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1 L’ ÉSOTÉRISME

1.3 L’universalité de l’ésotérisme

D’autres idées plus coriaces et plus problématiques continuent d’être véhiculées par rapport à l’ésotérisme. L’une de ces idées est que toutes les traditions spirituelles auraient la même source. Certes l’un des sous-critères établis par Antoine Faivre pour circonscrire l’ésotérisme est le fait de considérer qu’il y a une concordance entre les traditions spirituelles, mais considérer cela ne veut pas dire que l’on peut assimiler les différences fondamentales qui existent entre les traditions. L’universalisation réductrice de la tradition est pourtant enseignée, par exemple, chez certains Ordres de Franc-maçonnerie comme l’Ordre Souverain, Chevaleresque, Hospitalier, Méritoire et Mystique de Maât (O.S.C.H.M.M.M.). D’ailleurs, le grand maître déclarait dans la gazette de l’Ordre :

105 C’est en ce sens qu’Ibn al-ʿArabī refusait de transmettre la totalité de la science des lettres, gardant la

partie la plus élevée de cet enseignement, toujours transmis oralement, pour les disciples démontant une

réalisation spirituelle plénière. IBN AL-ʻARABĪ, M., Les illuminations de la Mecque, trad. par

CHODKIEWICZ,M., Paris, Albin Michel, 1997, p. 47.

106 « Si, par la confiscation du manuscrit de Jacob Boehme, les “autorités” avaient voulu prévenir la

propagation de la doctrine dangereuse du théosophe, elles s’étaient lourdement trompées. Gregorius Richter, par ses sermons et ses invectives, avait bien réussi à soulever contre Boehme la ville de Görlitz, ainsi que les prédicants et les fidèles des environs; ce fut, d’autre part, lui-même qui attira sur Jacob Boehme l’attention de tous ceux que la sécheresse tout extérieure de l’orthodoxie luthérienne et la

théologie de la formula concordiae ne pouvaient contenter. » KOYRÉ, A., La philosophie de Jacob

Boehme, 2e éd., Paris, Vrin, 1971 [1929], p. 43.

107 Ce qui entoure le mythe de l’Atlantide est un exemple éloquent de construction pseudo-ésotériste. De la

Doctrine secrète de Blavatsky, dans laquelle elle explique l’origine des races, à l’évolution et la juxtaposition d’idées autour de l’Atlantide comme source des Aryens dans le nazisme par Guido von List, Rudolf John Gorslebe ou encore Jörg Lanz von Liebenfels, il y a là un syncrétisme pseudo-ésotérique dangereux qui démontre à quel point les doctrines ésotériques possèdent un pouvoir fascinant, même lorsqu’il s’agit de constructions pseudo-ésotériques comme le mythe de l’Atlantide.

On peut dire que le Maâtianisme est le Champ Optimal du Mysticisme compte tenu du fait que son Égrégore Mystique est la source commune de toutes les traditions véritablement mystiques. La reconquête du champ primaire par l’Ordre a donc été possible en partant de La Maât. D’un autre coté, nous nous sommes efforcés d’inclure toutes les traditions mystiques révélées et non en les fusionnant en un tout cohérent et graduellement accessible au moyen de 99 Degrés du Grand Rite de Maât qui comme vous le savez constitue le corps

spirituel du Maâtianisme.108

Il s’agit là d’une contradictio in adjecto puisque l’Ordre de Maât, tout en affirmant qu’il prend source dans la Source et, de ce fait, qu’il inclut toutes les traditions mystiques, explique qu’il ne les fusionne pas. S’il n’y a qu’une Source, il y a donc une assimilation, une réduction à la Source, et ce, même si l’Ordre distingue 99 Degrés. L’universalisation radicale109 ayant été vertement critiquée par les intellectuels universitaires, plusieurs pseudo-ésotérismes ont même intégré cette critique. Il utilise donc deux niveaux de lecture. Ils invoquent la source unique et originelle qui légitime leur Ordre et à partir de cette source, ils reconnaissent une pluralité de traditions ou sein desquels ils continuent de chercher la Source. Il s’agit certes d’une réduction moins radicale, mais infiniment plus insidieuse, car cela efface les différences entre les traditions.

La métaphysique d’Ibn al-ʿArabī pourrait justement apparaître réductrice dans son universalisation, mais ce n’est pas le cas. Les critiques des théologiens mutakallimūn (ننم ل ك ت م) envers la doctrine de l’unité de l’être sont très proches de la réduction abusive détectée dans les pseudo-ésotérismes. La grande différence se situe au niveau de la compréhension de l’être. Nous l’avons déjà indiqué dans la discussion autour de l’ens nullo

determinatum et de l’ens determinatum omnimodo. En d’autres mots, nous pourrions dire

de la doctrine d’Ibn al-ʿArabī qu’elle est une sorte de personnalisme non réducteur. La doctrine de l’unité de l’être, la waḥdat al-wujūd, (دنج نلا ت د ح و) d’Ibn al-ʿArabī ne réduit pas la Source aux sources, elle pense plutôt la Source comme un jaillissement perpétuel, comme le point de contact à partir duquel l’Ineffable se créaturalise. Dieu est alors partout sans être ce qu’il manifeste.

Pour notre part, par le terme « Source » avec une majuscule nous signifions une Source toujours au-delà et irréductible. Nos penseurs doivent être approchés dans l’esprit de la théologie apophatique, c’est-à-dire selon un ordre de penser qui invoque la nécessité d’une Source tout en indiquant que celle-ci est irrémédiablement inaccessible. C’est ce que nous avons évoqué supra en discutant la question de la théologie apophatique. Enfin, il est

108 Cf. http://maatianisme.org/2010/08/04/entretien-avec-frater-baargati-grand-maitre-du-maatianisme/

109 Nous pensons ici à Frazer qui cherchait les traces d’un monothéisme primordial. La découverte de

ressemblance dans des traditions éloignées signifiait alors qu’il y avait une parenté de pensée. Une tradition primitive devenait ainsi du christianisme en devenir. Dans ce contexte d’universalisation ou d’évolutionnisme, la tradition étudiée ne pouvait plus l’être pour elle-même.

possible de réfléchir à la Source de l’ésotérisme sans réduire les traditions et c’est ce qu’ont fait Rudolf Otto110 et Mircea Eliade111 en analysant les multiples dimensions du sacré. C’est ce qu’ont fait également des pérennialistes comme Schuon et Nasr en développant la notion de sophia perennis.