Section II. Les instruments de la mondialisation du commerce
1. L’Organisation mondiale du commerce
Le développement des échanges a besoin d’un environnement réglementaire qui
oppose de moins en moins d’obstacles aux relations économiques entre pays
204. Il
est clair aujourd’hui que « l’attraction du marché sur le droit est identique voire
supérieure à celle qu’exerça sur lui l’État »
205. La déréglementation
206est, en
principe, entendue comme étant une réduction ou une suppression de la
réglementation dans un secteur donné dans le but de privilégier les forces du
marché
207. De nombreux pays ont ainsi évolué inexorablement vers une plus
204 Philippe MALAURIE, « Le marché et l’État à l’heure de la mondialisation. (Réglementations contraignantes et libertés économiques : la quadrature du cercle) », (2008) 14 LPA 9.
205 Marie-Anne FRISON-ROCHE, « Le contrat et la responsabilité : consentements, pouvoirs et régulation économique », (1998) RTD Civ. 43, 45.
206 Pierre ISSALYS, « Figures et avenir de la déréglementation », (1999) 1:2 Éthique publique 83, 88 ; Jean-Michel SÉVÉRINO, « Déréglementation et régulation », dans Françoise BARRET- DUCROCQ (dir.), Quelle Mondialisation ?, Paris, Bernard Grasset, 2001, p. 300, à la page 305. 207 Jean-Claude CLOUTIER, « Éthique, réglementation et bien public », (1999) 1:2 Éthique
publique 78, 79 : « la réglementation étatique a fait l’objet d’efforts d’allégement dans la plupart
des pays occidentaux au cours des vingt dernières années. En effet, la plupart des gouvernements se sont dotés de politiques et de moyens visant à s’assurer que la réglementation est bien la meilleure façon d’atteindre certains objectifs de société ou, tout le moins, qu’elle nuit le moins possible au développement économique. »
56
grande dépendance à l’égard des marchés internationaux, afin de mettre en place
des conditions favorables à la croissance et au développement
208.
En effet, les règles qui régissent le commerce, les flux financiers, les
investissements, la détermination des prix, les normes sociales ou
environnementales échappent de plus en plus aux législations nationales
209. Ainsi,
à la différence d'un « droit mondialisé »
210, dont l'édification s'inscrit dans un
temps long, nous assistons à la constitution progressive, mais inéluctable, d'un
droit du marché, le « droit de la mondialisation »
211. Ce droit instrumental qui
organise la circulation des échanges s'étend et se généralise
212. Il en résulte que le
fonctionnement du marché devient l'inspirateur de la norme et non plus l'objet de la
contrainte.
208 Hanns ULLRICH, « La mondialisation du droit économique : vers un nouvel ordre public économique. Rapport introductif », (2003) 3 RIDE 291, 292 et 293 : « À l’origine, l’idée était que la mondialisation économique est essentiellement un phénomène de l’extension des marchés concurrentiels au-delà des frontières nationales à une échelle globale. Cette extension serait le résultat de la libéralisation du commerce international. Elle entraînerait une diminution du contrôle que l’État national peut exercer sur les activités économiques, qui sont liées à son marché territorial. La déréglementation et la déterritorialisation se résumeraient ainsi en une désétatisation ».
209 Jean-François RIFFARD, « Mondialisation de l’économie et internationalisation du droit des affaires : une abdication de l’État de droit ? » dans Daniel MOCKLE (dir.), Mondialisation et État
de droit, Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 275, à la page 276 et suiv.
210 Mireille DELMAS-MARTY, « La mondialisation du droit », dans Jean BAECHLER et Ramine KAMRANE (dir.), Aspects de la mondialisation politique, Paris, P.U.F., 2003, p. 67, à la page 68 ; Mireille DELMAS-MARTY, « La mondialisation du droit : chances et risques », (1999) D. chron. 43.
211 Jacques CHEVALLIER, « Mondialisation du droit ou droit de la mondialisation », dans Charles-Albert MORAND (dir.), Le droit saisi par la mondialisation, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 37.
212 K. BENYEKHLEF, préc., note 21, p. 292 ; Emmanuel DECAUX, Droit international public, Paris, Dalloz-Sirey, 2008, p. 377.
57
Après la Seconde Guerre mondiale, le GATT fut institué par la communauté
internationale
213. Fondé sur les principes de la coopération multilatérale, le GATT
reçut pour mandat de réduire les tarifs douaniers par rapport à leurs sommets
d’avant-guerre et de continuer à les abaisser
214. Les institutions de Bretton Woods
et le dispositif de libéralisation du commerce multilatéral fourni par le GATT ont
joué un rôle décisif, en incitant un nombre croissant de pays à adopter des
systèmes économiques ouverts, fondés sur les mécanismes du marché
215.
