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Analyse d’une séquence : tournage de la publicité Suntory

2. Communication dans le film : les séquences clés et leurs sous-titres

2.1. Analyse d’une séquence : tournage de la publicité Suntory

Cette séquence nous semble importante dans la mesure où le tournage de la publicité Suntory est la raison pour laquelle Bob se trouve à Tokyo. En découvrant les images de ce tournage, nous apprenons non seulement que Bob n’est pas du tout enthousiaste à l’idée de tourner cette publicité (cela se confirmera d’ailleurs dans la scène de la rencontre avec Charlotte, lorsqu’il lui avouera : « Je palpe deux millions de dollars pour la pub d’un whiskey, alors que je pourrais jouer au théâtre »), mais nous en apprenons aussi beaucoup sur l’incompréhension qui règne entre Bob et l’équipe de tournage japonaise. En effet, un long passage de cette séquence est en japonais et n’a pas été traduit, ni par l’interprète dans le film, ni par les sous-titreurs du film.

Lumières et couleurs

Le cadre de cette scène est un studio de cinéma, dans lequel Bob se rend pour tourner la publicité du whiskey Suntory, raison pour laquelle il se trouve à Tokyo. Cette scène, qui dure près de 3 mn 30, se passe entièrement dans le studio, lieu sombre, éclairé par un seul projecteur dirigé sur Bob. Outre le tapis rouge disposé sur la scène, ainsi qu’un rideau blanc à l’arrière du plateau, tout le mobilier est de couleur sombre. Le fait qu’il y ait peu de lumière et que les couleurs soient toujours très sombres confère à cette scène une atmosphère quelque peu oppressante, désagréable.

Effets sonores

Cette séquence ne comporte pas de musique mais seulement des dialogues. Il n’y a donc pas d’effet sonore notable, si ce n’est que le réalisateur vocifère beaucoup (plans

#11, #15, #17, #23, #25, #32, #34), ce qui contribue à instaurer un climat de tension, qui perdurera tout au long de la séquence.

Kinésique et proxémique

La kinésique, théorie du comportement communicatif qui passe par le corps en mouvement, a été inventée par l’anthropologue Ray Birdwhistell. Elle recouvre l’ensemble des gestes, postures et mouvements corporels, spontanés ou non, qui expriment le contexte de la relation en cours. Cet ensemble de gestes accompagne le langage oral ou se substitue à lui (Birdwhistell dans Drouin-Hans, 1995 : 25). La proxémique fut quant à elle inventée par Edward Twitchell Hall ; elle est l’étude des positions relatives des interlocuteurs, et de l’utilisation qu’ils font de l’espace en tant que produit culturel spécifique (Hall, 2006 : 13). La proxémique se penche sur l’étude des distances spatio-temporelles qui existent entre les locuteurs, et s'intéresse à l’usage et aux significations des silences dans une relation. En étudiant la kinésique et la proxémique des personnages présents dans cette scène, nous nous rendons compte que les trois

personnages centraux – Bob, le réalisateur de la publicité et son interprète – se trouvent tous en état de stress et de tension constante. Si le réalisateur va finir par laisser exploser sa colère à la fin de la scène, Bob, lui, n’en fera rien, et restera toujours impassible. La synergologie est la discipline qui permet de décrypter le fonctionnement de l’esprit humain à partir de la structure de son langage corporel afin d’offrir la communication la mieux adaptée. C’est une méthode de lecture spécialisée dans le décryptage des mouvements corporels inconscients20. Elle cherche à décrypter tous les petits gestes effectués par l’être humain sur son visage et son corps. Dans l’introduction de son étude, La synergologie, Philippe Turchet présente le paradoxe du comportement de l’être humain civilisé, poussé par son éducation, par sa culture, à refouler ses émotions, pour donner une image d’homme civilisé, éduqué :

En chaque être humain, deux profils se disputent la superbe de l’harmonie : un visage brut, instinctif, pulsionnel, sensuel, qui s’harmonise ou se déchire au gré des personnalités avec son autre face, éduquée, raffinée, conditionnée. D’une main, hommes et femmes s’autorisent ce que leur autre main censure. Ils voudraient dire qu’ils s’aiment et ils le cachent. Ils détestent en silence tandis que de leur voix sortent des paroles policées et calmes (Turchet, 2004 : 1).

