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T ERRITOIRES INCERTAINS EN PAYS PARISIEN

LIEUX, NON–LIEUX ET PASSAGES

T ERRITOIRES INCERTAINS EN PAYS PARISIEN

L’espace est un doute1.

Pour Balzac, la « monstrueuse merveille », la ville aux « cent mille romans2 » est une ville ouverte aux quatre vents de son imaginaire et l’on chercherait en vain dans La Comédie humaine des pages semblables à celles où Victor Hugo évoque dans Notre-Dame de Paris les enceintes successives de la ville. La ville close n’intéresse le romancier que dans la mesure où chaque enceinte qui éclate sous la pression urbaine d’un Paris en perpétuelle expansion crée ces zones incertaines où tout à la fois il est et n’est plus, ces endroits où le tissu urbain se démaille, s’effiloche, engendrant ces « enclos de solitude amis du vent3 » chers au poète à travers le temps qui passe. Espaces « sans genre », espaces marginalisés tout comme les personnages qui s’y inscrivent. C’est là, beaucoup plus que dans les quartiers neufs ou les quartiers du centre que le plongeur littéraire peut partir en quête d’aventures perdues, de drames oubliés.

Territoires de l’ambiguïté, du vacillement de l’identité, territoires où rôde souvent la folie guettant des êtres défaits aux énergies retombées, dont l’inquiétante étrangeté fascine le romancier ; d’où ce « tropisme des lisières4 » dont je voudrais donner quelques aperçus.

« Espèces d’espaces »

Situation

Cependant que Paris poursuit sa traditionnelle marche vers l’ouest et que les quartiers où habite la population « jeune et active5 » vont s’embellissant (notamment au niveau de l’éclairage et du pavage des rues), l’intérêt de Balzac se porte au sud et à l’est de la ville sur des quartiers proches des barrières6 et quelque peu oubliés par la truelle civilisatrice ; quartier de l’Observatoire lové dans son passé (c’est le quarante-huitième et dernier de Paris) et immédiatement contigu, le quartier du Luxembourg déjà présent dans Ferragus et reparaissant dix ans plus tard dans le roman inachevé Entre savants.

Il y fait cette fois l’objet d’une substantielle description d’ouverture, laquelle

1. Georges Perec, Espèces d’espaces, éditions Galilée, 1985, p. 122.

2. Ferragus, CH, V, 795.

3. Voir Julien Gracq, La Forme d’une ville, José Corti, 1985, p. 113.

4. Ibid., p. 44.

5. Ferragus, CH, V, 901.

6. Barrières qui ponctuent l’enceinte des Fermiers généraux.

prend parfois l’allure d’une sorte d’historique dans la mesure où le quartier est évoqué sous l’Empire et « aujourd’hui » ; vision stéréoscopique chère à un narrateur soucieux de noter les transformations de territoires qui finissent toujours par attirer l’attention des spéculateurs. Là habite, en attendant, le sympathique professeur Marmus. C’est aussi, aux lisières extrêmes de ce quartier du Luxembourg, tout près de la barrière du Mont Parnasse, que Bourlac expie son passé tandis que le faubourg Saint-Marceau accueille le colonel Chabert.

C’est le plus pauvre et dernier arrondissement de Paris (le douzième1) et il appartient déjà à une sorte de tradition littéraire au moment où Balzac évoque longuement sa misère sans poésie2.

Remontant progressivement vers le nord-est, on atteint le faubourg Saint-Antoine où Facino Cane caresse sa chimère. Là aussi habita Honorine avant de cultiver les fleurs de son secret là-bas, tout au bout de la longue rue Saint-Maur, près de la barrière de Ménilmontant. Et puis, plus au nord, n’oublions pas le sinistre faubourg Saint-Martin traversé dans la hâte et l’angoisse un certain 22 janvier 17933, car « ce lieu est encore aujourd’hui un des plus déserts de tout Paris4 ». Vallon semé de chaumières « où les clôtures sont en murailles faites avec de la terre et des os », c’est un « asile naturel de la misère et du désespoir5 », sorte de réplique du faubourg Saint-Marceau. Tous ces territoires sont à des degrés divers des « déserts » marqués du sceau de la solitude et du silence mais ils se souviennent d’avoir été campagne quand les faubourgs étaient, comme l’étymologie nous le rappelle, « hors les murs », avant d’être englobés dans Paris. Si l’on isolait de leur contexte certains passages descriptifs pour en composer une anthologie l’on se croirait effectivement, comme il est dit dans Honorine, à « cent lieues de Paris » (CH, II, 566).

