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La communication non verbale selon Richard Lewis

Avant de présenter Richard Lewis et de décrire sa théorie, nous voulons adresser un avertissement au lecteur, en lui indiquant que Lewis est un linguiste et non un universitaire reconnu. Aussi les résultats de ses recherches n’ont-ils pas nécessairement valeur probante. Toutefois, nous avons voulu les exposer brièvement ici. Au lecteur de juger de leur application possible dans le cadre de notre étude.

3.1. Théorie de Richard Lewis

Le linguiste Richard Donald Lewis7 a établi des modèles de comportement en matière de communication selon les différentes cultures. La plus connue de ses études en

7 Né en 1930, Richard D. Lewis est un linguiste britannique qui a beaucoup travaillé sur la communication. Il a voyagé dans de nombreux pays (Asie de l’Est, Portugal, Finlande, Japon, entre autres), ce qui lui a permis de devenir consultant en communication multiculturelle.

matière de problèmes de communication entre les cultures s’intitule When Cultures Collide : Leading Across Cultures, et date de 1997.

La théorie de Richard Lewis repose sur l’idée de base que la communication ne passe pas seulement par le langage, mais englobe également tous les signes non verbaux qui nous permettent de tisser des liens avec les gens qui nous entourent, d’établir des relations avec autrui, de prendre confiance en nous, etc. Pour lui, la plupart des problèmes de communication auxquels nous nous trouvons confrontés sont dus aux écarts qui existent entre les différentes cultures. Il définit la culture comme suit : “Culture is a collective programming of the mind that distinguishes the members of one human group from another8”. Parmi les traits qui caractérisent les différentes cultures se trouvent bien sûr l’alimentation, la musique, l’art, mais aussi la façon de communiquer. Richard Lewis a établi que la plupart des problèmes d’incompréhension entre les cultures se situent dans les domaines suivants : les valeurs (ce en quoi nous croyons, la façon dont nous voyons le monde), les schémas de communication (notre manière de parler et d’écouter), notre conception de l’espace et, enfin, notre conception du temps (que nous avons vue avec Edward T. Hall). Examinons la façon dont Lewis a dessiné ce schéma de la communication. Le modèle de Lewis classe les cultures en trois catégories : multi-active, linear-active et reactive.

Les personnes appartenant à la première catégorie (multi-active) ont pour valeurs centrales la famille, les relations, les émotions, la loyauté. Ces valeurs se traduisent dans leurs comportements par le fait qu’elles parlent beaucoup et montrent facilement leurs émotions.

Celles de la deuxième catégorie (linear-active) sont plutôt attachées aux institutions et à la loi. Elles sont très polies et parlent moins que celles de la première catégorie, elles aiment planifier et apprécient que « les choses soient claires ». Très fières, elles sont plutôt carriéristes que centrées sur la famille.

Enfin, les personnes appartenant à la troisième catégorie (reactive) sont plutôt intuitives, polies ; elles ont besoin de tisser des liens sociaux pour être en harmonie avec les autres. Dans leurs comportements, elles sont très à l’écoute, diplomates, et font tout pour éviter les confrontations. Elles sont loyales mais dissimulent parfois leurs émotions9.

Selon le schéma de Lewis, nous constatons immédiatement que les cultures qui nous intéressent, à savoir les cultures américaine, japonaise et française, se trouvent à des points éloignés sur le schéma. Aussi ces cultures ne sont-elles pas prédisposées pour communiquer facilement. Dans Lost in Translation, nous remarquons que les deux personnages principaux, qui sont Américains (donc plutôt linear-active), éprouvent des

8 Commentaire de l’animation figurant sur le site de Richard Lewis : http://www.cultureactive.com (La culture est une programmation collective de l’esprit qui différencie les membres d’un groupe de personnes de ceux d’un autre groupe.)

9 Site de Richard Lewis, Richard Lewis Communication, http://www.crossculture.com/

difficultés à montrer leurs émotions. Bien que se trouvant à un moment de leur vie où ils ne supportent plus leur situation, ils ne laissent jamais exploser leur colère, et les rares moments où ils se laissent aller à l’émotion sont très vite contrôlés. Ainsi, à la minute 14, lorsque Charlotte, dans un moment de mélancolie, téléphone à son amie aux États-Unis, cette dernière n’étant pas du tout à l’écoute, Charlotte a tôt fait de se ressaisir et de dire à son amie que non, en fait, tout va bien…

Quant aux Japonais, ils sont davantage reactive, selon le schéma de Lewis. Dès le début du film, nous remarquons l’extrême politesse du personnel de l’hôtel, qui accueille Bob à son arrivée. Tout au long du film, l’équipe qui s’occupe de Bob reste à sa disposition, à son écoute. Nous verrons toutefois que le personnage du réalisateur de la publicité pour le whiskey déroge à cette règle : il est très démonstratif, crie beaucoup et fait de grands gestes, ainsi que nous pourrons l’observer dans l’analyse de la séquence 1.