Bien que cette théorie de Turchet soit controversée, elle se justifie dans cette scène, dans la mesure où nous savons que Bob n'est pas du tout enthousiaste à l'idée de tourner cette publicité. L'analyse filmique nous permet de le déduire, et les séquences suivantes, notamment la séquence 2 (la rencontre avec Charlotte) nous permettent d'étayer notre hypothèse.

Sur le plan kinésique, Bob, bien qu'occupant le centre de la scène sur le plan spatial, est en fait à l'écart, absent, à la manière de la jeune fille du tableau de Renoir, Le déjeuner des canotiers : « elle est au centre, mais elle est en dehors 21 ». En effet, lorsque son regard n’est pas perdu ou absent (plans #5, #12, #29), il est dubitatif (#16), agacé (#19, #31), ennuyé (#21), perplexe (#28), exaspéré (#31). Quant au plan #34, le dernier plan, il est impossible d'y déterminer ce qu’évoque le haussement de sourcils de Bob : agacement, ennui… Revenons au plan #21, où l’expression du visage de Bob correspond à ce que Philippe Turchet décrit comme le fait pour un être humain de « rentrer dans sa coquille ». En effet, ses deux lèvres sont pincées, elles sont tirées vers le fond de la bouche, et ses dents sont serrées. C’est l’expression de quelqu’un qui ne veut pas livrer sa pensée, qui se « ferme comme une huître » (Turchet, 2004 : 161).

Par ailleurs, les signes plastiques (couleurs, lumière) et la proxémique sont en totale opposition. En effet, les signes plastiques nous indiquent que Bob est un personnage important : acteur très connu, payé deux millions de dollars pour un spot publicitaire de quelques minutes, auquel on a déroulé le tapis rouge. Il a le luxe d’être

20 Définition prise sur le portail de la synergologie : http://www.synergologie.org/

21 L’homme de verre décrivant ce tableau de Renoir qu’il peint chaque année, dans le film Le fabuleux destin d’Amélie Poulain (2001) de Jean-Pierre Jeunet.

assis dans un confortable fauteuil tout au long de la séquence, alors que tous les autres personnages se tiennent toujours debout. Néanmoins, la proxémique nous révèle comment les Japonais considèrent réellement cet acteur auquel ils font tant de courbettes (comme dans la scène d’ouverture du film, où les salutations n’en finissent pas). Tout d’abord, le réalisateur ne s’adresse à Bob que pour lui donner des ordres (#3, #4, #15, etc.), jamais pour lui marquer son agrément. Lorsqu’il n’est pas satisfait de sa performance, il vocifère contre lui (#15, #17). Puis, aux plans #26, #27, #28 et #30, le réalisateur s’agenouille pour parler à Bob, comme il le ferait s’il s’adressait à un petit enfant. Il le rabaisse, l’infantilise, ne le prend pas au sérieux. De plus, du fait de sa position assise, Bob est filmé en plongée lorsque le réalisateur et l’interprète sont debout ou ne se penchent que légèrement pour lui parler (#6, #7, #14, #16, #18, #29), ou en contre-plongée (#26, #28). Or, quand un personnage est filmé en plongée, il paraît plus petit et n’est donc pas mis en valeur. Bob se trouve ainsi dans une position inférieure.

Enfin, le fait de ne pouvoir bouger de ce fauteuil fait qu’il n’est pas libre de ses mouvements, qu’il est comme cloué à son siège, prisonnier.

Le réalisateur japonais est le personnage central de cette scène. Il vole la vedette à Bob, qu’il traite plus comme un acteur de bas-étage que comme une star, ce qui contraste avec la courtoisie excessive dont usent les membres du personnel de l'hôtel à l'égard de Bob. Tous ses gestes nous démontrent qu’il est sous tension permanente, probablement parce que pour lui la réussite de ce spot publicitaire représente un enjeu sur le plan professionnel. Outre ses grands gestes de la main, nous remarquons, au plan

# 9, qu’il porte la main droite à son menton d’une façon que Philippe Turchet décrit comme l’expression du doute et de l’interrogation. En effet, selon lui :

Le menton est par excellence la zone sur laquelle l’homme exprime son attitude dubitative. La main sur le menton est une main vaguement interrogative […] L’homme frotte son menton parce qu’il ne sait pas trop comment il va s’y prendre. Il est dubitatif (Turchet, 2004 : 171).

