par un contact avec quelque chose qui l’a mis en question. C’est pour cette raison que Gadamer voit ce processus comme circulaire où notre horizon confronté se transformera en une nouvelle vision, et ce, à perpétuité. C’est ce que Gadamer appelle le « cercle herméneutique ». La notion de cercle fait donc honneur à la tradition et au fait qu’on comprend toujours avec un bagage préalable tout en considérant aussi que l’horizon est intersubjectif et profondément dynamique:

« Understanding is not, however, imprisoned within the horizon of its situation—indeed, the horizon of understanding is neither static nor unchanging (it is, after all, always subject to the effects of history). » (Malpas 2014)

Pour résumer, la compréhension selon Gadamer est une expérience intersubjective, transformative, qui prend forme dans un contexte de contact avec quelque chose qui nous est autre. Elle change partiellement notre vision du monde et la remplace par une nouvelle. Une nouvelle compréhension vient donc à faire partie de notre tradition, de notre horizon, contribue à la formation de nos préjugés qui font tous partie intégrante de notre compréhension. Ceux-ci doivent être vus comme pertinents et positifs dans le processus. De plus, bien que les relations de pouvoirs et d’idéologies soient imbriquées dans n’importe quelle compréhension, elles n’empêcheraient néanmoins pas celle-ci d’être atteinte.

Lorsqu’on passe de l’échelle infiniment petite de la compréhension unique à une échelle plus grande, il devient vite évident que notre compréhension forme notre bagage personnel. Celui-ci forme notre horizon, nos préjugés, notre compréhension du monde et ne peut être séparé de la notion d’identité. C’est un peu le principe des poupées russes, on en ouvre une pour en découvrir une autre. La plus petite poupée est la compréhension qui forme (et est formée de) la plus grande poupée qu’est notre horizon ou notre manière de voir le monde. Celle-ci fait nécessairement partie de notre identité, de nos valeurs, de notre bagage culturel, etc. L’échelle suivante, la poupée qui enveloppe celle de l’identité individuelle est l’identité collective, ou, si on retourne à notre question de départ, l’identité nationale québécoise. Comme je l’ai mentionné plus tôt, il est

pour moi nécessaire de prendre le problème dans sa forme la plus simple pour ensuite analyser les échelles plus grandes. Maintenant que j’ai exposé les entrailles du processus de compréhension de l’Autre, je ne peux passer à côté d’une étude de l’identité et de l’identité nationale pour être capable d’analyser les données que j’ai récoltées sur le terrain. Voyons donc les liens entre l’échelle de la compréhension et l’échelle de l’identité.

3.2 L’identité

En anthropologie, plusieurs auteurs insistent sur la complexité et la mouvance des identités (Meintel 1993). La cible de plusieurs études est de situer comment l’identité est construite, comment elle se transforme. Les effets de la globalisation, la plus grande mouvance des individus sur la mappemonde, sont une variable importante de l’équation lorsqu’on parle d’identité nationale ou d’identité individuelle. Quand les appartenances sont multiples et profondément dynamiques, l’identité change. Voilà les questionnements contemporains de l’identité en anthropologie. Dans cette partie, je commencerai par une brève recension des différentes visions de l’identité en sciences sociales et humaines. J’adopterai ensuite celle que je crois être la plus pertinente pour la question de la place de l’identité dans les relations interculturelles au Québec. Finalement, je terminerai en traçant les liens entre identité individuelle et identité nationale.