• Aucun résultat trouvé

L’affiche d’un film en tant que signe linguistique

1. Communication autour du film : l’affiche

1.1. L’affiche d’un film en tant que signe linguistique

!

Réalisé par Sofia Coppola en 2003, Lost in Translation est sorti aux États-Unis le 3 octobre 2003, et l’adaptation française est parue sur nos écrans le 7 janvier 2004. Dans le chapitre qui suit, nous avons choisi d’étudier plusieurs aspects de la communication autour de film. L’analyse de l’affiche, en comparant celle destinée au public anglophone et celle conçue pour le public francophone, nous donnera une idée générale des attentes que le spectateur peut avoir vis-à-vis du film. Puis, nous nous attacherons à explorer des aspects de la communication verbale et non verbale dans le film, en détaillant quatre séquences et leurs sous-titres, du point de vue de la communication verbale et non verbale, et enfin en décortiquant quelques dialogues que nous avons trouvés pertinents de ce point de vue.

Si nous avons choisi de nous concentrer sur la version sous-titrée plutôt que sur sa version doublée, ce n’est pas seulement parce que, sur le plan historique, les versions doublées ont été considérées, depuis les années 1950, comme étant de moins bonne qualité que les versions originales (Le Nouvel, 2007 : 7), c’est surtout parce que, selon nous, il est essentiel, en tant que traductrice, de disposer de la version originale (la voix des acteurs dans la langue de départ) en même temps que nous étudions sa traduction (les sous-titres dans la langue d’arrivée). La version que nous allons utiliser est celle du DVD français, les sous-titres ont été réalisés par Jacqueline Huet et Jean-Pierre Carasso, de la société Sous-titrage C.M.C.

1. Communication autour du film : l’affiche

1.1. L’affiche d’un film en tant que signe linguistique

L’analyse de l’affiche d’un film permet de mieux comprendre quelles peuvent être les attentes du spectateur face à ce film. Une affiche est « une feuille imprimée, manuscrite ou peinte, plus rarement une toile, qu'on applique sur un mur, un panneau, un cadre accessible au public pour l'avertir de quelque chose12 ». L'affiche est avant tout une technique de communication de masse. C’est la première image que nous voyons du film.

En ce sens, elle est souvent un élément décisif dans notre choix d’aller ou non voir le film.

C’est la raison pour laquelle nous nous proposons, avant même de commencer notre analyse du film, d'ébaucher une analyse de l’affiche, afin de voir ce qu’elle nous enseigne du point de vue de la communication. Une affiche est avant tout une image, c’est-à-dire un signe, qui fonctionne selon des codes bien précis.

12Trésor de la langue française, http://atilf.atilf.fr/.

Pour bien comprendre ce que communique une affiche d’un point de vue sémiotique, il nous faut partir de la définition du signe. Cette notion a été introduite en 1915 par le linguiste Ferdinand de Saussure dans son Cours de Linguistique générale, dans lequel il définit le signe linguistique comme étant la relation entre une image acoustique – le signifiant – et le concept qui lui est associé – le signifié (Stam, 1999 : 8) :

Le signe linguistique unit non une chose et un nom, mais un concept et une image acoustique. Cette dernière n’est pas le son matériel, chose purement physique, mais l’empreinte psychique de ce son, la représentation que nous en donne le témoignage de nos sens ; elle est sensorielle, et s’il nous arrive de l’appeler « matérielle » c’est seulement dans ce sens et par opposition à l’autre terme de l’association, le concept, généralement plus abstrait (De Saussure, 1990 : 98).

Cette relation entre le signifiant et le signifié est à la base de tout le travail de Saussure en matière de linguistique, la science qui a pour objet l'étude du langage, des langues envisagées comme systèmes sous leurs aspects phonologiques, syntaxiques, lexicaux et sémantiques13. Saussure a défini deux branches dans la linguistique : la sémiotique, qui étudie le signifiant, et la sémiologie, qui a pour objet l’étude de

« l’ensemble des systèmes fondés sur l’arbitraire du signe » (De Saussure, 1990 : 100).