Sur ce plan #9, non seulement le réalisateur porte la main à son menton, mais celle-ci est aussi ramassée sur elle-même, de la même façon que, toujours selon Philippe Turchet, l’esprit est ramassé sur lui-même. Ainsi, dans cette position, la personne peut penser à la façon du sage (qui se touche la barbe avec la main) (Turchet, 2004 : 172).

L’interprète a un rôle majeur dans cette scène, puisque sans elle, aucune communication entre Bob et le réalisateur n’est possible. Tout au long de la scène, elle nous apparaît nerveuse, tendue, hésitante, ne sachant trop comment traduire de façon brève et concise les questions que Bob lui demande de poser au réalisateur. Une explication possible à son comportement est qu’elle est sous pression, stressée par un réalisateur qui manque de temps pour son tournage. Dès les premières images (plan #3) elle apparaît immobile, guindée. Puis, lorsque Bob lui demande de poser une question au réalisateur, elle se dirige vers ce dernier en courant (#8), comme prise de panique.

Lorsqu’elle pose ses questions (#10), elle les accompagne de grands gestes, signes évidents de stress. Au plan suivant (#11), le réalisateur lui dit en japonais que le temps presse, que le sens dans lequel doit se tourner Bob importe peu. C’est probablement pour cette raison qu’elle choisit de ne pas traduire la plupart des dires du réalisateur.

Atmosphère

Tout au long de cette scène, l’atmosphère est très tendue. En premier lieu parce qu’il s’agit du tournage d’une publicité pour laquelle Bob ne fait pas preuve de beaucoup d'enthousiasme. Nous voyons bien à ses expressions et à ses mimiques, qu’il se trouve là plus par contrainte que par plaisir. En outre, tout au long de la scène, la communication s’établit très mal, entre Bob et le réalisateur d’une part, mais aussi entre le réalisateur et son interprète, du fait qu’elle ne traduit pas la totalité de ce qui est dit par le réalisateur.

Par ailleurs, nous remarquons que le tournage de la publicité nécessite deux prises de vue, la première correspondant au plan # 23 et la seconde au plan # 32. Nous imaginons aisément que toutes les prises de vue ne nous ont pas été montrées, mais qu’il en a fallu beaucoup plus que deux pour satisfaire ce réalisateur japonais. Tous les personnages de cette séquence sont sous l’effet du stress : le réalisateur, pris par le temps et anxieux du résultat de ce tournage, l’interprète, soucieuse de ne pas perdre trop de temps dans les explications qu’elle doit fournir à Bob, et enfin Bob lui-même qui, même s’il ne le laisse que très peu paraître, n’est pas du tout à son aise sur ce plateau de tournage.

Sous-titrages

Il nous faut souligner que la plupart des allocutions du réalisateur japonais ne sont pas traduites. Le spectateur, tout comme Bob, se trouve face à une langue qui lui est complètement inconnue ; ainsi, pour tenter de comprendre ce qui est en train de se dire, il ne peut que s'en remettre à l'interprète ou, en attendant, essayer de décoder les attitudes et les mimiques du réalisateur. Dans le cadre de notre analyse, nous avons demandé à un Japonais de nous traduire ce passage sibyllin. Ci-après figure sa proposition de traduction en anglais. Nous avons ensuite traduit le passage de l’anglais en français. Bien évidemment, il nous est impossible, étant donné notre ignorance de la langue japonaise, de vérifier si la traduction de cette personne est exacte.

Traduction en anglais du passage en japonais (08’53 mn à 11’57 mn)

(8:53) (Director): Mr. Bob, you are sitting in your private room. And there is a Suntory Whiskey on the table. You know what I am saying, don’t you?