L’OMC, qui a succédé au GATT, a marqué une nouvelle étape dans l'organisation
du commerce mondial
216. La conclusion, en avril 1994, de l’Uruguay Round, au
213 Emmanuel COMBE, L’Organisation Mondiale du Commerce, Paris, Armand Colin, 1999, p. 26. Sur la naissance des accords du GATT, « deux négociations sont entamées dès 1946, l’une au sein de l’ONU portant sur la création d’une organisation internationale du commerce, l’autre à Genève sur la réduction des barrières douanières. Les débats au sein des Nations unies se concluent en mars 1948 par la charte de la Havane, qui reste cependant lettre morte, le Congrès américain refusant de la ratifier : il y voyait en effet une trop grande perte de souveraineté dans la formulation de la politique commerciale américaine. Sur le plan institutionnel, aucune organisation internationale du commerce ne voit le jour. De leur côté, les négociations de Genève débouchent en octobre 1947 sur un accord général de réduction des tarifs douaniers, qui s’institutionnalise sous le nom de GATT (General agreement on tariffs and trade) : le GATT ne constitue pas une organisation internationale au sens juridique du terme ».
214 J.-P. BIBEAU, préc., note 110, p. 155 : « Le GATT (General Agreement on Tariffs and Trade), appelé en français Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, a été pendant 46 ans la plus importante des institutions instaurées pour favoriser la croissance du commerce international. Durant cette période, il établissait le cadre économique, financier et institutionnel du fonctionnement du commerce mondial ».
215 E. COMBE, préc., note 213, p. 27. La charte du GATT reposait sur cinq grands principes : l’article I de la charte établit la clause inconditionnelle de la nation la plus favorisée, le second principe porte sur la consolidation des droits de douane (article II), le troisième principe est celui du traitement national (article III), le quatrième principe établit la transparence des politiques commerciales et enfin le dernier principe porte sur la réciprocité des concessions tarifaires (article XXVIII).
216 Voir Pierre-Alain GOURION, Georges PAYRARD et Nicolas SOUBEYRAND, Droit du
commerce international, 4e éd., Paris, L.G.D.J./Lextenso, 2008 ; Jean-Baptiste RACINE et Fabrice SIIRIAINEN, Droit du commerce international, Paris, Dalloz, 2007 ; Olivier CACHARD, Droit du
commerce international, Paris, L.G.D.J., 2008 ; Michael J. TREBILCOCK et Robert HOWSE, The Regulation of International Trade, 3e éd., New York, Routledge, 2005 ; Dominique PANTZ,
58
terme de huit ans de négociations, marque certainement une étape importante dans
la consolidation du multilatéralisme dans les relations économiques
internationales
217. L’originalité de cet accord par rapport aux cycles précédents de
négociation est que le mouvement de libéralisation des échanges est étendu, tant
en ce qui concerne le champ couvert, que les formes de libéralisation. Les
compétences de l'OMC
218sont, en effet, élargies à de nouveaux domaines : au-delà
des échanges de marchandises, elles portent désormais sur les services et les droits
de propriété intellectuelle. L’objectif étant d’élargir le champ d’action initial des
accords existants à un plus grand nombre d’activités
219.
Institutions et politiques commerciales internationales : du GATT à l’OMC, Paris, Armand Colin,
1998 ; Bernard M. HOEKMAN, The Political Economy of the World Trading System: From GATT
to WTO, Toronto, Oxford University Press, 1996.
217 J. B. GÉLINAS, préc., note 13, p. 83. En effet, comme le précise l’auteur : « Contrairement au GATT, qui « n’a jamais cherché à influencer les politiques de régulation internes des États, ni remis en cause la prééminence nationale sur la libéralisation ». L’OMC tend à faire prévaloir les objectifs internationaux sur les considérations nationales ».
