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LIEUX, NON–LIEUX ET PASSAGES

L E TERRITOIRE DANS LE PORTRAIT

Dans les portraits de La Comédie humaine, on ne rencontre guère de territoire au sens purement géographique du terme : parce que le portrait est représentation d’un personnage, il est logique que le lieu y soit évoqué, s’il l’est, en fonction du personnage, en rapport avec lui, dans une perspective anthropologique ou sociologique. Je me suis donc fondée sur une conception du territoire impliquant l’existence de liens entre l’homme et le lieu. C’est même sur cette idée de lien qu’est centré mon propos : il s’agit de saisir la nature de ces liens, de repérer les pensées qui ont pu les inspirer ou que Balzac rencontre, en dégageant les procédés de la représentation.

Toutes les évocations de lieu dans les portraits ne méritent pas d’être appelées territoires. Les notations spatiales peuvent avoir une valeur essentiellement esthétique, ou symbolique, par exemple dans la description du comte d’Hérouville dans L’Enfant Maudit (CH, X, 870), où l’évocation de la mer et du ciel tempétueux est mise en rapport avec l’orage des pensées nocturnes du comte, et dans le portrait d’Honorine, où l’évocation du « cadre » permet surtout d’illuminer sa beauté (CH, II, 563). La description du territoire d’Honorine, véritable « hortus conclusus », est quant à elle reportée à la suite du portrait, dissociée de lui. Il en est souvent ainsi : on le voit dans Le Lys dans la vallée, à propos de Mme de Mortsauf, dans Le Chef-d’œuvre inconnu, à propos de Frenhofer, etc.

Mais l’évocation du territoire peut être intégrée au portrait, en constituer le fond, comme dans un tableau. Si elle a été dissociée de lui, et notamment développée avant lui, il arrive que certains traits en soient repris dans la description du personnage. Ce sont ces cas qui m’intéressent, car ils impliquent d’emblée, par la seule disposition, un lien étroit entre le personnage et son environnement, celui-ci pouvant être représenté de façon très variable : une simple mention de lieu (nom propre, nom commun) suffit parfois à l’évoquer, alors qu’ailleurs une description plus ample s’opère, ramassée ou émiettée dans le portrait.

Les liens entre l’homme et le territoire sont, d’après le dictionnaire (dont le TLF), surtout de l’ordre de l’agir : le territoire se définit, se circonscrit, se gouverne, s’occupe, s’aménage, se défend... En revanche, dans la notion de

« milieu », l’idée d’influence1 exercée sur les êtres par l’environnement naturel, voire culturel ou social, s’impose, à partir des définitions élaborées dans la première moitié du XIXe siècle en zoologie (Lamarck) et en biologie (Geoffroy

11. D’après Claudine Cohen, il n’est pas sûr que le mot « influence » soit bien venu, s’il est vrai que les effets du milieu consistent à provoquer une réaction d’adaptation de la part de l’être vivant. Les mots « passif », « pâtir », sont eux-mêmes discutables dans cette perspective. Le mot « réagir » par exemple conviendrait mieux.

Saint-Hilaire)1, définitions héritières des travaux de Buffon, qui développe lui-même cette idée d’une influence des circonstances sur l’être vivant, en tirant parti notamment de la vieille théorie des climats2.

En ce qui concerne les rapports de l’homme à son environnement, Balzac a les deux points de vue à l’esprit, le point de vue passif et le point de vue actif. On le voit dans l’Avant-propos de La Comédie humaine où apparaît sinon le mot « territoire » au moins le mot « milieu » (CH, I, 8). Balzac l’aurait donc repris à Geoffroy Saint-Hilaire pour signifier l’influence de l’environnement sur l’être vivant, en transposant son emploi à l’étude de la société — on peut aussi lui conserver son sens physique, matériel, que le romancier connaît, auquel il a parfois recours, et qui s’imposera dans le champ littéraire puisque Zola en tirera parti à son tour3. Lorsque, d’un autre côté, Balzac déclare dans le même Avant-propos, « [...] l’homme [...] tend à représenter ses mœurs, sa pensée et sa vie dans tout ce qu’il approprie à ses besoins », ou lorsqu’il annonce l’étude de « la représentation matérielle qu’ils [les hommes] donnent de leur pensée » (ibid., 9), il n’emploie pas le mot « milieu », ni celui de « territoire », mais il s’approche en particulier de ce que cette dernière notion recouvre, dès lors que la mention de Buffon l’amène à souligner : « L’animal a peu de mobilier [...] » (ibid.)4, dans la perspective d’une opposition avec l’homme. Le motif du « mobilier » introduit la notion d’habitat, de territoire de vie, ou d’aménagement du territoire de vie.

