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Une confiance restreinte

Section II. Les freins à l’essor du commerce électronique global

2. Une confiance restreinte

La confiance est un thème crucial, aux contours multiples et d'une actualité

saisissante. Quitte à engendrer un faux sens et susciter une série de malentendus, le

caractère polysémique de la confiance recouvre en fait plusieurs acceptions. Le

mot est difficile à cerner, car, comme le souligne Jean-Michel Servet, il s’agirait

d’« une sorte de mot couvert ou de mot couvercle »

416

. Étudiée par de nombreuses

disciplines, la confiance ne serait pas un concept uniforme, mais se déclinerait en

plusieurs catégories

417

.

415 S. GUILLEMARD, préc., note 132, p. 346 : « l'acheteur en ligne n'est pas un avatar du consommateur du monde traditionnel, n'en a pas les caractéristiques, les mêmes habitudes d'achats, le même rapport de faiblesse par rapport au cocontractant ».

416 Jean-Michel SERVET, « Le chapeau », dans Philippe BERNOUX et Jean-Michel SERVET (dir.), La construction sociale de la confiance, Paris, AEF/Montchrestien, 1997, p. 17, à la page 17. 417 C. CHASSIGNEUX, préc., note 43, 463.

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Étymologiquement, le mot confiance provient du latin confidentia. L’anglais a

deux mots pour désigner cet état mental à savoir trust et confidence

418

. De manière

générale, bien que cela reste un construit complexe

419

, la confiance est définie

comme un « sentiment que l'autre partie de l'échange (individu, groupe,

organisation) agira avec honnêteté et qu'elle dispose de la compétence nécessaire

pour accomplir la prestation attendue »

420

.

Ses composantes essentielles sont l’intégrité, la crédibilité et la croyance dans la

bienveillance d’une partie à l’égard de l’autre

421

. Elle est une croyance mutuelle

des parties que chacune agira dans le meilleur intérêt des deux parties en

418 Sur la distinction entre trust et confidence, voir Niklas LUHMANN, “Familiarity, Confidence, Trust: Problems and Alternatives”, dans Diego GAMBETTA (dir.), Trust. Making and Breaking

Cooperative Relations, Oxford, Basil Blackwell Ltd., 1988, p. 95, à la page 97 : “If you choose one

action in preference to others in spite of the possibility of being disappointed by the action of other, you define the situation as one of trust. In the case of confidence you will react to disappointment by external attribution. In the case of trust you will have to consider an internal attribution and eventually regret your trusting choice. […] The distinction between confidence and trust depends on our ability to distinguish between dangers and risks, whether remote or a matter of immediate concern. The distinction does not refer to questions of probability and improbability. The point is whether or not the possibility of disappointment depends on your own previous behavior.”

419 Jean-Marie THIVEAUD, « Des formes complexes de la confiance : confiance, alliance, pacte, serment, etc. », dans Philippe BERNOUX et Jean-Michel SERVET (dir.), La construction sociale

de la confiance, Paris, Montchrétien, 1997, p. 5, à la page 7.

420 OFFICE DE LA LANGUE FRANÇAISE, préc., note 6.

421 Jean-Michel SERVET, « Paroles données : le lien de confiance », (1994) 4 Revue du M.A.U.S.S. 37, 39. La confiance est « l’état d'une personne, d'un groupe ou d'une institution face à un objet, un mécanisme, un animal, un environnement physique, un groupe ou une institution; cet état est fondé sur des éléments affectifs, intuitifs ou sur un ensemble d'informations; il permet d'anticiper une réaction ou un comportement dans telle ou telle situation. Ce n'est pas par simple intérêt marchand que les individus sont honnêtes, non opportunistes, etc., et peuvent ou non faire confiance ou se faire confiance. Pour comprendre la construction sociale de la confiance, il faut saisir l'ensemble des réseaux de socialisation des individus dont l'intérêt personnel n'est qu'un des ingrédients au poids très variable selon les époques. »

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interaction

422

. Celui qui a confiance s'en remet à une autre personne qui devrait

agir pour servir les intérêts des deux parties et non le sien propre au détriment de

celui qui a confiance.

Dans ce sens, la confiance est alors une attente d’un comportement particulier

423

,

elle représenterait : “the willingness of a party to be vulnerable to the actions of

another party based on the expectation that the other will perform a particular

action important to the trustor, irrespective of the ability to monitor or control that

other party”

424

. Cette représentation de la confiance se concentre sur la notion de

contrôle. En déléguant un acte, celui qui a confiance n'a plus de contrôle sur cet

acte et le sentiment de confiance semble alors intervenir pour rétablir un équilibre

contrebalançant cette perte de contrôle qui entraîne une certaine vulnérabilité.