Réalisateur : M. Bob, vous êtes assis chez vous, dans votre salon. Il y a du whiskey Suntory sur la table. Vous voyez ce que je veux dire, n’est-ce pas ?

(9:06) (Director): Please take a look at the camera gently and speak slowly like to your longtime friend with much feeling. Say “Toast to you. Suntory Time”. (End at 9:20)

Réalisateur : S’il vous plaît, regardez la caméra d’un regard doux et parlez lentement, comme à un vieil ami, avec beaucoup d’émotion. Dites : «À la tienne. Suntory time. »

(9:40) (Interpreter): He is ready to act. He asked, “Which is better to look at the camera from the left side or right side?

Interprète : Il est prêt. Il voudrait savoir s’il doit regarder la caméra en se tournant depuis le côté gauche ou le côté droit ?

(9:53) (Director): It does not matter. We do not have time, Mr. Bob. Hurry up. Raise your tension. Take a look at the camera and speak slowly. Do not forget passion. (End at 10:07)

Réalisateur : Aucune importance ! On n’a pas le temps. M. Bob, dépêchez-vous, s’il vous plaît, concentrez-vous. Regardez la caméra et parlez lentement. N’oubliez pas la passion.

(10:16) (Director): You are speaking not only about the whiskey. Do you know what I am saying? Please speak gently like you would to your old friend. Do not forget to raise your tension from your heart. (End at 10:29)

Réalisateur : Vous ne parlez pas que du whiskey. Vous comprenez ce que je vous dis ? S’il vous plaît, parlez avec douceur comme vous le feriez avec un vieil ami. N’oubliez pas de vous concentrer, mais avec plus d'intensité et d'émotion.

(10:34) (Director): Do you understand?

Réalisateur : Vous voyez ce que je veux dire ?

(10:36) (Director): You love whiskey. It’s Suntory Time. OK? (End at 10:40)

Réalisateur : Vous adorez le whiskey. C’est un moment Suntory, vous comprenez ?

(10:47) (Director): Let’s get started.

Réalisateur : Allons-y ! (10:49) (Director): Ready… Action!

Réalisateur : Prêts...Action !

(11:02) (Director): Cut, cut, cut, cut. Do you really understand? This is a Suntory’s “Hibiki”.

This is the most expensive whiskey in Suntory. Please have an elegant feeling. Hibiki is not daily alcohol. (End at 11:16)

Réalisateur : Coupez ! Coupez ! Coupez ! Coupez ! Est-ce que vous comprenez bien ? C’est du whiskey Suntory “Hibiki”. C’est le whiskey le plus cher de la marque Suntory. S’il vous plaît, faites preuve de davantage d’élégance. Le whiskey Hibiki n’est pas de l’alcool qu’on boit tous les jours.

(11:19) (Director): Have a wonderful feeling.

Réalisateur : Vous vous sentez merveilleusement bien.

(11:26) (Director): It’s a Suntory Time.

Réalisateur : C’est le moment où vous buvez votre whiskey Suntory.

(11:30) (Director): Let’s get started.

Réalisateur : Allons-y.

(11:32) (Director): Ready… Action!

Réalisateur : Prêts...Action !

(11:54) (Director): Cut, cut, cut, cut, cut, cut. Please. Hallelujah !

Réalisateur : Coupez, coupez, coupez, coupez, coupez, coupez, s’il vous plaît.

Hallelujah !

(Traduction du japonais en anglais réalisée par Takumi, un étudiant japonais).

En nous fondant sur la proposition de traduction en anglais de Takumi, nous observons qu'au cours de la séquence, le réalisateur prononce 188 mots22 à l'attention de Bob. L'interprète, elle, en prononce 35 (en anglais) lorsqu'elle s'adresse à Bob. Elle ne traduit donc que 18,6 % du message du réalisateur.

