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Chapitre 4 : Mariage, mariages…

4.2. Le choix du régime matrimonial

4.2.1. L’union libre

En résumé, l’union libre ou concubinage, selon la définition adoptée par la juridiction française,

« […] est une union de fait entre deux personnes de même sexe ou sexe différent,

vivant en couple. Cette union doit présenter un caractère de stabilité et de continuité. Les droits et obligations des concubins sont limités par rapport à ceux des personnes mariées, ou liées par un pacte civil de solidarité (PACS) »32.

Ce type d’union libère les partenaires de l’obligation d’assistance et d’entretien et leur permet de considérer les biens acquis comme personnels. Enfin, lorsqu’un enfant est né au

30 Ouvry-Vial B., Mariage, M. comme malentendu, in Ouvry-Vial B., Mariage, Mariages, op. cit., p. 9.

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Cf. Khellil M., Sociologie de l’intégration, op. cit., p. 86.

sein de cette union, la filiation s’établit différemment à l’égard du père et de la mère33

. Le concubinage est considéré comme moins contraignant et surtout rend une éventuelle séparation moins compliquée au niveau administratif. Dans le cas des couples mixtes, le choix de l’union libre est motivé par différentes raisons. Un couple, rencontré durant mes observations, a refusé de se marier par convictions personnelles, considérant comme parfaitement inutile l’institutionnalisation de l’union entre une femme et un homme.

« Soit on est créé l’un pour l’autre, soit non! Et c’est pas un mariage qui nous permettra de

découvrir la réponse ! A quoi bon toutes ces fanfaronnades ! Les alliances ! Les habits ! Et tout notre argent doit être dépensé pour ça, ah non ! On est bien comme on est ! On n’a pas besoin de trucs artificiels pour se prouver qu’on s’aime et qu’on veut vivre ensemble ! » (Nabil)

Parmi les raisons du choix d’union libre, données par les couples mixtes, il y a les difficultés d’organiser une cocélébration du mariage religieux par les représentants des deux religions. Dans le chapitre précédent, j’ai souligné la problématique du refus de certains prêtres et de certains imams à l’égard de la mixité conjugale. Cette attitude des représentants des deux communautés pousse parfois des jeunes à abandonner le projet de se marier. Ils ne veulent pas céder aux exigences imposées par les protagonistes de l’homogamie conjugale, comme celle de la conversion, et ils préfèrent vivre en concubinage. D’autant plus qu’ils considèrent le mariage civil comme une simple formalité, comme vidé de sens, de la signification des épousailles religieuses.

L’union libre devient parfois une sorte de choix imposé, si l’on peut dire, quand un des partenaires, ou quelquefois les deux partenaires, se sont fait rejeter par leurs familles respectives défavorables à la mixité conjugale. C’est un cas fréquent, malgré une certaine atténuation de la tendance, des couples qui unissent des musulmanes avec des non-musulmans34. Le refus de la famille pèse si lourdement sur le/la partenaire concerné(e), parfois totalement isolé(e) de ses proches, qu’il/elle exclut l’idée de se marier. Durant mes recherches, je n’ai pas rencontré personnellement, ni entendu parler d’un cas de couple mixte ayant choisi de rester en union libre à cause de difficultés familiales ; c’est pour cette raison que je me permets de citer un témoignage recueilli par B. Laffort35 :

33 Cf. https://vosdroits.service-public.fr/F1627.xhtml.

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La femme est considérée comme « […] éternelle héritière du rôle de gardienne de la famille sur laquelle se base la communauté […] » (Cf. Chafiq C., La femme et le retour de l’islam. L’expérience iranienne, Editions du Félin, Paris, 1991, p. 37). Elle se trouve au cœur du processus de la construction de l’identité des musulmans, car l’islam joue un rôle identitaire pour les musulmans, confirme leur unité.

«(B. Laffort) : bonjour Dalila ! Tu vis avec ton ami qui a une culture, a priori, un peu

différente de la tienne… je voudrais savoir un petit peu comment ça se passe…

(Dalila) : ben normalement (rires) ! Je suis née en France, tu vois, donc il n’y a pas de problème dans notre vie au quotidien… il y aurait peut-être des problèmes, parce que

(silence, et puis très vite)… vis-à-vis de mes parents, en fait il se situe là, le problème…

(B. Laffort) : et comment ça se passe ? (Dalila) : ben je ne les vois plus !

(B. Laffort) : c’est uniquement par rapport à ça ? (Dalila) : ah oui, c’est par rapport à ça !

(B. Laffort) : et ça fait longtemps que vous êtes ensemble, avec ton ami ? (Dalila) : ça va faire sept ans passés…

(B. Laffort) : et tu ne vois plus, ni ton père, ni ta mère, ou un des deux ?

(Dalila) : les deux ! ils ne sont pas pour les unions mixtes… forcément, je ne les vois plus…

(B. Laffort) : et tu as pu en discuter, avec tes parents, ou pas ?

(Dalila) : non, non, non ! ben, je leur ai dit, et puis… (silence) et puis ça s’est arrêté…

(B. Laffort) : et qu’est-ce qu’ils mettent en avant, qu’est-ce qu’ils te disent ?

(Dalila) : ben (en insistant sur les trois mots qui suivent), qu’il n’est pas arabe, qu’il n’a pas la même culture, qu’il n’est pas musulman… les trois points essentiels !

(B. Laffort) : et qu’est-ce que tu leur réponds par rapport à ça ?