11. Le TLF rapporte à Lamarck, à la Philosophie zoologique (1809), l’emploi du mot « milieu » avec le sens de « ensemble des actions qui s’exercent du dehors sur un être vivant » (voir Lamarck, Philosophie zoologique, GF-Flammarion, 1994, première partie, chapitre VII : « De l’influence des circonstances sur les actions et les habitudes des animaux, et de celle des actions et des habitudes de ces corps vivants, comme causes qui modifient leur organisation et leurs parties »), et à Geoffroy Saint-Hilaire l’emploi du mot au sens de « ensemble des circonstances qui entourent et influencent un être vivant » (le TLF renvoie au Mémoire à l’Académie des sciences : Le degré de l’influence du monde ambiant pour modifier les formes animales, en 1831).

22.Dans l’Histoire naturelle de l’homme (dans les Œuvres complètes de Buffon, tome II, Garnier frères, [1855], p. 177) Buffon écrit : « J’admettrais donc trois causes qui toutes trois concourent à produire les variétés que nous remarquons dans les différents peuples de la terre. La première est l’influence du climat ; la seconde, qui tient beaucoup à la première, est la nourriture ; et la troisième, qui tient peut-être encore plus à la première et à la seconde, sont les mœurs [...] ». Dans l’Histoire naturelle des animaux il écrit encore : « Et comme tout est soumis aux lois physiques, que les êtres même les plus libres y sont assujettis, et que les animaux éprouvent, comme l’homme, les influences du ciel et de la terre, il semble que les mêmes causes qui ont adouci, civilisé l’espèce humaine dans nos climats, ont produit de pareils effets sur toutes les autres espèces [...] ». Plus loin, il énonce l’influence de « la nature du terroir » : « La nature du terroir influe sur ces animaux comme sur tous les autres : les lièvres de montagne sont plus grands et plus gros que les lièvres de plaine ; ils sont aussi de couleur différente [...] » (Histoire naturelle des animaux, « Les animaux sauvages », dans Œuvres complètes, op.cit., p. 506, p. 543).

33.Dans La Terre, on lit : « Au bord de ce champ, au milieu de l’étendue sans bornes, ils avaient la face rêveuse et figée, la songerie des matelots, qui vivent seuls, par les grands espaces. Cette Beauce plate, fertile, d’une culture aisée, mais demandant un effort continu, a fait le Beauceron froid et réfléchi, n’ayant d’autre passion que la terre. » Et dans ses Notes générales sur la Beauce, Zola remarque, comme le signale R. Ripoll : « Le Beauceron tel que je l’ai vu. Rasé, frais, placide, figures correctes et réfléchies, l’air triste ; la Beauce triste, le paysan perdu dans cette mer de blé, pareil au matelot : effet du milieu, la contemplation, la rêverie triste, le repliement intéressé sur soi-même, par cet immense horizon monotone. » (La Terre, Le Livre de poche, 1984, commentaires et notes de R. Ripoll, p. 43).

44.Buffon, évoquant les constructions élaborées par certains animaux pour y vivre, parlant notam-ment de l’« habitation » ou de la « retraite » des marmottes, précise qu’elle « est faite avec précaution et meublée avec art » (Buffon, op.cit., p. 635, 636).

Le territoire dans le portrait

Le territoire peut donc être envisagé de façon large, aussi bien sous l’angle de l’agir que du pâtir, agir et pâtir étant volontiers mêlés l’un à l’autre dans les portraits où l’on distingue les types suivants :

le territoire politique, dans le cas, par exemple, du portrait collectif des paysans dans Les Paysans (CH, IX, 323), résolument décidés à profiter des fruits d’une terre (rapidement décrite au début du passage) qui appartient à d’autres, aux grands propriétaires avec lesquels ils sont en lutte sourde, ou dans le cas de la description du baron du Guénic dans Béatrix (CH, II, 652), en particulier de ses mains, dont on apprend qu’elles ont joué leur rôle aux côtés des royalistes opposés aux Bleus pour le gouvernement de la France, alors évoquée par références régionales ponctuelles :