218 Sur le cadre juridique de l’OMC, voir J.-P. BIBEAU, préc., note 110, p. 158 : « Créée officiellement le 1er janvier 1995, l’OMC est gouvernée par une conférence ministérielle : composée de l’ensemble de représentants des membres, elle est l’autorité suprême de l’organisation. Cette conférence a lieu tous les deux ans. Entre deux réunions, les fonctions de la conférence sont assurées par le Conseil général. »
219 Sur le fonctionnement de l’OMC, voir Bernard LANDRY, Antoine PANET-RAYMOND et Denis ROBICHAUD, Le commerce international. Une approche nord-américaine, 2e éd., Montréal, Chenelière Éducation, 2008, p. 23 : « Par comparaison avec le GATT, l'OMC est une institution et non un accord. La plupart des principes énoncés sous le GATT sont entérinés de facto par l'OMC. Celle-ci a son siège à Genève, en Suisse, et compte maintenant 151 membres, incluant la Chine qui s'y est jointe en 2001. En plus des membres, l'OMC regroupe des observateurs qui peuvent être des États en cours d'adhésion ou des organisations internationales (FMI, Banque mondiale, etc.). Le but fondamental de l'OMC est de favoriser la liberté des échanges en supprimant les barrières au commerce et en informant les particuliers, les entreprises et les autorités publiques des règles commerciales en vigueur. L'OMC sert aussi de cadre à des négociations commerciales entre pays et de lieu de règlement des différends. »
59
L'avènement de ce nouveau système multilatéral, fondé sur la non-discrimination
et sur la réciprocité, met théoriquement sur un pied d'égalité les pays membres
220.
L’une des méthodes que l’on retrouve dans tous les principaux accords de l’OMC
repose sur des engagements pris par les États quant à leur système de
réglementation intérieur : non-discrimination, obligation de justifier la
réglementation, transparence, souci d’éviter les mesures restrictives inutiles
221.
Le principe de non-discrimination constitue le fondement du système commercial
international depuis 1945. Selon ce principe, toute faveur spéciale consentie par un
pays membre à un autre pays doit être accordée à tous les autres pays membres
sans exception. Les règles relatives à la non-discrimination doivent, ainsi, garantir
des conditions commerciales loyales
222. Ce principe s'applique aussi aux services,
aux marques de commerce, aux droits d'auteur et aux brevets étrangers et
nationaux. Il est d’ailleurs repris dans les principaux accords de l’OMC
notamment dans l'Accord général sur le commerce des services (AGCS ou GATS
220 Olivier BLIN, L’Organisation mondiale du commerce, 2e éd., Paris, Ellipse, 2004, p. 13 ; E. COMBE, préc., note 213, p. 80.
221 François OST et Michel VAN DE KERCHOVE, « De la pyramide au réseau ? Vers un nouveau mode de production du droit ? », (2000) 44 R.I.E.J. 1, 70 : « Qu’il s’agisse de l’ordre régional européen ou de l’ordre planétaire de l’O.M.C (Organisation Mondiale du Commerce), un même impératif prévaut en effet : dégager la concurrence de toute contrainte, y compris des législations étatiques (fiscales, sociales, environnementales, culturelles…) analysées désormais comme autant d’entraves à la libre circulation des personnes et des biens, des capitaux et des services ».
60
en anglais)
223et dans l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle
qui touchent au commerce (ADPIC ou TRIPS en anglais)
224.
L’originalité de l’OMC réside, en outre, dans la création, en son sein, de l'Organe
de règlement des différends (ORD)
225, chargé d'arbitrer les conflits
commerciaux
226. Le fonctionnement de l'OMC repose d’ailleurs en grande partie
sur l’ORD
227. En cas de conflit commercial, les pays membres disposent de
soixante jours pour trouver une solution compatible avec les règles de l'OMC. Au
terme de cette période, si les négociations échouent, l'affaire est portée devant
l’OMC.
Le plaignant demande la création d'une commission d'arbitrage appelée « groupe
spécial de travail » qui établit un rapport dans un délai de six mois maximum. Une
fois examiné, le rapport est adopté par l’ORD, sauf s'il est rejeté à l'unanimité ou
223 Accord général sur le commerce des services de 1994 [AGCS], Annexe 1B de l’Accord instituant l’OMC.
224 Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce de 1994 [ADPIC], Annexe 1C de l’Accord instituant l’OMC.
225 Kelly ALLBEURY, « La place du règlement des différends au sein de l'Organisation mondiale du commerce », dans Marie-Anne FRISON-ROCHE (dir.), Les risques de régulation, Paris, Presses de Sciences Po et Dalloz, 2005, p. 163 ; Christophe CHARLIER et Michel RAINELLI, « Politique commerciale et recours au mécanisme de règlement des différends de l’OMC », (2009) 3
RIDE 253.
226 Alain PELLET et Hubert LESAFFRE, Le règlement des différends au sein de l’OMC et le droit
de la responsabilité internationale, Paris, L.G.D.J., 2007, p. 613 ; Éric CANAL-FORGUES, Le règlement des différends à l’OMC, 2e éd., Bruxelles, Bruylant, 2004.
227 J. CHEVALLIER, préc., note 49, 836 : « l'OMC est ainsi devenue, à travers les normes qu'elle édicté et les sanctions qu'elle prononce, le régulateur des échanges internationaux, dont le rôle économique apparaît sans cesse plus important ».