422 Christian THUDEROZ, « Introduction au propos : la confiance en question », dans Vincent MANGEMATIN et Christian THUDEROZ (dir.), Des mondes de confiance. Un concept à

l’épreuve de la réalité sociale, Paris, CNRS, 2003, p. 19, à la page 23 : « La confiance est un

concept pluridimensionnel (un « hyper concept », a-t-il été dit) et, de ce fait, déconcertant : il caractérise, simultanément, une relation et l’espoir fondé sur cette relation ; un état donné de cette relation et une action (ou un mouvement) ; une attitude et un comportement ; une propriété (ou une faculté) et une croyance ».

423 Francis FUKUYAMA, La confiance et la puissance. Vertus sociales et prospérité économique, Paris, Plon, 1997, p. 36. Pour l'auteur, « la confiance est l'attente qui naît, au sein d'une communauté, d'un comportement régulier, honnête et coopératif, fondé sur des normes communément partagées, de la part des autres membres de cette communauté. Ces normes peuvent concerner des questions de « valeur » profondes, comme la nature de Dieu ou de la justice, mais elles englobent également des étalons professionnels et des codes de conduite. »

424 Roger C. MAYER, James H. DAVIS et F. David SCHOORMAN, “An integrative model of organisational Trust”, (1995) 20:3 Academy of Management Review 709, 712.

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La confiance est l’affaire de tous les acteurs auxquels profite le commerce

électronique dans sa dimension de lien social

425

. En tout état de cause, elle reste

essentielle à son développement dans sa capacité à établir un climat économique

favorable

426

. Le commerce électronique comporte des facteurs de méfiance

particuliers imputables aux caractéristiques mêmes d’Internet, à savoir

l’immatérialité des échanges, la globalité et l’interactivité.

Ainsi, comment un cyberacheteur peut-il être assuré que le commerçant, avec qui il

fait affaire sur Internet, est bien digne de confiance ? La connaissance de l'identité

du cocontractant est un élément déterminant des rapports contractuels que

l'utilisateur désire mettre en œuvre

427

. Or sur Internet, l'absence physique des

parties rend délicate la question de leur identification

428

. Le cocontractant manque

425 J.-M. SERVET, préc., note 416, à la page 32. L'auteur explique que : « pour comprendre la construction sociale de la confiance, il faut intégrer des logiques telles que le bien commun, les réseaux, les systèmes de règles autrement dit saisir essentiellement la confiance comme un lien social » ; voir aussi Partha DASGUPTA, “Trust as a commodity”, dans Diego GAMBETTA (dir.),

Trust. Making and Breaking Cooperative Relations, Oxford, Basil Blackwell Ltd., 1988, p. 59 ;

André ORLEAN, « Sur le rôle respectif de la confiance et de l'intérêt dans la constitution de l'ordre marchand », (1994) 4 Revue du MA.U.S.S. 22.

426 Sur le rôle de la confiance dans le développement du commerce électronique, voir Cynthia CHASSIGNEUX, L'encadrement juridique du traitement des données personnelles sur les sites de

commerce en ligne, Thèse de doctorat, Montréal, Faculté des études supérieures, Université de

Montréal, 2003, p. 68 et suiv ; Hillarius KLUDZE et W. Glenn ROWE, « Le rôle de la confiance dans le commerce électronique : une analyse stratégique », (2002) 27 Gestion 80, 83 ; P.-H. VALLÉE et E. MACKAAY, préc., note 43, p. 11.

427 Valérie Laure BENABOU, « La confiance dans l’économie numérique », dans Valérie BENABOU et Muriel CHAGNY (dir.), La confiance en droit privé des contrats, Paris, Dalloz, 2008, p. 65, à la page 66. Comme le précise l’auteure : « La notion de confiance se fait d’autant plus nécessaire que l’économie numérique marque une certaine « dépersonnalisation » des relations ».

428 T. SCHULTZ, préc., note 19, p. 96 : « Les difficultés d’identification sont dues aux nombreuses possibilités techniques de masquer les codes d’identification des ordinateurs se connectant sur Internet (par exemple les logiciels d’anonymisation, disponibles gratuitement sur le web) et les adresses de courrier électronique (notamment par des sites relais de réadressage automatique des

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d'informations sur l'autre partie impliquée dans la transaction et reste totalement

dépendant de l’information donnée par le commerçant : caractéristiques du

produit, disponibilité, délais de réception.

Le client se trouve obligé de s’engager avant de pouvoir tester ou toucher le

produit ou le service commandé, avant la réception. En cas de problème, il dépend

des moyens de contact mis en place par le professionnel. Le cyberacheteur est

donc plus vulnérable à cause des conditions de la prestation

429

et donc du risque

430

pris par le consommateur. Ainsi,

« Avant de s’engager dans une transaction en ligne, les acteurs

commerciaux mettront en balance, d’un côté, la confiance

(interpersonnelle) qu’ils peuvent avoir dans leur partenaire

commercial et, de l’autre, les risques impliqués par la

transaction »

431

.

courrier) ou à l’accessibilité gratuite pour tout utilisateur de technologies de cryptage suffisamment efficaces pour s’opposer aux services secrets les plus prestigieux ».