C’est à partir de cette distinction que nous analyserons plus tard les séquences du film selon les codes cinématographiques suivants : angle, échelle, composition de l’image, couleur et son, iconographie et valeur transmise. À l’intérieur de cette distinction, chaque signe visuel devient un signe linguistique : les angles de la caméra sont des signifiants, qui ont leurs propres codes, ou signifiés. Ainsi, un plan en contreplongée signifie, de façon générale, la mise en valeur d’un personnage en l’agrandissant vu depuis en bas.

Martine Joly, professeur spécialiste des métiers de l’audiovisuel, rappelle quelles sont les trois sortes de signes pour Peirce : les signes iconiques (ou icônes), les indices et les symboles, qui entrent dans la catégorie des signes linguistiques (Joly, 1994 : 30). C’est l’interaction entre ces trois types de signes qui crée le message visuel, lequel devient bien plus qu’une simple image. Ainsi, le signe iconique est un objet, un type de représentation du monde, également appelé par Umberto Eco “reconstruction”, et sa lecture fait appel aux connaissances du spectateur, à ce qu’il sait sur le monde. Le signe iconique a une fonction déictique, il désigne directement l’objet auquel il se réfère et il lui ressemble. Un portait, une image, une peinture ou une statue sont des signes iconiques. Pour Martine Joly, lire un signe iconique signifie identifier l’objet, le classifier, et enfin le voir en tant que concept (Joly, 1994 : 98).

Vient ensuite l’indice, qui est en relation de causalité directe avec ce qu’il représente. La fumée représente le feu, le nuage indique la pluie, etc. Martine Joly définit l’indice comme une « image-trace » dans la mesure où il y a une correspondance directe entre le signe et son signifié. La photographie en est le meilleur exemple (Joly, 2002 : 96).

13Trésor de la langue française, http://atilf.atilf.fr/

La troisième catégorie de signes est celle des symboles, les signes qui représentent un objet seulement grâce aux conventions déjà établies. La relation entre le signe et son interprétation est, dans ce cas, arbitraire. Mentionnons, par exemple, l’allégorie de la justice, représentée de façon conventionnelle par une femme aveugle et armée tenant une balance : elle est aveugle car elle ne doit pas se laisser berner par ce qu’elle pourrait voir, elle tient une balance car elle doit peser le pour et le contre, et elle est armée car elle doit trancher. À propos des symboles, Saussure écrit que :

On s’est servi du mot symbole pour désigner le signe linguistique, ou plus exactement ce que nous appelons le signifiant. Il y a des inconvénients à l’admettre, justement à cause de notre premier principe. Le symbole a pour caractère de n’être jamais tout à fait arbitraire ; il n’est pas vide, il y a un rudiment de lien naturel entre le signifiant et le signifié. Le symbole de la justice, la balance, ne pourrait pas être remplacé par n’importe quoi, un char, par exemple (De Saussure, 1990 : 101).

La plupart des mots que nous utilisons, donc le langage verbal, sont aussi des symboles, dans la mesure où il n’y a pas de lien évident entre ce qu’ils sont et ce qu’ils signifient, sauf en ce qui concerne les onomatopées. Les trois types de signes que nous venons d’évoquer peuvent se résumer ainsi : l’icône est le signe qui ressemble, l’indice, le signe qui « touche » et le symbole, le signe convenu (Joly, 2002 : 96).

Martine Joly mentionne également les signes plastiques, qui doivent être lus au niveau visuel uniquement, dans la mesure où ils se réfèrent à la couleur, à la lumière, à la forme et à la composition d’une image. Toutefois, le signe plastique est lié au signe iconique (Joly, 1994 : 100-101). Il s’agit principalement des signes cinématographiques que nous allons étudier plus loin : échelle, angle, mouvement de caméra, lumière et couleur, effets sonores, etc.

