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2. Communication dans le film : les séquences clés et leurs sous-titres

2.2. Analyse d’une séquence : scène de rencontre

Lumières et couleurs

Le cadre de cette séquence est le bar de l’hôtel ; c’est la nuit. À l’extérieur, nous distinguons au loin les lumières de la ville, qui sont floues. Le bar de l’hôtel est éclairé d’une lumière tamisée. Sur le comptoir se trouvent des petites lampes à la lumière

blanche. Toutes les lampes sont identiques ; le décor est impersonnel, même s’il se veut chaleureux.

Effets sonores

Tout au long de la scène, une musique douce, du type de celles qu’on entend dans les salles d’attente de médecins, accompagne le dialogue entre les deux personnages. C’est une musique qui invite le client du bar de l’hôtel à se mettre à son aise et à s’installer pour consommer.

Kinésique et proxémique

Cette séquence est la séquence du film où Bob et Charlotte font connaissance.

Nous sommes à la 32ème minute du film, qui en comporte 101 (1h 41). La séquence se situe donc à peine au terme du premier tiers du film. Nous savons, en tant que spectateurs, que les deux personnages se sont croisés, à la minute 08, dans l’ascenseur de l’hôtel, mais ils ne s’étaient pas parlé : le regard de Bob s’était porté sur Charlotte, et celle-ci avait esquissé un sourire. Puis, à la minute 24, ils s’étaient de nouveau croisés dans le bar de l’hôtel, et Charlotte avait offert un verre à Bob, par l’intermédiaire du serveur. Bob avait levé le verre dans la direction de Charlotte, il avait bu puis avait quitté le bar. Dans la séquence 2, les deux personnages sont assis côte à côte (c’est Charlotte qui vient s’asseoir près de Bob, #1), à une distance d’un mètre environ. Dans son étude sur la communication non verbale, Le Langage silencieux, Edward T. Hall a établi une correspondance entre les distances d’interaction et l’intensité de la voix pour chaque situation de communication (pour les Américains) (Hall, 2000 : 210) :

1. très près (10 à 20 cm) Murmures, top secret.

2. près (25 à 35 cm) Murmure audible, très confidentiel.

3. rapproché (40 à 60 cm) À l’intérieur, voix douce ; à l’extérieur, voix normale ; confidentiel.

4. neutre (60 cm à 1 m) Voix douce, volume peu élevé, information personnelle.

5. neutre (1,20 à 1,50 m) Voix normale, information non personnelle

6. distance publique (1,60 à 2,40 m) Voix normale légèrement élevée : information publique destinée à l’entourage 7. à travers la pièce (2,40 à 6 m) Voix forte : information à un groupe 8. distances plus ou moins grandes 6 à 7,40 m à l’intérieur ; à

l’extérieur, jusqu’à 30 m. À portée de voix (adieux).

Nous pensons que, dans cette séquence, Charlotte et Bob se trouvent à une distance « neutre », selon le tableau de Hall. Cette distance leur permet de parler d’une voix douce et d’échanger des informations personnelles, c’est-à-dire des informations que les autres clients du bar ne peuvent entendre. Le fait que la lumière soit tamisée contribue également au rapprochement des personnages ; cela a été constaté par Hall dans La dimension cachée (Hall, 2006 : 147). Il nous semble d’ores et déjà intéressant de comparer cette séquence avec les prochaines que nous étudierons, à savoir le retour du club de strip-tease (séquence 3) et la scène d’adieu (séquence 4), en ce qui concerne l’évolution des rapports entre Bob et Charlotte. En effet, dans la séquence 3, les deux personnages se trouvent à une distance qui est « près » selon le tableau de Hall, puisqu’ils sont étendus l’un contre l’autre sur le lit de Bob et, dans la dernière séquence, ils sont « très près », puisque Bob murmure quelque chose à l’oreille de Charlotte. Tout au long de l’intrigue, l’évolution de la complicité entre les deux personnages se traduit donc naturellement par un rapprochement sur le plan spatial, qui se traduit par l’étreinte finale et le baiser de la scène d’adieu, mais nous y reviendrons plus loin.