 .Description

À titre d’exemples, voyez « le marais » qui entoure le pavillon et le charmant jardin de la fleuriste, vrai « musée de fleurs et d’arbustes » (ibid., 565), la maison de maraîcher occupée incognito par le fidèle espion du comte Octave et contemplez avec lui, loin des artifices du Paris moderne, les couleurs du crépuscule et la lumière naturelle de la lune. Voyez aussi, dans L’Envers de l’histoire contemporaine, la rue Notre-Dame-des-Champs dont le nom même évoque le passé champêtre. La maison de « monsieur Bernard » donne sur le boulevard du Montparnasse alors « désert comme les marais pontins » (CH, VIII, 330).

Balzac s’attarde complaisamment dans L’Envers de l’histoire contemporaine sur ce quartier dont la description tend parfois vers l’autonomie.

C’est dans la partie de la rue Notre-Dame-des-Champs aboutissant à la rue de L’Ouest, non pavée à cette époque, qu’est précisément située la maison à deux entrées6 de Bourlac. Bourbiers, jardins marécageux, étroits sentiers, ruisseaux

1. Ce n’est qu’en 1860 que Paris passera de douze à vingt arrondissements

2. Cf. J.-J. Rousseau relatant au livre IV des Confessions sa décevante entrée à Paris par le faubourg Saint-Marceau et Sébastien Mercier évoquant ses misères dans son Tableau de Paris.

3. Voir Un épisode sous la Terreur, CH, VIII, 433.

4. Ibid., 438.

5. Ibid., 438.

6. Comme celle de Balzac à Passy.

Territoires incertains en pays parisien

entourent une ancienne fabrique abandonnée. En effet, jusqu’en 1828 cette maison était une magnanerie, et trois arpents plantés en mûriers rue de l’Ouest même contribuaient à nourrir les vers à soie1 ; arpents « convertis plus tard en maisons » (ibid., 333) dans ce quartier « qui gagne beaucoup », précise le romancier : la remarque s’inscrit dans le courant de permanent intérêt porté aux mutations entraînées par la « fièvre des constructions2 ». Outre le mystérieux monsieur Bernard la maison abrite deux écrivains impécunieux. Gageons qu’ils sont sans doute fascinés comme le narrateur par ses murs en plâtre fendillé un peu comparables à une page d’écriture avec leurs inscriptions à déchiffrer3.

D’autres figurants animent l’endroit quasi provincial : petit domestique « ébouriffé comme un moineau4 » qui va chercher à la fontaine de l’Observatoire l’eau nécessaire en attendant, l’été venu, d’être garçon chez les marchands de vin des barrières, cependant que la Vauthier (lointaine réincarnation de madame Vauquer) fabrique des chaussons de lisière pour les vendeurs ambulants. Sans oublier ce jardinier du voisinage qui fournit du lait, des œufs et des fleurs pour la chère malade. Rappelons aussi que cette dernière, la fille de monsieur Bernard, sera soignée par l’inquiétant docteur Halpersohn dont la clinique est située rue Basse-du-Rempart à Chaillot, territoire bien connu de Balzac, non loin de ces lisières de la ville où il a trouvé lui-même refuge à la limite des anciennes Seigneuries d’Auteuil et de Passy, dans la maison à double entrée que nous connaissons bien5.

Toute proche de la rue de l’Ouest, la rue Duguay-Trouin, « en équerre », étendant l’une de ses deux branches précisément sur cette rue de l’Ouest et l’autre sur la rue de Fleurus. En 1827, elle non plus n’est pavée « ni d’un côté ni de l’autre » et n’est « éclairée ni à son angle rentrant ni à ses bouts6 », et peut-être en est-il de même « encore aujourd’hui » (c’est-à-dire en 1845, où fut publié dans Le Siècle le début d’Entre savants). Oubliée de la ville, promise à l’ensevelissement car située à un point dangereux des Catacombes elle est encombrée de telles ornières qu’un fiacre n’y monterait pas « pour cent sous ». Rue sans passants « en harmonie avec le silence qui règne dans le Luxembourg7 ». Pour toutes ces raisons et surtout depuis la débâcle de l’Empire, les loyers y sont modiques, d’où le choix du « savant enfoui là dans le giron de la nature8 » où parmi les plantes grimpantes et les corbeilles de fleurs il peut se livrer sans contrainte à sa chère botanique comparée.