3.2. Schéma de la communication de Richard Lewis

Avant d’aller plus loin, il nous faut noter que la théorie de Richard Lewis ne fait pas l’unanimité dans le monde des linguistes et des anthropologues. Nous pouvons, par exemple, y opposer l’école de Palo-Alto, fondée en 1952 par l’anthropologue Grégory Bateson, et dont les travaux sur l’étude du comportement interpersonnel révèlent que le comportement d’une personne en matière de communication ne se définit pas que par

son appartenance à une culture, mais aussi par les relations interpersonnelles qu’elle entretient avec son entourage10.

Nous venons de définir, dans ce deuxième chapitre, la notion de communication et plus spécifiquement la communication interculturelle. Puis, nous avons examiné ce qu’est la communication non verbale selon Edward T. Hall et selon Richard D. Lewis, et les différences qui existent en matière de communication non verbale (la proxémie) entre les cultures française, américaine et japonaise, dans la mesure où ce sont celles-là qui nous intéressent, dans le cas présent. En effet, la notion de communication est au cœur du film de Sofia Coppola, qui raconte l’histoire de deux Américains perdus à Tokyo se trouvant dans l’impossibilité de communiquer, non seulement avec les gens qui les entourent – car ils ignorent le japonais – mais aussi avec leurs proches – qui parlent pourtant la même langue qu’eux. Avec beaucoup de finesse et de sensibilité, ce film aborde les thèmes – universels – du manque de communication au sein du couple, avec nos proches, et de l’incompréhension avec les gens qui nous entourent, qu’ils parlent ou non notre langue.

Aussi, il nous est apparu que ce que veut souligner Coppola, c’est que le manque de communication n’est pas seulement un problème de langage (ce qui fait d’ailleurs dire à Sandrine Marques que Lost in Translation est « bien plus qu’un film sur le langage11 »), mais vient de notre manière d’appréhender l’autre en général.

C’est la raison pour laquelle nous avons voulu aborder l’étude du film sur le plan de la communication verbale d’une part (analyse de dialogues et de leurs sous-titres) mais aussi de la communication non verbale, d’autre part (analyse filmique : mouvements de caméra, lumières et couleurs des images, musique, kinésique et proxémique des personnages). Ce sont ces différents aspects de la communication que nous allons examiner à présent.

10 École de Palo-Alto : http://fr.wikipedia.org/wiki/École_de_Palo_Alto

11 MARQUES, Sandrine, « Lost in Translation, le miroir magique », article paru sur le site : http://lesiteducinephile.ifrance.com/

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Réalisé par Sofia Coppola en 2003, Lost in Translation est sorti aux États-Unis le 3 octobre 2003, et l’adaptation française est parue sur nos écrans le 7 janvier 2004. Dans le chapitre qui suit, nous avons choisi d’étudier plusieurs aspects de la communication autour de film. L’analyse de l’affiche, en comparant celle destinée au public anglophone et celle conçue pour le public francophone, nous donnera une idée générale des attentes que le spectateur peut avoir vis-à-vis du film. Puis, nous nous attacherons à explorer des aspects de la communication verbale et non verbale dans le film, en détaillant quatre séquences et leurs sous-titres, du point de vue de la communication verbale et non verbale, et enfin en décortiquant quelques dialogues que nous avons trouvés pertinents de ce point de vue.

Si nous avons choisi de nous concentrer sur la version sous-titrée plutôt que sur sa version doublée, ce n’est pas seulement parce que, sur le plan historique, les versions doublées ont été considérées, depuis les années 1950, comme étant de moins bonne qualité que les versions originales (Le Nouvel, 2007 : 7), c’est surtout parce que, selon nous, il est essentiel, en tant que traductrice, de disposer de la version originale (la voix des acteurs dans la langue de départ) en même temps que nous étudions sa traduction (les sous-titres dans la langue d’arrivée). La version que nous allons utiliser est celle du DVD français, les sous-titres ont été réalisés par Jacqueline Huet et Jean-Pierre Carasso, de la société Sous-titrage C.M.C.