(Dalila) : rien… moi je les laisse parler… ils ne veulent plus me voir, ils ne veulent plus me

voir, hein ! Moi je n’ai pas commis d’erreur, je ne pense pas… c’est eux qui en commettent

une en (ne voulant plus me voir)… ils en commettent une sans s’en rendre compte, parce qu’ils n’ont pas… on n’a pas les mêmes, comment dire? ben ils n’ont pas les mêmes ambitions pour moi que je les ai pour moi, quoi… ils pensent que ça peut être préjudiciable (le fait d’être en union mixte)…

(B. Laffort) : tes parents, ils n’ont pas la même conception, en fait ?

(Dalila) : ben non ! eux, ils voudraient que… qu’étant arabe, ben je perpétue un peu la chose, quoi… pour eux, le mélange des cultures, c’est… moi je pense (qu’ils s’imaginent) que c’est un peu la mort de leur culture… Mais bon! Parce qu’ils pensent qu’il n’y a qu’une culture… moi je pense qu’ils pensent que leur culture, elle se protège en ne se mélangeant pas, quoi…

alors que moi je pense que la culture, elle avance en se mélangeant, justement… […]

(B. Laffort) : et au niveau de tes parents, les difficultés sont autant venues de ton père que de ta mère ?

(Dalila) : oui, oui… ah oui ! C’est à fond la culture arabe, et puis un point c’est tout…

(B. Laffort) : parce que des fois, on peut avoir l’impression que la mère, elle essaye de faire la charnière, de recoller un peu les morceaux…

(Dalila) : pas chez moi ! Non ! Elle est plutôt d’un caractère assez… elle est quand même

assez excessive ! Avec un père plutôt… qui ne dit rien, mais qui n’en pense pas moins ! Donc

chacun de leur côté, c’est une barrière pour moi…

(B. Laffort) : et toi, comment tu l’as vécu, le fait de ne plus…

(Dalila) : oh mal ! Je suis allée voir un psy… je me suis fait traiter… c’est con à dire, mais je

fais de l’homéopathie pour essayer de soigner mes angoisses et tout ça… Au début, je ne savais pas que c’était à cause de ça… et puis après, avec tous les incidents qui se sont passés dans ma vie personnelle, en fait, je me suis rendu compte que c’était à cause de ça… après introspection… »

En réalité, l’union libre reste un choix inaccessible pour certains couples qui réunissent un/une Français(e) avec un/une ressortissant(e) d’un des pays du Maghreb. L’idée même du choix entre le mariage ou le concubinage est écartée, puisque l’Etat réglemente rigoureusement ce type d’unions. L’institutionnalisation de la relation amoureuse par un lien marital permet au conjoint étranger, selon le cas, soit de venir en France légalement, soit de régulariser sa situation de clandestin et de ne plus risquer l’expulsion du sol français. Le droit français autorise ce type de mariage, mais sa mise en pratique par des agents des consulats et des préfectures est fréquemment déshumanisante. L’ambition de dévoiler les fraudeurs l’emporte sur le respect dû aux immigrants. D’ailleurs, le soupçon de fraude pèse lourdement sur les couples mixtes.

« Le soupçon est un thème récurrent qui fait peser sur le candidat au mariage le doute

sur l’authenticité de ses sentiments, sur la validité de son adhésion aux valeurs et normes de

la société d’accueil. »36

Les conjoints sont obligés de passer par la procédure de la vérification de véracité de leur union pour pouvoir se réunir comme les autres couples. Le mariage mixte est traité a

priori comme une tentative de fraude, de célébration du mariage blanc37.

«(Amine) : Tu sais, c’était comme dans un film. Un jour, un officier est venu chez nous pour

vérifier si notre couple c’est pour de vrai. D’abord, il voulait voir comment on vit, c’e

st-à-dire s’il y a des habits de nous deux dans l’armoire, s’il y a bien deux brosses à dents dans la salle de bains… plein de choses comme ça ! Et puis, tu sais, il nous a même demandé de lui montrer les photos de notre mariage ! Et tout ça pour vérifier si on triche ou non ! Parce que,

une Française avec un Marocain, ça craint en France, c’est tout de suite: “Il s’est marié

pour les papiers !” C’est triste. Et bien sûr je dis pas qu’il y a pas de tricheries dans ce type

de mariage mais ceux qui le font, ils nous font tort… on paye pour ça !

(Nathalie) : C’est vraiment gênant! D’être obligé de dévoiler ta vie privée devant un étranger… pire, une personne qui cherche à mettre en question ton couple…

(Amine) : Oui, oui… on est toujours bon à être accusé de quelque chose… tu sais, pas trop

correct ! »

Le mariage avec un/une Maghrébin(e) est devenu à tel point suspect pour les autorités françaises que les policiers n’hésitent pas à intervenir même le jour du mariage.

« Avant mon mariage, j’ai reçu une demande de quitter le territoire et pourtant, j’ai prévenu la préfecture que je vais me marier… c’est ça qui est le plus incroyable, car ils savaient et

pourtant ils ont essayé, même le jour de mon mariage, de se débarrasser de moi. En fait, devant la mairie, il y avait une voiture de police, et, et ils attendaient. Je pense que si on avait

36 Philippe C., Couples mixtes dans la presse française, in Liberté, égalité, mixité…, op. cit., p. 116.

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choisi de faire juste un petit mariage, juste avec quelques personnes les plus importantes pour nous, je pense, mais peut-être je me trompe, je pense que les policiers auraient pu m’arrêter ! Mais heureusement, il y avait beaucoup de monde et ils ont rien fait. Mais les souvenirs

restent, et c’est pour toujours je pense ! » (Amine)