Pour que ces territoires parisiens de l’entre-deux qui hésitent encore entre ville et campagne se transforment en lieux romanesques, voire en véritables actants, il suffit d’y ancrer ces personnages croisés par le romancier en ces lieux comme eux ambigus. Créatures errantes en marge du « torrent de Paris », elles sont comme des « premiers volumes de romans dont la fin nous

1. Onze autres arpents étant plantés « dans la plaine Montrouge » (CH, VIII, 333).

2. Ferragus, CH, V, 833.

3. Cf. L’Envers de l’histoire contemporaine, CH, VIII, 331.

4. Ibid., 332.

5. C’est la maison-musée de Balzac, située 47 rue Raynouard dans le seizième arrondissement de Paris.

6. Entre savants, CH, XII, 532.

7. Ibid.

8. Ibid., 528.

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échappe9 » : on ne saurait mieux dire. Toutes à leur manière sont des énigmes à déchiffrer.

Territoires du Secret et de la perte

Perte d’identité volontaire ou subie, perte du sentiment même d’humanité, voire perte de la vie toujours liée à des secrets qu’il faut chercher dans un hiatus, une fracture entre passé et présent. Le plus souvent secrets de vie et de mort.

Voici FERRAGUS, pauvre dévorant dévoré de chagrin, muré dans sa détresse comme est enfermée entre la grille sud du Luxembourg et la grille nord de l’Observatoire1 » cette esplanade sur laquelle il règne dérisoirement. Espace sans genre et sans nom tout comme lui. Jadis tout-puissant en ses multiples identités, il n’est plus aujourd’hui qu’un débris anonyme, « espèce intermédiaire2 » entre l’homme et l’animal, la plante et la pierre, béant, sans regard et sans voix, parvenu à un état « quasi fossile3 ».

Voici CHABERT devenu, lui, une espèce de mendiant de Paris

« création sans nom dans les langages humains4 », drapé dans un haillon rougeâtre tout là-bas aux limites extérieures de la ville, à Bicêtre. La quête et la perte d’identité sont pour lui hautement symbolisées par les lieux, en étroite osmose avec eux. Ainsi de cette « maison si toutefois ce nom convient à l’une de ces masures bâties dans les faubourgs de Paris » (CH, III, 337), maison de

« VERGNIAUD NOURRICIER » sise rue du Petit Banquier, rue non pavée aux profondes ornières elle aussi et toute proche de la barrière d’Italie. L’identité incertaine de la maison va de pair avec celle de Chabert : « Aucun des matériaux n’y avait eu sa vraie destination » (ibid.), pas plus que les preuves matérielles que Derville tente de rassembler pour prouver l’identité de son client n’atteindront leur but… Ces matériaux hétéroclites, est-il précisé, « provenaient tous des démolitions qui se font journellement dans Paris » (ibid.) : au nombre de ceux-ci peut-être quelques vestiges de cet hôtel qui jadis appartint au colonel Chabert, hôtel démoli par des spéculateurs dans une rue qui a perdu elle aussi prémonitoirement son identité : « Bah ! la rue du Mont-Blanc était devenue la rue de la Chaussée d’Antin » (ibid., 332). Rejeté de ce centre élégant où il n’a plus sa place vers la périphérie Chabert trouve néanmoins un « bivouac tempéré par l’amitié » (ibid., 339). Tout un réseau métaphorique métamorphose ce misérable territoire parisien en une sorte d’enclave napoléonienne évoquant campements et champs de bataille d’hier. Murs bâtis avec des ossements et de la terre, chambres enterrées par une éminence, quelques bottes de paille et, complétant l’illusion, « sur la table vermoulue, les Bulletins de la Grande Armée » (ibid.). Là peut encore luire une lueur d’espérance, la dernière avant la chute. « Semblable à une pierre lancée dans un gouffre », Chabert va bientôt de

« cascade en cascade, s’abîmer dans cette boue de haillons qui foisonne à travers les rues de Paris » avant de rebondir au dépôt de mendicité de Saint-Denis, en

9. Ferragus, CH, V, 901.

1. Ibid., 901.

2. Ibid., 903.

3. Ibid., 901.

4. Ibid., 815.

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attendant l’Hospice de la Vieillesse où le voici sur la souche d’un arbre comme lui abattu, niant lui-même son identité et jusqu’à son humanité : « Pas Chabert ! pas Chabert ! […] Je ne suis plus un homme, je suis le numéro 164, septième salle » (ibid., 372), murmure-t-il en traçant des raies sur le sable, où tout s’efface.