61
fait l'objet d'un appel
228. L’OMC s’assure, ainsi, de la sauvegarde du droit des
États de poursuivre des objectifs légitimes de politique publique concernant les
garanties sociales, par exemple, tout en refusant, ou en limitant au maximum,
l’emploi d’instruments politiques visant à faire échouer les engagements déjà pris
en matière d’accès aux marchés et à entraver le mouvement général vers un
commerce ouvert et concurrentiel
229.
Les travaux sur le commerce électronique au sein de l’OMC restent modestes.
Nous pourrions citer la Déclaration sur le commerce électronique mondial
230,
adoptée lors de la deuxième Conférence ministérielle qui s'est tenue à Genève, le
20 mai 1998, qui invitait instamment le Conseil général de l'OMC à établir un
programme de travail global pour examiner toutes les questions qui se rapportaient
au commerce électronique mondial. Suite à cette Déclaration, le conseil général de
l'OMC a approuvé en septembre 1998, un programme de travail
231sur les
228 Sur la procédure de règlement des différends à l’OMC, voir O. BLIN, préc., note 220, p. 87 et suiv. ; Vilaysoun LOUNGNARATH, « Le mécanisme de règlement des différends », dans Christian DEBLOCK (dir.), L’Organisation mondiale du commerce : où s’en va la mondialisation?, Montréal, Fides, 2002, p. 56.
229 Filali OSMAN, « Vers un droit mondial du commerce ? » dans Filali OSMAN (dir.), The World
Trade Organization : towards world trade law?, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 263, à la page 267.
L’auteur précise que relativement au droit mondial produit par l’OMC, « le but recherché est celui d’une harmonisation à minima En effet, celle-ci n’embrasse pas toutes les branches et, d’autre part, ne fait pas obstacle à ce que les États adoptent des législations plus protectrices en matière d’environnement ou de normes sociales, sous réserve du respect du principe de proportionnalité entre le résultat recherché et l’entrave à la liberté des échanges ».
230 ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE, Déclaration sur le commerce électronique
mondial, Conférence ministérielle, 20 mai 1998, disponible à l'adresse :
<http://www.wto.org/french/tratop_f/ecom_f/mindec1_f.htm> (consulté le 6 juillet 2013).
231 ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE, Programme de travail sur le commerce
électronique, Conseil général, 25 septembre 1998, disponible à l'adresse :
62
différentes questions afférentes au commerce électronique et particulièrement dans
le domaine fiscal, de la propriété intellectuelle et des transactions électroniques
232.
Le système de l’OMC a permis de réaliser des progrès dans la réduction ou
l’élimination des obstacles au commerce mondial même s’il rencontre
d’importantes résistances relativement à ses implications sociales
233et suscite de
nombreuses craintes et interrogations entrainant des blocages importants des
négociations multilatérales. Lancé officiellement à la quatrième conférence
ministérielle de l'OMC, tenue à Doha, le tout dernier cycle de négociations
commerciales entre les Membres de l'OMC vise à réformer en profondeur le
système commercial mondial. Le Cycle de Doha
234est resté au point mort en
232 Sur la question, voir Alain-Louis MIE, « La place de l’internet et du commerce électronique dans le cadre des négociations multilatérales », dans Georges CHATILLON (dir.), Le Droit
International de l’Internet, Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 363, à la page 365.
233 B. LANDRY, A. PANET-RAYMOND et D. ROBICHAUD, préc., note 219, p. 25 : « Chaque Sommet de l'OMC, de Seattle à Davos, est suivi de près et perturbé par les groupes altermondialistes. Chaque conférence devient un enjeu majeur dans les relations Nord-Sud et provoque sa série de débats. Certains contestent le caractère démocratique de l'OMC en avançant que les ressources des pays riches favorisent le suivi de leurs propres dossiers aux dépens des pays plus pauvres. D'autres prétendent que les principes du mercantilisme développés par l'OMC seraient la source d'un conflit de droits avec des normes internationales en matière de droits de l'homme, de protection sociale et environnementale, de protection de la santé, etc. Peu importe la nature du débat, les manifestations qui entourent la tenue de chaque Sommet de l'OMC font ressortir de l'inquiétude en ce qui concerne les répercussions de la mondialisation. Dans ces conditions, la résistance au processus de mondialisation exclusivement axé sur des considérations de rentabilité économique et échappant de plus en plus à tout contrôle démocratique devient une cause commune. »
234 ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE, Cycle de Doha : <http://www.wto.org/french/tratop_f/dda_f/dda_f.htm> (consulté le 6 juillet 2013).