Selon le logicien Charles Sanders Peirce, un signe linguistique est « quelque chose qui tient lieu pour quelqu’un de quelque chose sous quelque rapport ou à quelque titre » (Peirce cité d’après Stam, 1999 : 5). Ce qui nous permet d’associer une idée ou un objet (signifiant) à l’évocation d’un concept (signifié) s’appelle la sémiosis. C’est ainsi que Peirce est à l’origine de la sémiotique, la théorie des signes. Depuis Peirce, on admet trois branches dans la sémiotique : la sémiotique pure, qui concerne la linguistique et la philosophie du langage ; la sémiotique descriptive, qui étudie les comportements sociaux non verbaux et les langages non verbaux ; et la sémiotique appliquée, qui s'intéresse à la pragmatique et aux rapports entre signe et individu (Joly, 1994 : 13). C’est évidemment aux deux premières branches que nous allons nous intéresser le plus.

Nous allons à présent voir dans quelle mesure les signes figurant sur l’affiche de Lost in Translation peuvent être lus à des niveaux différents et ce qu’ils nous enseignent en matière de communication, verbale ou non verbale. Avant de passer à la lecture de l’affiche, il nous faut mentionner deux niveaux de lecture possible, qui sont la connotation et la dénotation. La dénotation est le fait de nommer quelque chose à l’aide de mots, qu’il s’agisse d’un objet ou d’une idée à laquelle on souhaite se référer. Ce que dénote un mot

relève donc du domaine de l'explicite. Au sens propre, dénoter, c’est être le signe de quelque chose14. Au cinéma, la dénotation est, selon Christian Metz, la narration elle-même, elle renvoie au « sens littéral (c’est-à-dire perceptif) des spectacles que reproduit l’image, ou des bruits que reproduit la bande-son » (Metz, 1994 : 99). La dénotation comprend donc tout ce qui renvoie à l'objectivité et tout ce à quoi renvoie un signe linguistique lorsqu'il est lu à un premier niveau de lecture. Dans nos tableaux d’analyses de séquences, les niveaux de lecture correspondant à la dénotation figureront dans la colonne intitulée « iconographie ».

Au contraire, la connotation est « le sens particulier d’un mot, d’un énoncé qui vient s’ajouter au sens ordinaire selon la situation ou le contexte15 ». La connotation, c’est donc tout ce qu’évoque un mot, une expression, indépendamment de sa signification. Ce que Roland Barthes appelle « discours de la connotation » (Joly, 1994 : 134) renvoie à un second niveau de lecture. La connotation fait appel à notre subjectivité en tant que communauté, c’est le sens que nous donnons nous-mêmes aux signes qui nous entourent. En d’autres termes, la connotation que nous attribuons à un signe dépend de notre bagage cognitif et de nos propres grilles de lecture.

Ainsi, les deux affiches que nous nous proposons d’analyser peuvent-elles être lues à différents niveaux de lecture, car elles comprennent différentes sortes de signes.

Nous allons à présent décrire les affiches américaine et française de Lost in Translation en identifiant quels en sont les images et les signes linguistiques, afin de tenter de décrypter les intentions des concepteurs de l’affiche et de comparer quels sont les effets produits sur le spectateur anglophone puis sur le spectateur francophone. Cette comparaison fera appel à des notions de localisation, c’est-à-dire à l’adaptation à une autre culture, à un public différent, et notamment en ce qui concerne le traitement de la phrase d’accroche, puisque le titre lui-même n’a pas été traduit. Le site Lisa (Localization Industry Standards Association) nous donne la définition suivante de la localisation :

Localization is the process of modifying products or services to account for differences in distinct markets (including language and cultural differences)16[...].

Ainsi, nous pouvons considérer que pour adapter un film, produit destiné à être exporté sur le marché international, il va falloir faire appel à des notions de localisation.

Nous avons choisi de comparer les affiches américaine et française du film, bien qu’il en existe d’autres, car ce sont elles qui nous intéressent, dans la mesure où notre étude porte sur la traduction du film de l’anglais en français.

14Trésor de la langue française, http://atilf.atilf.fr/.

15Le Petit Robert de la langue française, 2006.

16 http://www.lisa.org. « La localisation est le procédé qui consiste à modifier des produits ou des services en prenant en compte les différences sur des marchés différents (y compris les différences de langage et les différences culturelles) ».