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ASPECTS MICROSCOPIQUES DES BOULEVERSEMENTS ARCHITECTURAUX AU COURS DE LA TRANSFORMATION

III. ASPECTS DYNAMIQUES DE LA SEQUENCE HYPERPLASIE - ADENOME – CANCER

2. LA CANCEROGENESE COLIQUE D’UN POINT DE VUE

DYNAMIQUE.

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On a vu que l’épithelium de surface de l’intestin est renouvelé en 5 jours environ chez l’homme. Ce renouvellement comporte plusieurs enchaînements et est conditionné par la prolifération des cellules souches au fond des cryptes de Lieberkühn. Leur division donne naissance à des cellules de transit qui migrent vers la surface en acquérant une différenciation croissante ; celle-ci est terminée à la surface, où les cellules totalement différenciées vont être éliminées , avec l’entrée en jeu du phénomène d’anoïkis.

C’est ce mécanisme que nous allons brièvement aborder dans le paragraphe qui suit.

2.1. Le renouvellement de l’épithélium intestinal, un modèle qui

repose sur une organisation cellulaire complexe.

Le déroulement des évènements qui permettent le renouvellement de l’épithélium intestinal est conditionné par les signaux reçus par les différentes cellules en fonction de leur positionnement le long de l’axe de la crypte. On a en effet déjà vu qu’il existe un gradient de concentration de la protéine APC le long de l’axe de la crypte, avec une concentration croissante du fond de la crypte vers la surface, en opposition avec le gradient de concentration de la ß-caténine nucléaire, qui est maximale au fond des cryptes pour ne plus être exprimée dans l’épithélium de surface.

L’architecture normale de la muqueuse intestinale (cryptes et épithélium de revêtement) est ainsi conditionnée par le bon déroulement et le bon enchaînement de ces séquences coordonnées par les signaux fournis aux cellules d’après leur positionnement. On obtient alors des cryptes allongées et relativement peu sinueuses s’abouchant par un orifice unique à l’épithelium de revêtement.

Un dérèglement modéré de ce schéma aboutit à une déformation des cryptes, qui peuvent être sinueuses, plus longues, avec quelques angulations. Un dérèglement du cycle cellulaire des cellules du fond des cryptes, avec une augmentation des divisions cellulaires, donne naissance à des fissions du fond des cryptes, qui peuvent aboutir suivant certains modèles à la formation de polypes.

Différents modèles mathématiques ont été proposés sur la dynamique de renouvellement cellulaire des cryptes, qui ont pu intégrer les nombreux paramètres intervenant, parmi

lesquels on peut citer : la variabilité de la durée des cycles cellulaires, le taux de mortalité des cellules tout au long de leur parcours, les taux de mutation, etc…

Certains d’entre eux ne prennent en compte que les évènements moléculaires sans intégrer les facteurs de positionnement des cellules individuelles, d’autres s’intéressent à la situation des cellules en transition par rapport aux cryptes, d’autres enfin étudient le positionnement individuel des différents types de cellules (40, 96, 131) .

On relève dans la littérature deux modèles principaux de renouvellement de l’intestin, développés essentiellement dans le grêle: un modèle initial assez simple (discrete 2D-grid models) dans lequel les cellules se meuvent au cours de leur migration suivant des colonnes définies, et le modèle de Meineke et collaborateurs (83), où la prolifération cellulaire mène à des réarrangements cellulaires essentiellement locaux (89).

2.2. De la cellule isolée à l’organisation tissulaire : un schéma

multiparamétrique.

A côté de ces modèles simples reposant sur l’organisation cellulaire , on a récemment proposé un schéma multiparamétrique se voulant plus exhaustif et intégrant les interactions des différents paramètres locaux et environnementaux menant de la cellule au tissu et à son organisation (152). Ce sont ces derniers que nous développerons ici (figure 22).

On arrive ainsi à définir un modèle « évolutionniste » de la carcinogénèse colique, en intégrant la dynamique de la prolifération cellulaire à un phénomène complexe non linéaire dans le temps et dans l’espace. Ceci a fait l’objet de travaux spécifiques (RA Gatenby et TL Vincent (39)). Les auteurs proposent une dynamique cellulaire normale dans laquelle les populations cellulaires à l’équilibre occupent une disposition spatiale aux limites bien définies, qui autorise la coexistence et la coopération de types cellulaires différents. Ces types différents n’entrent pas en compétition. D’une part ceci nécessite des interactions entre les cellules et l’environnement, qui seront développées à partir de stratégies différentes par les différents types cellulaires, mais sans compétition. D’autre part cela implique des mécanismes de contrôle à partir de facteurs environnementaux. Cet état d’équilibre est nécessaire à la formation de tissus et d’organismes fonctionnels. Il va être modifié par l’apparition d’une population mutante qui va déformer cette architecture adaptative avec pour conséquence de faire occuper aux populations normales un minimum local. C’est le premier stade de la transformation maligne. A ce stade il existe des contrôles de la prolifération redondants avec les contrôles normaux, et faisant intervenir pour chaque 75