En ce qui concerne la kinésique, nous remarquons que les gestes des deux personnages sont très lents, très mesurés. Bob ne cesse de manipuler son verre de whiskey (notamment au moment où il imite ironiquement son texte de la publicité, #2, #3,

#4, #5). Charlotte est sans cesse en train de jouer avec son paquet de cigarettes (#1, #2,

#3, #4, #5), de la même façon que nous saisissons le premier objet qui nous tombe sous la main lorsque nous nous trouvons dans une situation où nous sommes mal à l’aise face à quelqu’un qui nous impressionne (entretien d’embauche, rendez-vous, etc.). Bob fait toujours preuve de retenue, alors que Charlotte se détend peu à peu : nous la voyons sourire et même rire au petit numéro de Bob sur le whiskey (#3). Les mouvements de caméra pour passer de l’un à l’autre sont toujours des coupes franches, qui sont le propre du montage sec utilisé pour le dialogue (Journot, 2002 : 29). Les deux personnages, filmés de la même façon et sur le même plan, sont donc traités sur un pied d’égalité, à l’inverse de la séquence 1, dans laquelle Bob était traité différemment des autres personnages. Dès le #3, la méfiance de Charlotte se dissipe et, même si elle préfère la valeur sûre de la vodka tonic au whiskey que lui propose Bob, elle se détend peu à peu et se sent en confiance avec lui. Au fil du dialogue, les sourires de Charlotte sont de plus en plus francs et, au plan #10, une complicité est en train de naître entre les deux personnages. Au plan #19, Charlotte observe Bob avec intensité : elle s’intéresse réellement à lui. Il est manifestement la première personne digne d’intérêt, sur le plan intellectuel, qu’elle rencontre depuis qu’elle est arrivée à Tokyo.

D’un point de vue cinématographique, cette scène est très bien construite, car elle se termine sur le même plan qu’elle s’est ouverte ; en effet, les plans #1 et #20 sont

parfaitement identiques. Ainsi, avec son lever de rideau marqué par l’entrée en scène de Charlotte, et son tomber de rideau qui se traduit par le silence des deux personnages et la coupe franche pour passer à la scène suivante, cette scène de rencontre revêt des aspects théâtraux.

Atmosphère

L’atmosphère feutrée et douillette de l’intérieur du bar de l’hôtel Park Hyatt, est, comme nous l’avons dit, impersonnelle. Les deux personnages commencent à se détendre dès que Bob fait son imitation de la publicité Suntory. Ensuite, les personnages arrivent à sourire et à rire après quelques minutes. Une relation assez intime se crée, puisque Bob avoue de but en blanc à une personne qu’il ne connaît pas – bien qu’elle soit une compatriote – qu’il fuit sa femme, oublie l’anniversaire de son fils et tourne une publicité alors qu’il préfèrerait jouer une pièce de théâtre. Normalement, on ne parle de choses aussi intimes qu’avec un ami proche, et non avec quelqu’un que l’on vient de rencontrer.

Or, dans cette scène, les deux personnages se sentent immédiatement proches, non seulement parce qu’ils sont tous deux des Américains perdus à Tokyo, mais aussi parce qu’ils se sentent tout de suite proches : il y a une réelle compréhension mutuelle.

Cette scène est la première où les deux personnages peuvent se confier à un compatriote.

Sous-titrage

Quelques expressions employées dans ce court dialogue nous semblent intéressantes à commenter sur le plan stylistique.

À la fin de la scène, Bob rassure Charlotte, en lui promettant qu’elle finira par trouver ce qu’elle veut faire de sa vie (“I’m sure you’ll figure out the angles”, #16). Cette expression, to figure out the angles, est traduite par : trouver votre voie. Selon The Oxford English dictionary, to figure out signifie : to think about somebody/something until you understand them/it.23 Dans des dictionnaires bilingues nous trouvons des traductions telles que trouver, arriver à comprendre. Ainsi, cette traduction est une concentration, dans le sens où deux termes en anglais sont rendus par un seul terme en français. En effet, selon Vinay et Darbelnet, la concentration est « la concentration de plusieurs signifiés sur un plus petit nombre de signifiants, ou même d’un seul » (2003 : 7). Par ailleurs, la traduction française employée dans le sous-titrage modifie quelque peu le sens de ce qui est dit par le personnage en anglais. En effet, en anglais, il y a l’idée de passer du temps pour chercher à comprendre quelque chose, d’y réfléchir longuement, alors

23 Définition trouvée dans The Oxford English dictionary : http://www.oxfordadvancedlearnersdictionary.com

qu’en français, « trouver » peu avoir un sens immédiat. Il n’y a pas cette idée de temporalité.