La lecture du tableau et de la traduction de ce qui se dit en japonais nous révèle ainsi que la plupart des allocutions du réalisateur japonais n’ont pas été traduites par l’interprète. Nous pensons que cela est un choix délibéré de la réalisatrice pour nous placer nous, spectateurs, au même niveau que le personnage de Bob. Nous pouvons comparer cette situation à ce que nous décrit Christian Viviani (2008 : 17-25) sur le fait de sous-titrer ou non certains passages en langue étrangère. Il prend pour exemple le film Chasse à l’homme de Fritz Lang, qui encense la démocratie américaine et dénonce l’idéologie nazie. Dans le film, les nazis sont stéréotypés comme « les méchants ». C'est pourquoi, lorsqu’ils parlent, leur accent est très prononcé, presque caricatural, et des phrases entières ne sont pas sous-titrées. Cette incompréhension va dans le sens du manichéisme recherché, dans la mesure où ce que l’on ne comprend pas est facilement ressenti comme porteur de menace. Les personnages, réduits à des sons dénués de sens, apparaissent encore plus antipathiques. Ce procédé se retrouve dans L’Espion qui venait du froid (1967), de Martin Ritt, ainsi que dans les westerns américains des années 1960, qui comportaient des phrases en espagnol non sous-titrées. Dans Lost in Translation, il est clair que Sofia Coppola a voulu jouer sur cette incompréhension des cultures et l’accentuer, au moyen de la barrière linguistique. À l’inverse, dans des films où l’on veut mettre en exergue la découverte de l’autre, le fait de comprendre l’autre, on sous-titre les dialogues qui sont en langue étrangère, comme dans le film humaniste

22 Compte établi à partir de la traduction en anglais, car nous ne possédons pas la transcription en japonais pour connaître le nombre de mots que ce personnage a prononcés dans sa langue.

Danse avec les loups (1990), de et avec Kevin Costner. Par ailleurs, les sous-titres témoignent de l’honnêteté intellectuelle du film (Viviani, 2008 : 17-25).

Dans ce passage, il est intéressant de relever que Sofia Coppola a pris la peine de demander à l'acteur japonais de délivrer un message cohérent, qui fait sens dans le contexte de cette scène. Elle aurait très bien pu dire à cet acteur de dire des inepties, en sachant que ni le public anglophone ni le public francophone ne le comprendraient.

En outre, il est intéressant de noter que la réalisatrice ne fait pas qu’accentuer l’incompréhension qui règne entre les deux cultures, mais opère aussi un transfert du personnage principal au spectateur, en le plaçant dans la même position que Bob. Nous pourrions en effet disposer de la traduction du passage en japonais dans la version française du DVD (ce qui serait techniquement faisable), mais ce n’est même pas le cas.

Le fait que nous possédions la traduction de ce qui se dit véritablement en japonais nous permet de comprendre plusieurs choses : d’une part, que ce réalisateur est à la fois très pressé de tourner son spot publicitaire (« Peu importe, on n’a pas le temps »,

#11), et très exigeant quant au résultat. En effet, non seulement il oblige son équipe à faire plusieurs prises, mais il demande à Bob de « prendre un air ému », de « faire monter l’émotion depuis son cœur », de « faire preuve de plus d’élégance », car il ne s’agit pas de n’importe quel whiskey, mais d’un whiskey haut de gamme. Pour résumer, il faut que Bob puisse tourner vite et bien un spot publicitaire, alors que ce qui l’intéresse véritablement, nous l’apprendrons quelques séquences plus loin, c’est de jouer au théâtre.

Quant à l’interprète, si elle ne traduit que très partiellement les dires du réalisateur, nous pensons que c’est d'une part parce qu’elle se sent prise par le temps et que, pour elle, il est plus important d’achever le tournage dans les temps que de fignoler les détails et d'autre part, parce que pour elle, toutes les indications que fournit le réalisateur à Bob ne sont pas pertinentes. Pourtant, à quatre reprises au cours de la scène, le réalisateur demande à Bob s'il a bien compris ce qu'il était en train de lui expliquer (« n'est-ce pas? »,

« vous comprenez ce que je veux dire? »), preuve que pour lui cela a son importance.

Cette constatation nous amène à la conclusion suivante : l'interprète a un rôle majeur, un rôle clé et, dans cette scène, elle fait le choix délibéré d'omettre une très grande partie du message qu'elle a à faire passer. C'est elle qui a le plus de pouvoir dans cette scène.