Un peintre eût admiré par-dessus tout [...] d’admirables mains de soldat, des mains comme devaient être celles de du Guesclin, des mains larges, épaisses, poilues ; des mains qui avaient embrassé la poignée du sabre pour ne la quitter, comme fit Jeanne d’Arc, qu’au jour où l’étendard royal flotterait dans la cathédrale de Reims ; des mains qui souvent avaient été mises en sang par les épines des halliers dans le Bocage, qui avaient manié la rame dans le Marais pour aller surprendre les Bleus, ou en pleine mer pour favoriser l’arrivée de Georges ; les mains du partisan, du canonnier, du simple soldat, du chef ; des mains alors blanches quoique les Bourbons de la branche aînée fussent en exil ; mais en y regardant bien on y aurait vu quelques marques récentes qui vous eussent dit que le baron avait naguère rejoint MADAME dans la Vendée (ibid.) ;

— le territoire domaine, dans le cas, par exemple, du portrait de Véronique Graslin contemplant, dans Le Curé de village, ses terres métamor-phosées grâce à elle, portrait dont l’évocation, assortie d’une référence (erronée) à Pontormo, rappelle la présence fréquente dans les portraits peints de la Renaissance, d’un « paysage » au sens administratif du terme1 :

Éclairée par les lueurs douces du couchant, elle resplendissait d’une horrible beauté. Son front jaune sillonné de longues rides amassées les unes au-dessus des autres, comme des nuages, révélaient une pensée fixe au milieu de troubles intérieurs. Sa figure, dénuée de toute couleur, entièrement blanche de la blancheur mate et olivâtre des plantes sans soleil, offrait alors des lignes maigres sans sécheresse, et portait les traces des grandes souffrances physiques produites par les douleurs morales. Elle combattait l’âme par le corps, et réciproquement. [...] L’expression ardente de ses yeux annonçait l’empire despotique exercé par une volonté chrétienne sur le corps réduit à ce que la religion veut qu’il soit. [...]

Jamais aucun des solitaires qui vécurent dans les secs et arides déserts africains ne fut plus maître de ses sens que ne l’était Véronique au milieu de ce magnifique château, dans ce pays opulent aux vues molles et voluptueuses, sous le manteau protecteur de cette immense forêt d’où la science, héritière du bâton de Moïse, avait fait jaillir l’abondance, la prospérité, le bonheur pour toute une contrée. Elle contemplait les résultats de douze ans de patience, œuvre qui eût fait l’orgueil d’un homme supérieur, avec la douce modestie que le pinceau du Pontormo a mise sur le sublime visage de sa Chasteté chrétienne caressant la céleste

11. Selon N. Schneider, le paesaggio désigne « d’abord pendant longtemps une division juridique et administrative de l’espace, un espace culturel compris comme unité socio-politique » (dans L’Art du portrait, tr. fr., Cologne, Taschen, 1994, p. 22-23).

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Régine Borderie licorne (CH, IX, 850-851) ;

— le territoire professionnel, lieu de contraintes pour l’homme qui y travaille, ou lieu aménagé par lui pour l’exercice de sa profession : on pense aux boutiques de mercerie — celle de Rogron dans Pierrette (CH, IV, 42-43) — , aux loges de concierge, — celle de Cibot dans Le Cousin Pons (CH,VII, 520) — , ou au fameux cabinet de l’antiquaire dans La Peau de chagrin, présent par références concises dans le premier portrait du vieillard (CH, X, 77-78) ;

— le territoire de vie (souvent identique au territoire professionnel) : le quartier, la rue, la maison de Mme Crochard dans Une double famille (CH, II, 18-19), ceux de Mme Gruget dans Ferragus (CH, V, 869), ceux, bien connus, de Gobseck (CH, II, 964-966) ;

— le territoire ethnologique, ou territoire d’origine, dans le cas, par exemple, tiré de Splendeurs et misères des courtisanes, du portrait d’Esther (CH, VI, 464-466) dans les yeux de laquelle brillent ses origines juives, orientales — celles-ci ne sont pas seulement évoquées, elles font l’objet d’un commentaire qui rappelle Geoffroy Saint-Hilaire (le mot « milieu » apparaît), la zoologie et ses débats, dès lors que l’influence du milieu sur la jeune femme est étayée par une comparaison avec les moutons, dans le cadre d’une réflexion argumentée ;