Sablier du temps qui lentement s’écoule aux lisières d’un passé révolu et de territoires à jamais perdus… Reste que « ce vieux-là est tout un poème » (ibid., 371), et bientôt des mots sauveurs d’oubli inscriront sur une page blanche l’ineffaçable arabesque de son destin.

Voici maintenant FACINOCANE, jadis Vénitien de haut rang, prince de Varèse et aujourd’hui simplement Père Canet, surgi de « cette masse hétérogène nommée le peuple » (CH, VI, 1020) dans un faubourg aux ferveurs révolutionnaires retombées. Dépouillé de sa fortune par une femme à laquelle il a dit le secret de son vrai nom, il est à sa manière un frère de misère de Chabert,

« tenu deux ans à Bicêtre comme fou »(ibid., 1030) par cette créature digne de la comtesse Ferraud. C’est à l’écart du tumulte de la ville, « devant l’eau noire des fossés de la Bastille » (ibid., 1031) que Facino Cane confesse son passé. Eau dormante comme celle des canaux de Venise ; eau lourde de secrets enfouis et

« dernier regret d’un nom perdu » (ibid.) pour ce vieil Homère qui garde « en lui-même une Odyssée condamnée à l’oubli » (ibid., 1023). Celle-ci sera toutefois sauvée là encore par les mots pour la dire, puisque déjà dans l’imagination du futur narrateur, sa confidence prend « les proportions d’un poème » (ibid., 1025).

Ne quittons pas les fossés de la Bastille, car ils vont nous conduire à présent vers une autre vivante et bien troublante énigme. En effet c’est là, dans cet endroit désert, « le long des fossés » (CH, II, 575) que s’échangent à mi-voix d’autres confidences et s’échafaudent d’autres plans, ceux du comte Octave et de son fidèle espion pour reconquérir HONORINE, jadis comtesse et aujourd’hui simple ouvrière en fleurs cachée rue Saint-Maur sous le nom de sa femme de charge. Paradoxalement ce territoire d’exil — exil choisi et farouchement préservé il est vrai — est le seul qui puisse faire vivre Honorine de sa vraie vie.

Là seulement, elle peut cultiver, comme le Desdichado de Nerval, « la fleur qui plaisait tant à [son] cœur désolé ». Fleur du mal certes, fleur de l’adultère mais enracinée en elle. Ces limbes de Paris où elle a trouvé refuge sont espace de rêverie salvatrice. « En la rêverie », remarque Bachelard, « le passé mort a en nous un avenir, l’avenir de ses images vivantes1 ». C’est exactement ce qu’éprouve au sens le plus fort du terme Honorine et ce qu’Octave ne peut imaginer. « Je ne puis pleurer ni m’abandonner à mes rêveries que seule » (ibid., 593), avoue-t-elle. Et lorsque, émue de pitié dangereuse, elle reviendra vers son mari, retrouvant son rang et son identité sociale dans l’un des plus beaux hôtels du faubourg Saint-Honoré acquis pour elle, elle en mourra.

Voyez encore BOURLAC qui, lui, fut bourreau avant d’être victime ensevelie dans ses lancinants secrets parmi des espaces sans habitations, déserts silencieux à son image. Il ne craint, face à l’intrusion de Godefroid, que d’être forcé d’en repartir et « d’aller hors barrières » car alors qui sait si « les médecins qui déjà viennent voir [sa] fille pour l’amour de Dieu voudront passer les barrières2 !… ». Il a naguère habité l’élégant quartier du Roule dont la misère l’a chassé. Mais comme on sait, l’ange du pardon veille dans l’ombre et « monsieur Bernard » retrouvera son identité, son prestige et son aisance. Quittant alors les

1. La Poétique de la rêverie, PUF, 1974, p. 96.

2. L’Envers de l’histoire contemporaine, CH, VIII, 336-337.

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misérables lisières sud de la ville il regagnera à l’ouest un prestigieux quartier : celui des Champs-Élysées, territoire d’une résurrection tant sociale pour le père que physique pour la fille, « comme retirée du cercueil » pour être rendue aux siens « jeune, belle, fraîche, ranimée1 ».