Le contraire de la concentration est la dilution, qui est la répartition d’un signifié sur plusieurs signifiants (Vinay & Darbelnet, 2003 : 7). Nous en avons un exemple au plan suivant, lorsque Bob explique qu’il se trouve à Tokyo pour tourner une publicité pour un whiskey, au plan #6 : to endorse a whiskey, est traduit en français par : « faire la publicité pour un whiskey ». Selon The Oxford English dictionary, to endorse signifie : to say publicly that you support a person, statement or course of action, comme premier sens, mais le second sens nous intéresse davantage : to say in an advertisement that you use and like a particular product so that other people will want to buy it24. Dans notre contexte, il s’agit bien de faire la promotion d’un produit. Ainsi, la traduction française du sous-titre qui est proposée est adéquate, puisqu’elle se rapporte au second sens.

Lorsque Bob affirme ironiquement à Charlotte que la philosophie est une discipline qui rapporte gros, Charlotte explique que, pour le moment, cela n’a pas encore été le cas.

Elle parle même de « bénévolat », mais elle n’emploie pas l’expression de « voluntary work ». Elle préfère l’expression latine « pro bono », que le dictionnaire juridique The Black’s Law Dictionary définit comme suit : « being or involving uncompensated legal services performed especially for the public good » (Campbell Black, 2004 : 1240). Pour trouver une définition de ce terme en anglais, il nous a fallu chercher dans un dictionnaire juridique. En français, cette expression n’a pas de traduction ; l’encyclopédie libre Wikipédia nous indique que c’est une expression juridique qui signifie « pour le bien public »25. Cette expression, utilisée en anglais par Charlotte, est donc un emprunt, qui consiste à conserver le terme de la langue de départ, et qui est le plus simple de tous les procédés de traduction. Généralement, il apparaît en cas de lacune métalinguistique, mais il peut aussi être utilisé si le traducteur souhaite créer un effet stylistique (Vinay &

Darbelnet, 2003 : 47). Ici, le fait que Charlotte emploie une expression latine nous révèle plusieurs aspects de sa personnalité : tout d’abord, c’est une intellectuelle qui a fait des études supérieures ; ensuite, elle est certaine que Bob, qui est au départ acteur de théâtre, connaît le latin et comprendra donc sa façon de parler. En ce qui concerne la personnalité de Charlotte, nous pouvons supposer que, si elle se sent si différente des gens qui l’entourent, c’est aussi parce qu’elle éprouve un sentiment de supériorité, du fait de son long cursus universitaire. Son mari le lui reproche dans la scène de la rencontre avec Kelly, l’actrice blonde, qui a choisi pour nom de code Evelyn Waugh, pour ne pas être importunée lorsqu’elle se trouve à l’hôtel, sans savoir qu’Evelyn Waugh était un homme. De la même manière, nous pensons que quiconque en France ayant fait un

24 Définition trouvée dans The Oxford English dictionary, http://www.oxfordadvancedlearnersdictionary.com

25 Définition trouvée dans l’encyclopédie libre Wikipédia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Pro_bono (consulté le 01.07.2010)

minimum d’études se moquerait d’un acteur français connu qui aurait choisi pour pseudonyme Georges Sand, sans savoir que c’était une femme. John, le mari de Charlotte, reprend sa femme lorsqu’elle se moque de Kelly, en lui expliquant que « tout le monde n’a pas fait Yale » (une université prestigieuse des États-Unis).

Enfin, au sujet des sous-titres de ce passage, nous souhaitons commenter la phrase prononcée par Bob : « getting paid two million dollars », traduite en français par

« je palpe deux millions de dollars ». En français, palper signifie percevoir, toucher de l’argent, dans un sens très familier. Ici, ce choix de la part du traducteur sous-titreur ne nous semble pas très heureux, dans la mesure où de ce fait, le langage de Bob contraste beaucoup trop avec celui de Charlotte, alors que cela n’a pas lieu d’être, vu que c’est un intellectuel lui aussi. Cela peut s’expliquer par le fait que Bob se moque de lui-même et fait ici preuve d’autodérision ; en parlant familièrement de l’argent qu’il gagne, il méprise son matérialisme, qui a régi sa vie jusqu’à maintenant. Il est également possible que cette traduction, « je palpe », soit un choix délibéré du traducteur-adaptateur, qui effectue une compensation par rapport à un autre moment du film où Bob s’exprime de manière beaucoup plus soutenue.