— le territoire « templum », notamment dans le portrait de Cambremer, dans Un drame au bord de la mer, si bien isolé sur son rocher de granit mordu par l’océan, que cette retraite est devenue sacrée, que les frontières en paraissent interdites par la seule pose et par le seul regard foudroyant de l’homme :

[...] nous éprouvâmes un frémissement électrique assez semblable au sursaut que cause un bruit soudain au milieu d’une nuit silencieuse. Nous avions vu, sur un quartier de granit, un homme assis qui nous avait regardés. Son coup d’œil, semblable à la flamme d’un canon, sortit de deux yeux ensanglantés, et son immobilité stoïque ne pouvait se comparer qu’à l’inaltérable attitude des piles granitiques qui l’environnaient. [...]

C’était des formes herculéennes ruinées, un visage de Jupiter olympien, mais détruit par l’âge, par les rudes travaux de la mer, par le chagrin, par une nourriture grossière, et comme noirci par un éclat de foudre. [...] Je remarquai dans un coin de la grotte une assez grande quantité de mousse, et sur une grossière tablette taillée par le hasard au milieu du granit, un pain rond cassé qui couvrait une cruche de grès. Jamais mon imagination, quand elle me reportait vers les déserts où vécurent les premiers anachorètes de la chrétienté, ne m’avait dessiné de figure plus grandement religieuse ni plus horriblement repentante que l’était celle de cet homme.

Vous qui avez pratiqué le confessionnal, mon cher oncle, vous n’avez jamais peut-être vu un si beau remords, mais ce remords était noyé dans les ondes de la prière, la prière continue d’un muet désespoir. [...]

Pourquoi cet homme dans le granit ? Pourquoi ce granit dans cet homme ? Où était l’homme, où était le granit ? (CH, X, 1169-1170).

Les liens entre personnage et territoire relèvent donc de la vie pratique, sociale, politique, biologique ou spirituelle. Pour serrer davantage ces liens, Balzac s’emploie volontiers à souligner les traces que le territoire a laissées sur l’homme et les traces que l’homme a laissées sur le territoire, il s’emploie à indiquer les ressemblances qui les unissent, voire il s’achemine vers l’expression 184

Le territoire dans le portrait

d’une identité. Le romancier pour cela met en œuvre ou rencontre d’autres traditions, d’autres usages de la description.

En ce qui concerne l’influence de son environnement sur le personnage, il tire parti des principes de la physiognomonie ethnologique, qui est étroitement liée à la théorie des climats : l’origine affleure sur le corps, sur le visage, celle d’Esther « se trahissait dans cette coupe orientale de ses yeux à paupières turques » (CH, VI, 464). Ou encore, le romancier fait écho aux médecins qui, dans la première moitié du XIXe siècle, se sont attachés à décrire les effets (nocifs) produits sur les corps par certaines activités et certains environnements professionnels1. Il a recours à des formules générales pour signifier un rapport si étroit entre l’homme et le territoire que le corps s’en trouve nécessairement modifié. Ainsi Rogron, dans Pierrette, a « [...] la flasque lividité particulière aux gens qui vivent en des arrière-boutiques sans air, dans des cabanes grillées appelées Caisses [...] » (CH, IV, 43). L’intimité du lien charnel que Balzac élabore peut l’amener dans certains cas à donner, dans la lignée de la rhétorique aristotélicienne, un statut de preuve ou d’argument aux traces laissées par le territoire. Ainsi le mot « marque » est utilisée, à propos de du Guénic, pour parler des blessures que lui ont values de récents combats en Vendée, lors de l’équipée de la duchesse de Berry, et dans les relatives qui précèdent et où le mot n’apparaît pas alors qu’il est question de ce que ces mains ont fait dans le « Bocage » et les « Marais », à l’époque révolutionnaire, il s’agit déjà de montrer que le territoire à défendre s’est inscrit en lui sous forme de cicatrices : les mains ont saigné dans « les épines des halliers ». Ces traces ont la valeur de tekméria2, de signes susceptibles de prouver les droits sur la terre du personnage, dès lors que son action est valorisée : « Ces mains étaient le vivant commentaire de la belle devise à laquelle aucun Guénic n’avait failli : Fac ! » (CH, II, 652).