Reste à évoquer le sort — ô combien plus enviable que celui de ses prédécesseurs ! — du professeur Jean Népomucène Apollodore Marmus de Saint-Leu. Peu lui chaut d’apparaître parfois comme un simple « vieillard confiné près de la barrière d’Enfer2 », puisqu’il a su faire de son modeste espace une sorte de paradis du chercheur insoucieux de renommée. Et peu lui importe d’avoir au fil des ans et comme par distraction perdu la plus belle moitié de son nom puisque sa véritable identité est celle du savant. Il est vrai que sa nombreuse descendance apocryphe lui confère, par l’ironie d’un sort bien assumé, une sorte de surplus d’identité ! Sa vraie vie est ailleurs, car il appartient à ces êtres évoqués dans une phrase restée en suspens lors d’une première ébauche, êtres

« venus des pays hauts où sont nés le conseiller Crespel3… » et tous ceux dont la vraie patrie est un territoire fictif.

Voilà qui nous entraîne vers d’autres lisières que je voudrais évoquer brièvement dans la dernière étape de ce parcours.

Aux lisières du rêve éveillé

Lisières où seuls s’aventurent les artistes, les poètes véritables. Il arrive que sous leur regard ce soit Paris qui perde son identité, le monstre faisant alors place à la seule merveille. J’en veux pour preuve cette large perspective

« entre la barrière d’Italie et celle de la Santé », digne de ravir l’artiste le plus blasé sur les jouissances de la vue4. Au dernier plan, tout là-bas où le regard se perd, les « vaporeuses collines de Belleville chargées de maisons et de moulins confondent leurs accidents avec ceux de nuages5 ». « […] horizon aussi vague qu’un souvenir d’enfance », prélude à la métamorphose d’un Paris aux lignes fluidifiées par la lumière. L’atmosphère est alors un voile de gaze et d’azur irisé à travers lequel on peut admirer « une de ces féeries éloquentes que l’imagination n’oublie jamais » : « merveilleux aspect de Naples, de Stamboul ou des Florides6. »

Perte d’identité heureuse celle-là. Minute affranchie de l’ordre du Temps et de l’Espace. Il en est une autre (sensiblement contemporaine dans la création balzacienne), celle où la barque des Proscrits, avant de toucher le sable du « terrain », flotte sur la Seine embrasée par les torrents de lumière du couchant, inondant les cieux, teignant les eaux, faisant resplendir les herbes et réveillant les insectes endormis (CH, XI, 545). Au regard de Dante en exil fasciné par ce spectacle sublime, Paris devient alors miroir magique de Florence : en effet, « à cette heure-même », là-bas les lucioles brillent comme des diamants dans la ville trempée de lumière ; ville d’or semblable à la

1. Ibid.,.411.

2. Entre savants, CH, XII, 531.

3. Voir la première ébauche d’Entre savants, ibid., 523.

4. La Femme de trente ans, CH, II, 1142.

5. Ibid., 1143.

6. Ibid.

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Jérusalem céleste. Là serpente aussi une rivière, là à cette heure les ondes prennent sous le ciel du couchant des « teintes fantastiques » et figurent de

« capricieux tableaux » (ibid.). Eaux brillantes, édifices éloquents, lignes de l’horizon dessinées à travers les vapeurs du soir : sommes-nous à Paris ? À Florence ? Villes ouvertes à l’espace de la rêverie et du temps retrouvé.

Ne quittons pas l’Italie où nous entraîne encore en plein Paris un autre rêveur inspiré, le jeune confident de Facino Cane, qui voit Venise en ruines et l’Adriatique sur la figure ruinée du vieux Vénitien. Visage-paysage qui engendre une rêverie agissante : « je me promenais dans cette ville si chère à ses habitants, j’allais du Rialto au Grand Canal, du quai des esclavons au Lido […]

je contemplais ces vieux palais si riches de marbre, enfin toutes ces merveilles avec lesquelles le savant sympathise d’autant plus qu’il les colore à son gré et ne

je contemplais ces vieux palais si riches de marbre, enfin toutes ces merveilles avec lesquelles le savant sympathise d’autant plus qu’il les colore à son gré et ne