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2. Communication dans le film : les séquences clés et leurs sous-titres

2.4. Analyse d’une séquence : scène d'adieu

Cette séquence est la dernière scène du film. C’est le matin du départ de Bob.

Quelques minutes auparavant, il a dit au revoir à Charlotte dans le hall de l’hôtel, celle-ci lui a rendu la veste qu’elle lui avait empruntée. Ce geste a une valeur symbolique, puisqu’il rappelle ce que font les couples avant de se séparer : ils se rendent les objets qu’ils s’étaient prêtés. Ensuite, Charlotte est remontée dans l’ascenseur et Bob a cru qu’il ne la verrait plus. Il se trouve désormais dans le taxi qui le conduit à l’aéroport et, par hasard, il aperçoit Charlotte au loin et décide d’aller lui dire quelque chose.

Lumières et couleurs

Cette scène se passe le matin dans une lumière orangée de lever de soleil, qui confère à la scène une atmosphère très douce. Cette lumière est visible aux #8, #14, #22,

#24, #26 et #33. Au niveau symbolique, le fait que Bob quitte Tokyo tôt le matin est chargé de sens : avec la nouvelle journée qui s’annonce, c’est un nouveau départ pour les deux ; ils peuvent à présent tourner la page et poursuivre leur chemin. C’est ce qu’ils font, puisque Bob s’en va à l’aéroport tandis que Charlotte continue de marcher : #33.

Effets sonores

Ce passage contient peu d’effets sonores. Dans la première partie de la séquence (#1 à #23), nous entendons seulement le bruit lointain de la foule, mais c’est un bruit étouffé, que nous percevons difficilement. Après que Bob a prononcé la réplique centrale de cette séquence, sur laquelle nous reviendrons ci-après, les premières notes de la chanson de The Jesus & Mary Chain, Just like honey, commencent à résonner. Elles s’amplifient au fur et à mesure que les deux personnages s’éloignent l’un de l’autre. Ces premières notes, jouées à la batterie, ne sont pas sans rappeler les battements du cœur de quelqu’un qui est amoureux. La musique, dans ce passage, revêt un caractère emphatique. C’est ce qu’explique Michel Chion sur l’utilisation de la musique dans les films en général, qui « exprime directement sa participation à l’émotion de la scène, en revêtant le rythme, le ton, le phrasé adaptés, cela évidemment en fonction de codes culturels de la tristesse, de la gaité, de l’émotion et du mouvement » (Chion, 2005 : 11).

Dans ce passage, la musique de fin a autant d’importance, voire davantage, que les dialogues, puisque nous n’entendons pas la principale réplique de cette scène. À ce sujet, nous aimerions citer les propos de Jean Renoir :

Les gens se figurent que dans un film parlant, seul le dialogue compte. Je crois au dialogue mais il n’est qu’une partie du son. Pour moi, un soupir, le grincement d’une porte, des pas sur le pavé, peuvent être aussi éloquents qu’un dialogue (Renoir, 1987 : 95).

Pour finir, la chanson Just like honey se prolonge jusqu’au générique de fin, en s’intensifiant à mesure que la voiture de Bob s’éloigne dans la ville.

Kinésique et proxémique

Dans ce passage, les deux personnages vont se rapprocher pour se retrouver à une distance que Hall qualifie de « très près » (Hall, 2000 : 210). À cette distance, leurs paroles ne sont que murmures. Nous n’entendons d’ailleurs pas ce qu’ils se disent. Nous observons que, entre la séquence 2 et celle-ci, les personnages sont passés d’une distance « neutre » à « près » puis « très près ». Non seulement la distance entre les personnages s’est réduite, mais il en a été de même de la distance qui sépare les personnages de la caméra. Ainsi, l’échelle des plans, qui « rend compte de la distance de la caméra par rapport au sujet filmé » (Journot, 2002 : 40), témoigne de la proximité qui s’est établie entre les deux personnages. Sur l’ensemble de la séquence, qui comporte 34 plans, 15 sont des gros plans, soit presque la moitié de la scène. À propos de ce rapprochement des personnages, Sandrine Marques note que :

L’ultime étreinte dans la rue ne dira rien de plus sur la nature des sentiments éprouvés par Bob et Charlotte. Cette rencontre évidente se passe de mots, s’affranchit de tout commentaire. Son intensité tient à son caractère éphémère. En un lieu et un temps donnés, deux êtres se sont trouvés et leur vie en a été bouleversée.

Ils se séparent définitivement, enrichis de cette rencontre, entament un nouveau cycle comme le signifie la structure circulaire du film qui s’ouvre par l’arrivée de Bob à Tokyo et se clôt par son départ39.