Dans le portrait de Mme Crochard, dans Une double famille, le romancier non seulement suggère qu’elle ressemble à son territoire de vie parce qu’elle est influencée par lui — elle a de « grands yeux gris [...] aussi calmes que la rue [...] » (CH, II, 19) —, mais encore, il souligne qu’elle a agi sur lui : c’est son « esprit d’ordre et d’économie » que « respirait cet asile sombre et froid ».

La métaphore courante, même banale, « respirait », signifie que le lieu inspire et surtout expire l’ « esprit » de l’occupante, qu’il l’exprime. Ce n’est plus le territoire qui s’incarne, mais l’esprit qui se matérialise en lui. L’idée de développer la représentation du façonnement de son environnement par l’homme qui l’habite, idée énoncée dans l’Avant-propos à partir de Buffon — « L’animal a peu de mobilier [...] tandis que l’homme [...] » (CH, I, 9) — est peut-être aussi venue à Balzac par Lavater qui écrivait :

Placé dans ce vaste univers, l’homme s’y ménage un petit monde à part, qu’il fortifie, retranche, arrange à sa manière, et dans lequel on retrouve toute son image3.

11. Je pense par exemple aux commentaires du docteur Moreau dans son édition de l’ouvrage de Lavater, à propos des ouvriers d’une galerie de charbon (L’Art de connaître les hommes par la physionomie, Depélafol, 1820, tome VI, p. 243), et à L. R. Villermé, au Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie (1840), Études et documentation internationales, 1989.

22. Aristote, Rhétorique, Le Livre de poche, coll. « Classique », tr. et notes de Michel Magnien, 1991, Livre premier, chapitre II, § XVI-XVII.

31. Lavater, L’Art de connaître les hommes, op.cit., volume I, tome I, p. 229.

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Régine Borderie

Mais cette relation entre l’homme et son « petit monde » a déjà été illustrée, ou suggérée par le roman. Dans La Nouvelle Héloïse, Saint-Preux dit à Julie de son cabinet « [...] il est plein de toi1 », et M. de Wolmar explique au jeune homme comment se manifeste dans un jardin la personnalité de l’homme de goût2

,

cabinets (ou boudoirs) et jardins étant en effet des lieux volontiers décrits par les romanciers du XVIIIe siècle dans une perspective expressive.

Balzac prolonge, étend, systématise la tradition romanesque.

Dans d’autres portraits, il approfondit la ressemblance entre l’homme et le territoire en exploitant les ressources de la métaphore. Ainsi, à l’observateur de Cambremer cloué sur son rocher, il donne ces pensées :

« Pourquoi cet homme dans le granit ? Pourquoi ce granit dans cet homme ? Où était l’homme, où était le granit ? » (CH, X, 1170). Dans ce cas, l’élaboration métaphorique (elle porte sur la préposition dans la première question, sur le groupe lexical sujet dans la deuxième) profite d’un autre héritage. En effet, elle s’accompagne en début de portrait d’une référence au stoïcisme (il est question de « l’immobilité stoïque » de Cambremer), et l’attitude contemplative du personnage est soulignée. Or Pierre Hadot a mis en lumière certains exercices spirituels pratiqués par les stoïciens, exercices de contemplation de l’univers visant à un dépassement du moi au profit du tout, avec découverte de l’implication dans le tout du moi qui est vécu comme une partie de celui-ci —

« Pourquoi cet homme dans le granit ? Pourquoi ce granit dans cet homme ? Où était l’homme, où était le granit ? » (CH, X, 1170). Dans ce cas, l’élaboration métaphorique (elle porte sur la préposition dans la première question, sur le groupe lexical sujet dans la deuxième) profite d’un autre héritage. En effet, elle s’accompagne en début de portrait d’une référence au stoïcisme (il est question de « l’immobilité stoïque » de Cambremer), et l’attitude contemplative du personnage est soulignée. Or Pierre Hadot a mis en lumière certains exercices spirituels pratiqués par les stoïciens, exercices de contemplation de l’univers visant à un dépassement du moi au profit du tout, avec découverte de l’implication dans le tout du moi qui est vécu comme une partie de celui-ci —