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PARTIE I ÉTAT DE L’ART

2.2 La cartographie comme représentation subjective

Les mécanismes de la subjectivisation des cartes sont révélés par le groupe d’artistes italiens Les Liens Invisibles33. Leur projet Google is not the map ] nous invite à revoir [8 trente-cinq cartes du monde numérisées par Google (Figure 55).

Figure 55. The pipe is not the map. Subjectivisation des cartes dans le projet Google is not the map [8] par les artistes Les liens Invisibles34

Selon la définition consultable sur le site des « Expositions virtuelles » de la BnF (Bibliothèque nationale de France), la carte peut être « la représentation à échelle réduite d’un espace et d’une intention sur une surface plane, la carte témoigne de la nécessité pour l’homme de représenter le territoire à des fins utilitaires, elle peut se faire aussi instrument de connaissance et outil de savoir

.

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[11

». Sur le site de la BnF qui raconte l’Histoire de la

cartographie ], la carte met en scène graphiquement les multiples enjeux qui traversent les relations que l’homme entretient avec le territoire : « connaître, représenter, contrôler, agir, imaginer » (cf. annexes Tableau 15).

33 http://www.lesliensinvisibles.org/ 34 Ibid.

35 Cartes & territoire[s], exposition virtuelle en ligne de l’« Exposition itinérante » proposée par les archives

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L’homme a toujours voulu se positionner dans l’espace, connaitre et comprendre l’univers qui l’entoure, explorer et représenter le territoire qui s’offre à lui. Le navigateur, le voyageur, le bâtisseur, l’archéologue, ne se servent pas de la même carte. Toute carte a une intention première. Ainsi, la « carte du maraudeur » que détient Harry Potter (Harry Potter et le

prisonnier d’Azkaban [73]), montre le plan de l’école de sorcellerie Poudlard, et les personnes qui déambulent dans l’édifice à l’instant même où la carte est examinée. Le plan n’est pas une représentation figée car les pas et les noms de chaque personne se déplacent en temps réel sur la carte (Figure 56).

Figure 56. Dans Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban [73], « la carte du

maraudeur » montre en temps réel les pas et les noms des personnes se déplaçant dans le château.

Toutes représentations du monde impliquent des choix. Selon Philippe Rekacewicz (Rekacewicz, 2006), la cartographie relève à la fois de la science, « par ses données quantitatives et qualitatives », de l’art, comme « œuvre composée de mouvements, de couleurs et de formes », mais aussi « du mensonge et de la manipulation ». Le cartographe est un scientifique, un artiste ou un menteur, ou les trois à la fois, car il est libre de montrer l’information à sa manière. Le cartographe joue sur le rapport entre les éléments mis en scène. Il choisit une échelle et des signes de représentation, ce qui implique parfois le recours à une légende.

La carte est d’abord pensée comme un tableau, sur lequel des éléments sélectionnés vont être harmonieusement assemblés. Son auteur décide ensuite de leur représentation. Certains sont renforcés, d’autres sont dissimulés. La carte devient l’expression personnelle de son auteur. Le poster History of Life on Earth36

Figure 57

, se contemple d’abord comme une œuvre picturale. Le résultat final démontre une véritable recherche esthétique pour rendre compte de

l’évolution de la vie sur terre au cours des 600 millions d’années passées ( ).

36 Brian Finn, 2007, Iapetus Press. Disponible sur le site History Shots :

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Figure 57. History of Life on Earth37

« La carte géographique n’est pas le territoire. Elle en est tout au plus une

représentation ou une « perception ». La carte n’offre aux yeux du public que ce que le cartographe (ou ses commanditaires) veut montrer. Elle ne donne qu’une image tronquée, incomplète, partiale, voire trafiquée de la réalité. Voilà de quoi sonner le glas des illusions de cette partie du public qui lit la carte comme un fidèle reflet de ce qui se passe sur le terrain » (Rekacewicz, 2006).

, un poster comme une oeuvre d’art. Brian Finn, 2007, Iapetus Press.

Dans Terre des hommes (Saint-Exupéry, 1972 ; cité par Rekacewicz, 2006), l’aviateur mentionnait sur sa carte de pilotage les éléments utiles à sa survie : « Guillaumet […] ne me parlait pas de Guadix, mais des trois orangers qui, près de Guadix, bordent un champ : “Méfie-toi d’eux, marque-les sur ta carte...” Et les trois orangers y tenaient désormais plus de place que la Sierra Nevada ».

Les choix du cartographe pour réaliser sa carte, dépendront de sa sensibilité : il peut par exemple, décider de représenter le vécu d’un lieu, transposant ainsi la réalité physique du lieu à l’imaginaire (Figure 58).

Le lycée Fustel de Coulanges à Strasbourg, proposait à ses élèves de seconde, option art plastique, un exercice sur le thème du chemin de l’école. Alors que le parcours à dessiner est le même pour tous les élèves, la diversité des travaux réalisés témoigne des émotions du passant et des sens qui sont sollicités pendant la marche en ville. Le dessin est bien une perception individuelle d’un itinéraire effectué quotidiennement (Figure 59).

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Figure 58. Carte représentant le vécu du lieu et non pas sa géographie, 2007 par

Sarah38.

Figure 59. Travaux des équipes en art plastique, sur le thème du chemin de

l’école39

38 http://jaunepapillon.blogspot.com/2007_05_01_archive.html

. Classe de seconde, lycée Fustel de Coulanges, Strasbourg.

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La carte se constitue progressivement par l’intermédiaire de notes personnelles. L’artiste américain Russell Stutler a ainsi reconstitué le plan du salon au 221B Baker Street40

Figure 60

à Londres, résidence du détective Sherlock Holmes. Le plan a été établi à partir des notes prises

en lisant deux fois les soixante histoires de Sherlock Holmes ( ).

Figure 60. Cartographie du salon au 221B Baker Street à partir de notes personnelles, par Russel Stutler. Sur le site Strange Maps [35]

Curieux de connaître les cartes que les gens ont dans leur esprit lorsqu’ils « entrent dans Internet », Kevin Kelly nous propose de télécharger en ligne une page41

[37

pour dessiner Internet

comme nous l’imaginons. En participant à The Internet Mapping Project ] nous

représentons graphiquement nos images mentales, celles que nous avons de cet espace intangible dans lequel nous naviguons chaque jour (Figure 61).

L’approche sensible de la cartographie laisse sous-entendre que la perception d’un territoire ou d’un itinéraire, n’est jamais objective. La carte représente des informations spécifiques en fonction des intérêts de chacun. La carte est aussi support où se projettent nos images mentales. Il est donc possible de construire une infinité de cartes représentant le même espace.

40 http://strangemaps.wordpress.com/2008/05/

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Figure 61. Exemples de dessins représentant l’espace de navigation Internet. The Internet Mapping Project [37] par Kevin Kelly.