429 Magda FUSARO, avec la collaboration de Yves THEORET et Claude-Yves CHARRON,

Commerce électronique : comment créer la confiance, Québec, Isabelle Quentin Editeur, 2002, p.

21 ; Alexandre GUIMOND, « La notion de confiance et le droit du commerce électronique », (2008) 12:3 Lex Electronica, disponible à l’adresse : <http://www.lex- electronica.org/docs/articles_15.pdf> (consulté le 6 juillet 2013).

430 OFFICE DE LA LANGUE FRANCAISE, préc., note 6 : « Ce qui menace ou compromet la sûreté, l'existence d'une personne ou d'une chose. »

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La confiance interpersonnelle est faible sur Internet

432

et les risques potentiels de

fraude en ligne se combinent aux risques classiques inhérents aux rapports

contractuels. Les fraudes en ligne se sont, en effet, généralisées et

professionnalisées. Au début, l'escroquerie était montée par une seule personne,

qui essayait le plus souvent de subtiliser un mot de passe, aujourd'hui, ce sont des

véritables organisations mafieuses qui agissent à travers le monde entier.

L’acheteur veut, ainsi, être assuré de l’absence de risques à trois niveaux : les

pratiques commerciales, l’intégrité de la transaction et la protection de ses données

personnelles. Cette absence de risques renvoie à la notion de sécurité

433

. La

sécurité évoque une situation où l’on n’a aucun danger à craindre. Pourtant, cette

définition reposant sur le principe de risque nul n’est nullement adaptée aux

activités humaines

434

qui se déroulent désormais dans « une société de

risques »

435

.

Le risque est une exposition à un danger potentiel, inhérent à une situation ou une

activité. Cependant, la prise de risque est mesurable et prévisible dans certains cas.

432 Id., p. 244. La confiance dans le commerce électronique prend « le sens de reliance ou d’affidamento, c'est-à-dire le fait de se fier à un certain comportement d’un tiers (par opposition au trust ou à la fiducia, qui caractérise la confiance dans la partie cocontractante). »

433 OFFICE DE LA LANGUE FRANÇAISE, préc., note 6 : « État de quelqu'un ou de quelque chose qui est à l'abri du danger »

434 Serge BÉDARD, « Gestion des risques d'entreprises et les processus d'affaires », dans Abdelhaq ELBEKKALI, Gouvernance, audit et sécurité des TI, Brossard, CCH, 2008, p. 43, à la page 60. 435 Ulrich BECK, La Société du risque : Sur la voie d'une autre modernité, Paris, Flammarion, 2008 ; Ulrich BECK, « Risque et société », dans Sylvie MESURE et Patrick SAVIDAN (dir.), Le

dictionnaire des sciences humaines, Paris, Quadrige, P.U.F., 2006, p. 1022.

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La gestion des risques

436

constitue un ensemble de concepts, de démarches et

d'outils destinés à identifier et à contrôler les risques. L’objectif étant la

détermination d’un degré d’incertitude acceptable

437

. Ainsi, sur Internet, la

régulation résulte de stratégies de gestion des risques de régulateurs publics et

d’acteurs privés

438

.

436 Alain DESROCHES, Alain LEROY et Frédérique VALLÉE, La gestion des risques : principes

et pratiques, 2e éd., Paris, Lavoisier, 2007 ; Olivier HASSID, La gestion des risques, 2e éd., Paris, Dunod, 2008.

437 Julien LE CLAINCHE, « Libertés et sécurité : équilibrer les régimes de responsabilité », dans Stéphanie LACOUR (dir.), La sécurité aujourd'hui dans la société de l'information, Paris, L'Harmattan, 2007, p. 37, à la page 39 : « Le degré de risque acceptable soit au niveau individuel, soit au niveau de la société prise dans son ensemble. »

438 Pierre TRUDEL, « La régulation d’Internet : gestion de risques et normativités en réseaux », disponible à l’adresse :

<http://www.chairelrwilson.ca/cours/drt6906/RegulInternetmodelereso.pdf> (consulté le 6 juillet 2013), p. 1 : « Dans un espace en réseau, les régulateurs et les acteurs sont en position d’accroître ou de réduire les risques pour eux-mêmes ou pour d’autres. La technique produit des situations qui augmentent ou diminuent les risques. II en est de même pour les lois étatiques principalement celles des entités dominantes comme l’Union européenne ou les États-Unis. Les acteurs du net envisagent les contraintes et possibilités techniques de même que les lois qui sont susceptibles de s’appliquer à leurs activités comme autant de risques à gérer. La régulation agissante dans le cyberespace est essentiellement la résultante des stratégies de gestion des risques des acteurs et des régulateurs. »

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