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PARTIE I ÉTAT DE L’ART

2.5 Entrer dans l’image

Serge Tisseron insiste sur le fait que nous recherchons constamment une signification aux images (Tisseron, 1997) : « Nous ne constituons les images comme territoire de signification que si d’abord nous y entrons ». Ce rapport à l’image a toujours été présent : avant les images virtuelles, nous y entrions en imagination. Aujourd’hui, les images virtuelles mettent en évidence une caractéristique qui change notre rapport à l’image : l’interactivité.

Nous avons déjà évoqué dans le sous-chapitre intitulé « La navigation interactive » (en

page 25), des façons d’interagir avec des documents multimédias (zoom, exploration

panoramique à 360°, rotation d’objet à 360°, superposition, déplacement temps-réel, etc.). Les hypermédias nous fournissent les moyens de représenter des informations sous une forme qui encourage l’interactivité. Les informations peuvent donc être perçues par l’exploration plutôt que par pure imagination, et l’utilisateur peut observer les effets immédiats de ses interactions. « Si nous entrons dans l’image, c’est pour la transformer. Nous ne voyons jamais une image sans la transformer » (Tisseron, 1997). Ainsi, l’imagination permet de transformer l’image mentalement, l’interactivité permet de transformer l’image en agissant à l’écran. Dans son article paru dans « Les Grands Dossiers des Sciences Humaines » (Béguin- Verbrugge, 2008), Annette Béguin-Verbrugge fait référence au site Froguts [5] qui propose de disséquer une grenouille à l’écran (Figure 71) : « grâce à la simulation, les concepteurs proposent d’effectuer à l’écran des expériences sans les inconvénients que l’on peut leur trouver d’ordinaire ».

Figure 71. Dissection d’une grenouille à l’écran. Sur le site Froguts [5].

L’opération de dissection est possible par l’utilisation d’outils virtuels tels que des épingles, un ciseau et un scalpel. Au fur et à mesure, des marqueurs apparaissent sur la grenouille pour guider l’utilisateur : des croix indiquent où épingler la grenouille, des lignes pointillées indiquent où inciser, etc. Les épingles et les ciseaux ont à peu près la même taille. « Les objets de ces mondes dits virtuels sont en fait des signes hétérogènes et discontinus, des

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objets d’écran soumis à de la programmation […] Le spectateur doit apprendre le fonctionnement de ces signes hétérogènes qu’il avait pris initialement pour des objets familiers à cause de leur réalisme visuel […] Ainsi, à l’écran, le spectateur peut agir sur l’image mais il doit allouer de précieuses ressources cognitives à apprendre les lois de l’univers fictif qui lui est proposé. Ses schèmes corporels sont modifiés. Mais il transforme également ses attentes par rapport aux images d’écran : il s’attend désormais à ce qu’elles soient cliquables, manipulables, explorables » (Béguin-Verbrugge, 2008).

La création Matrice Active (Lavaud-Forest, 2004) propose d’autres formes d’interactions, qui ne sont plus basées sur la simulation, mais sur une réinterprétation du tableau Jaune-

Rouge-Bleu de Wassily Kandinsky. Le système met en jeu des éléments dynamiques dans un environnement virtuel 3D qui interagissent les uns par rapport aux autres et suivant l’intervention de l’utilisateur (Figure 72).

Figure 72. Matrice Active, basé sur le travail du peintre Kandinsky. Vue de face de

la solution d’équilibre (gauche), vue des éléments-agents interagissant dans la scène (milieu), vue subjective à l’intérieur d’un des éléments (droite) (Lavaud-Forest,

2004).

L’artiste a d’abord décomposé le tableau en sous-éléments appelés « agents ». Ceux-ci ont une masse et subissent des forces dans un environnement basé sur un modèle physique (gravité, frottements visqueux). Les mouvements générés sont aléatoires et dépendent donc des caractéristiques des agents et des comportements de l’utilisateur (ordre de sélection, temps d’attente entre les sélections, …). La scène est observable selon différents points de vue : la « vue Kandinsky » (solution d’équilibre), la « vue utilisateur » (choisir un angle visuel pour observer la scène de l’extérieur), la « vue fonctionnelle » (isoler un agent) et la « vue subjective : c’est une vue « à l’intérieur » d’un élément. L’utilisateur peut ainsi incarner un élément, et « habiter » ainsi l’image de l’intérieur » (Lavaud-Forest, 2004).

Le transfert du tableau Jaune-Rouge-Bleu peint en 2D dans un environnement virtuel en 3D, appelle de nouvelles formes de perceptions qui résultent bien de la participation active de l’utilisateur.

Nous retiendrons que l’image associée à l’action, suscite par l’intermédiaire de gestes corporels une nouvelle posture perceptive (Weissberg, 1999) : c’est la liaison image/action qui permet à Jean-Louis Weissberg de définir « l’image actée ».

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Chapitre 3

Les récits vidéoludiques

« Les jeux vidéo subissent un véritable essor », est la phrase type que nous retrouvons dans la plupart des travaux qui abordent les jeux vidéo. L’apparition des premiers jeux vidéo commercialisés remonte aux années soixante-dix49

Les liens entre jeux et récits sont aujourd’hui ravivés par les hypermédias fictionnels. Selon Greimas, le récit apparaît comme un large processus de transformations (Greimas, 1966). L’histoire et la narration sont les deux constituants de base du récit (cf. annexes « Le récit traditionnel »

. La croissance considérable de l’industrie des jeux vidéo et la place qu’ils occupent aujourd’hui dans notre culture, ne peut que susciter de nouvelles questions sur l’utilisation de ce médium.

en page 247).

Les jeux vidéo résultent bien d’un acte narratif, mais ils s’inscrivent dans une problématique très large. De nombreuses études ont fait l’analogie des jeux vidéo avec la narration textuelle. C’est le côté interactif du médium qui alimente les interrogations concernant l’acception du récit vidéoludique. Pouvons-nous parler de récit interactif comme si nous parlions de récit littéraire ?

Les jeux vidéo font ici l’objet d’analyses nuancées. Après avoir vu que les jeux vidéo sont à la fois l’expression du concepteur et du joueur, nous étudierons ces environnements vidéoludiques comme des systèmes de signes, puis nous analyserons les modes narratifs qui engagent le joueur dans une activité ludique. Selon le Dictionnaire Encarta50

Pour nous, le vidéoludique désignera à la fois les jeux vidéo et les pratiques, narratives et ludiques, qui s’y rattachent.

, le ludique serait « destiné à procurer un plaisir dérivé du jeu ».

49 L’« Histoire du jeu vidéo » est disponible sur le site Wikipédia :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_jeu_vid%C3%A9o

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