En effet, cette séquence est à l’image de l’ensemble du film : elle s’ouvre par l’arrivée de Bob dans le taxi (#1) et se clôt par son départ (#34). La structure circulaire du film se trouve donc enchâssée dans cette dernière séquence. Cette scène est d’ailleurs admirablement bien construite ; elle n’utilise que des coupes franches pour passer d’un plan au suivant, alternant ainsi les gros plans sur Bob, puis sur Charlotte, leur donnant autant d’importance à tous deux. La coupe franche, qui induit une rupture dans le mouvement de la caméra, évoque la cassure, le fait que la relation ne peut aller plus loin.

Atmosphère

Cette séquence prend, sous tous ses aspects, le contrepied de la séquence 3. La séquence précédente situait l’action au milieu de la nuit alors qu’à présent c’est le petit matin. Dans la séquence 3, les deux personnages se retrouvaient, leur union étant symbolisée par le fait que Bob prend dans sa main le pied de Charlotte. À l’inverse, cette dernière séquence marque leur séparation, qui est, de surcroît, définitive. La lecture

39 MARQUES, Sandrine, “Lost in Translation, le miroir magique”, article paru sur le site : http://lesiteducinephile.ifrance.com/ (consulté le 15.07.2010)

consécutive de ces deux séquences évoque la métaphore du couple qui se sépare au petit matin après une nuit passée ensemble. Par ailleurs, l’atmosphère de cette scène est baignée de douceur, puisque l’action se déroule dans la lumière tiède du petit matin.

Contrairement aux trois séquences étudiées précédemment, celle-ci se situe en extérieur.

Toutefois, la foule n’empêche pas les deux personnages de se retrouver, de créer leur espace d’intimité au milieu du monde. Les bruits qui émanent de cette foule sont d’ailleurs très lointains, et à peine audibles.

Sous-titrage

Dans cette séquence, presque aucune parole n’est échangée. La force de cette scène – et du film dans son ensemble, selon de nombreux spectateurs – tient dans la réplique prononcée par Bob à l’oreille de Charlotte, qui est sous-titrée ainsi : [ Whispering – indistinct ]. En effet, le spectateur n’est pas en mesure de comprendre ce que dit Bob.

Ainsi, la richesse du film réside d’abord dans le fait que nous ne savons pas ce qu’il lui a dit, et que chacun peut imaginer ce qu’il désire. Par curiosité, nous avons cherché à découvrir quelle pouvait être cette réplique. De nombreux fans du film ont tenté de répondre à cette question. Certains ont digitalisé le son et ont écouté le passage au ralenti, ce qui leur a permis de conclure que Bob aurait dit à Charlotte “I have to be leaving, but I won’t let that come between us, okay40 ?” qui a été traduit par «Je dois partir, mais cela n’efface rien de ce qu’il y a entre nous41».

Dans cette ultime séquence, Coppola joue donc une fois de plus avec les attentes du spectateur. Certes, Bob et Charlotte ont un échange verbal, et ce qui se dit entre eux à ce moment-là est crucial, mais la réalisatrice refuse de nous en faire part. Par la même, elle renonce à la communication verbale avec le spectateur, et ne lui offre que des images et un dialogue virtuel. Aussi semble-t-elle vouloir nous déléguer l’écriture des dernières lignes de son scénario. Tout comme David Lynch, Coppola refuse de servir au spectateur des films prémâchés, et préfère susciter chez lui la réflexion, sans jamais étayer ni réfuter les différentes interprétations qu’il peut imaginer.

Ainsi, à travers l’analyse de ces différentes séquences, nous voyons que Coppola a réussi à démontrer que, ce que les mots ne peuvent dire, d’autres signes le peuvent.

Souvent, dans la relation qui s’est créée entre Bob et Charlotte, les mots ont fait place aux gestes, aux sourires, aux paroles de chansons… c’est-à-dire à toute une série de signes qui permettent de communiquer, au-delà des mots. Enfin, nous voudrions citer Zoë Petit, selon qui, dans le message audiovisuel

40 Ce n’est là qu’une supposition. Cette réplique, qui n’émane d’aucune source fiable, mais seulement de blogs de fans du film, n’a jamais été revendiquée par Sofia Coppola. Parmi les sites consultés : http://popcritics.com/ (consulté le 27.7.2010).

41Ibid.

une tension s’installe entre le « dit » et le « non-dit » car l’image peut « montrer » ce que les mots ne peuvent pas exprimer ou ce que le réalisateur ne veut pas dire explicitement. Chaque signe en tant qu’entité discrète contribue à la compréhension et à l’interprétation globale du message filmique. Les rapports entre les différents signes tissent un réseau de signification (Petit, 2008 : 102).

L’étude de ces quatre séquences nous a donc permis d’observer quels étaient les moments où la communication était établie (séquences 2, 3 et 4) et ceux où elle ne l’était pas (séquence 1). Nous voudrions à présent nous pencher sur des dialogues et des non-dits de ce film, pour y faire les mêmes observations.