type cellulaire un panel important de gènes suppresseurs de tumeur et d’oncogènes. L’étape suivante est celle de l’installation du cancer invasif, où la population mutante va remplacer la population normale. Dans le cas du cancer colorectal, les gènes intervenant sur le contrôle de la prolifération et qui incluent la voie Wnt avec APC, et le gène K-RAS, ont des fonctionnalités qui suggèrent une transmission de l’information concernant les contacts cellulaires et des aspects environnementaux. Ils peuvent ainsi diminuer le contrôle environnemental de la prolifération et l’inhibition de contact entre les cellules. Ils vont alors favoriser la capacité des cellules tumorales à s’inclure entre les cellules normales et à les remplacer. Tant que le taux de mutations est faible dans la population tumorale et que celle-ci obéit à des contraintes environnementales fortes, elle ne pourra avoir qu’un développement local et auto-limité, du fait des modifications de la dynamique dues à l’entassement cellulaire qui augmente les besoins en substrat. Cet état permettra une coexistence stable entre les populations cellulaire normale et mutée.

A l’étape suivante les contraintes évolutionnaires de la population tumorale sont dépassées du fait d’un taux de mutations plus important qui peut être dû à des mécanismes variés incluant la possibilité de facteurs environnementaux mutagéniques. La population tumorale peut alors acquérir une « Stratégie Evolutionnaire Stable » ( ESS) conduisant à l’extinction des cellules normales et au cancer invasif. Cette évolution peut se faire de deux façons. La première voie permet la diminution des contraintes locales en augmentant les capacités migratoires des cellules tumorales, ou en augmentant l’approvisionnement en substrat, ou encore en diminuant les phénomènes de sénescence cellulaire. L’autre voie passe par des mutations géniques que l’on retrouve dans les lésions prénéoplasiques avancées et dans les cancers coliques ( p53, DCC, télomérase etc…).

Au cours de cette étape, les paramètres adaptatifs permettant la croissance des cellules tumorales varient avec le temps ; les cellules transformées consomment plus de ressources qu’il ne leur en est fourni par le microenvironnement altéré qui est le leur. Elles doivent donc appliquer de nouvelles stratégies compatibles avec une architecture locale dominée par la limitation en substrat. Au premier rang de ces stratégies se trouve la néoangiogénèse. Un équilibre est alors atteint où la population tumorale a optimisé ses capacités à capter le substrat ; la diminution de concentration de ce substrat dans l’environnement sera alors essentiellement nuisible aux cellules normales, qui iront vers l’extinction.

Ce modèle, on le voit, diffère des précédents en ce qu’il fait jouer un rôle majeur à la fois aux modifications phénotypiques spécifiques des cellules mais aussi aux paramètres de sélection environnementaux qui contrôlent la dynamique de la prolifération et de

l’envahissement au cours de la cancérogénèse. Ainsi, lors de la cancérogénèse colorectale, de petites tumeurs non malignes vont survenir à partir d’une mutation isolée d’un oncogène ou d’un gène suppresseur de tumeur . Du fait du terrain mutagène qui leur a donné naissance, elles vont s’accroître en nombre avec le temps, comme certains travaux de microdissection le montrent. Dans cette hypothèse chaque tumeur se rattache à une population monoclonale montrant une mutation stable unique (37). Ce modèle correspond bien à l’évolution des adénomes de petite taille, très nombreux dans la PAF (55). Ces petites lésions vont ensuite progresser vers la malignité, à la condition qu’elles subissent un phénomène permissif : ceci est en accord avec le fait que le phénotype mutateur se rencontre aux phases précoces de la cancérogénèse et semble nécessaire pour son développement (80, 127). Il faut noter dans ce cas, qu’une mutagénèse environnementale peut se substituer au départ au phénotype mutateur. Ceci permet la transformation d’un petit adénome soumis à un environnement mutagénique (infection chronique etc). Des altérations des mécanismes de contrôles locaux de la croissance tissulaire peuvent également jouer ce rôle (97).

Figure 22 : interactions environnementales et comportement cellulaire. D’après le Projet « Integrative Biology : Colorectal Cancer Modelling », 2005 (96)

Dans ce schéma, la dynamique de l’épithélium et l’expression génique interagissent avec les facteurs environnementaux externes

Comportement Morphologie s Nutriment (O2) Lésions ADN

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XPRESSION